Jean-Baptiste DEL AMO : Le règne animal ( Ed Gallimard)
L’auteur nous conte l’histoire d’une exploitation familiale vouée à l’élevage des porcs tout au long du XXème siècle. Les pères rudes à la tâche et intransigeants exigent beaucoup des fils uniques qui rêvent de tout autre chose. La famille traverse deux guerres, les choses évoluent mais le travail reste le même : les hommes à l’élevage, les femmes aux corvées familiales et les enfants s’adaptent comme ils peuvent, le tout sans beaucoup de moyens .
La vie de ces éleveurs est décrite sans complaisance, avec précision et empathie. Chaque caractère est bien étudié, la réalité de ce qu’’ils supportent est exposée sans pathos mais sans concession.
Le sujet n’est pas nouveau, on nous a rebattu les oreilles de la vie difficile des paysans tout au long du XXème siècle, mais ici il ne s’agit pas de cultures, de terres et d’engrais ni même de vaches mais de cochons… Et ça change tout !
Gaël FAYE : Petit pays (Ed Grasset)
Le jeune Gabriel vit ses dix, onze ans au Burundi avec ses parents dans un confortable quartier d’expatriés. Tout est bonheur avec les copains qui se réunissent au fond d’un jardin, du personnel de maison attentionné, une nature luxuriante. La séparation de ses parents est la première secousse du séisme qui va suivre. La guerre entre les Hutus et les Tutsis répand ses ondes de choc et frappe de plein fouet cette famille. La peur s’installe, le monde privilégié de Gabriel se fissure. Sa mère reviendra traumatisée de son voyage au Rwanda, prisonnière de la folie meurtrière des hommes.
Gabriel fuit son pays aimé avec, glissé dans sa poche un poème, cadeau ultime de cette femme qui lui a fait découvrir la beauté de l’écriture et nous permet aujourd’hui de lire avec respect et admiration ce récit.
De chanteur de rap, Gaël Faye est devenu écrivain, il écrit un livre tendre et original, livre primé par le Goncourt des lycéens et qui devrait être lu et étudié par tous les jeunes.
Vincent JOLIT : Un ours qui danse (Ed de la Martinière)
Nous sommes au XXème siècle , l’auteur raconte la vie de trois personnages, la lutte pour réaliser leur rêve de danse, les embûches rencontrées aussi bien familiales que sociales, financières et autres. Bien que très différents par leur âge, leur nationalité et leur milieu social, ils sont portés par la même passion.
Le style est très agréable, un découpage astucieux facilite la lecture et évite une forme de lassitude puisque du début à la fin il n’est question que de danse .
On se laisse emporter par cette passion, ce n’est jamais monotone et vraiment agréable à lire même si on ignore tout de l’art de la danse .
Le titre est lié à l’un des trois personnages, un petit garçon qui va danser avec un ours de cirque et n’oubliera jamais le bonheur qu’il en a ressenti.
Yasmina KHADRA : Dieu n’habite pas la Havane (Ed Julliard)
Yasmina Khadra situe son récit au moment du basculement de la Havane vers le libéralisme et l’aborde par la petite histoire d’un chanteur de cabaret.
Nous suivons donc Juan del Monte Jonava, alias Don Fuego, qui règne, au Buena Vista en maître incontesté de la rumba.
Quand il apprend que ce cabaret mythique a été racheté par une américaine pour en faire un club de reggaeton, ce «raffut bâtard» qui fait vibrer la nouvelle génération, Juan est désespéré car ses amours, sa famille, sa réussite sociale tout passe au second plan devant le plaisir d’enflammer la scène par sa voix hors du commun et la fierté d’être reconnu par les touristes étrangers.
Dès lors il erre dans la Havane à la recherche d’un hypothétique cachet et rencontre Mayensi. Juan tombe aussitôt amoureux d’elle et se met en tête de la sauver. Une de ses chansons ayant fait un tabac à la radio, il fait le tour de l’île et retrouve le succès mais la jeune fille disparait.
Roman sur l’amour de la musique cubaine et sur la Havane, avec la décrépitude de ses habitants à la fin de l’ère castriste. De bonnes descriptions de la ville, loin des clichés habituels, de l’ambiance familiale comme du chômage chronique, du désœuvrement qui guette la plupart des jeunes et des combines nécessaires pour survivre.
C’est aussi le roman d’une passion amoureuse, le lecteur suit les tentatives du personnage pour «apprivoiser» Mayensi puis sa quête lorsqu’elle disparait.
Un roman intéressant et bien écrit mais qu’on attendait moins convenu, en particulier la fin
assez décevante.
Jean François PRE : Double je (Ed Eaux Troubles)
Vrai thriller mêlant actualité et roman noir des années 50, situé à Nice sur fond de Baie des Anges, c’est le drame de deux frères jumeaux Marc et Nestor qui s’aiment et se haïssent.
Un crime est commis et Nestor est identifié par une caméra de surveillance mais est-ce vraiment lui ou plutôt son frère machiavélique qui veut lui faire porter le chapeau ?
Un fin limier sur le retour, est appelé au secours par l’accorte avocate de Nestor. Tous deux se liguent pour dénouer cet imbroglio.
Ce polar sexy et enlevé s’appuie sur des faits actuels qui rendent l’histoire plausible si on n’entre pas trop dans les détails, Nous sommes dans l’action, sa vivacité nous entraine dans cette aventure divertissante avec des dialogues un peu surannés à la Audiard, le tout ponctué de réflexions un peu faciles sur des sujets aussi graves que la Franc-Maçonnerie, les attentats ou les services généraux.
C’est léger.
Andreï MAKINE : L’archipel d’une autre vie (Ed Seuil)
Andreï Makine raconte avec talent le parcours incroyable de Pavel Gartsev, simple soldat parti à la recherche d’un évadé du goulag dans les années cinquante alors que la Russie se prépare à une troisième guerre mondiale. Une équipe de cinq hommes et d’un chien poursuit un rêve car celui qui ramènera le fugitif gagnera des étoiles sur la manche de son uniforme et la reconnaissance du pays.
Tout se passe dans la Sibérie extrême orientale et malgré la rigueur des lieux, Makine décrit une taïga «donnant l’illusion de pouvoir s’élever vers le vitrail du ciel encadré de branches, inspirer l’ivresse de l’air, l’immensité de l’horizon et surtout le vent qui venait de l’océan et reliait la moindre aiguille de cèdre à cet infini lumineux.»
Cette équipe de cinq hommes se réduira au seul Pavel car l’évadé a plus d’un tour dans son sac et déjoue tous les pièges. C’est le fuyard qui donne la cadence de la poursuite. Cette course folle permet à Makine de replacer l’homme dans un contexte hostile face à son caractère, son ambition mais aussi sa générosité. L’homme est habité par un pantin qui rend chimérique toute idée de s’améliorer, ce pantin qui pousse à violer, tuer, haïr, mentir mais sans qui il n’y aurait ni histoire ni guerre ni grands hommes. Pavel lutte pour sa survie et veut faire disparaître le monde où les hommes se haïssent tant. Ne restera alors que le silence ensoleillé, la transparence du ciel et le tintement des feuilles saisies par le gel, oui, juste la décantation suprême du silence et de la lumière.
Garstev transmet ce message sublime au jeune Makine, l’homme reste l’ennemi de l’homme, sa petitesse, sa méfiance, son agressivité, sa perfidie. Le monde est déformé par une haine inusable, une violence devenue art de vivre, embourbée de mensonges pieux et de l’obscène vérité des guerres, oui, Makine se souvient de cet homme qui a choisi de vivre au-delà de notre monde en s’échouant sur une grève de galets de l’archipel des Chantars, l’archipel d’une autre vie, dont cet homme est l’ultime espoir.Dans une langue merveilleuse qui nous fait aimer l’immensité et la solitude de la taïga, l’auteur donne une sublime leçon de vie. Il transmet au lecteur le message de Garstev, il y a toujours à l’horizon une fameuse voile carrée aperçue par un pêcheur.
Yukiko MOTOYA : Comment apprendre à s’aimer (Ed Philippe Picquier)
Traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako.
Si ce charmant roman de Yukiko MOYOYA invite à la réflexion, il n’est en aucune sorte un mode d’emploi.
«Comment apprendre à s’aimer» n’est autre que la vie racontée de Linde, héroïne de ce texte aux différents âges de sa vie. Pas de vraie chronologie non plus, mais une série de plans fixes sur des scènes de la vie courante.
Comme au cinéma, nous suivons l’enfant, la jeune fille, la femme, par plans-séquences à trois, vingt, trente , puis cinquante ans et plus dans des situations particulières, révélatrices de sa quête à la recherche du bonheur.
L’écriture est courte et rapide mais détaillée. On s’imagine lisant un script pour film; tout est mentionné : les circonstances, les lieux, les dates, les moments, les objets. Chaque chose a sa place, chaque moment importe.
On découvre cette adolescente jouant au bowling avec ses camarades, puis fiancée dans une chambre d’hôtel avec une robe à repasser, ou encore au restaurant choisissant son menu de repas d’anniversaire de mariage ou enfin plus âgée à la recherche d’une guirlande de Noël.
Linde rate des choses, des relations, des projets. Il y a toujours quelque chose qui lui fait défaut pour que ce soit parfait. Très consciente d’être exigeante, toujours hésitante, elle ne sait pas vraiment ce qu’elle veut avec ses amies, son amoureux, son mari, sa famille et son prétendant potentiel.
A chaque fois les circonstances, même anodines sont pour elle sources de questionnement. Comment mettre à profit ces petits moments de bonheur sans gâcher sa relation aux autres ? Elle attend de la vie ce que personne ne peut lui donner.
Le texte s’inscrit autour du ressenti du personnage, si raisonnable et prudent dans son discours avec toujours derrière, cette peur d’être rejetée. Le lecteur comprend ses hésitations.La solution ? Elle finit par dire à son chat «Si j’arrivais à penser que c’est le bonheur de découvrir ainsi une petite rue inconnue, je n’aurais besoin de rien de plus»
Tout ça pour ça !
Une chronique de Serge Baudot
Patrick LORENZINI : Et toi quel bateau ? (Ed. Parole d’Auteur)
Patrick Lorenzini, écrivain, poète et journaliste, ancien de Var Matin, est bien connu des Toulonnais et profondément ancré dans le milieu culturel de la ville. Il vient de publier un recueil de courts textes, poèmes libres, en prose ou rimés, et des sortes de petites nouvelles, qui dépeignent parfaitement cette ville-port qu’est Toulon.
Il nous dit qu’il s’assoit à la terrasse d’un café du port devant un expresso, qui devient une métaphore dans pas mal de textes, sort son carnet à spirale, et attend l’inspiration…qui ne vient pas !
Néanmoins il va nous faire vivre cette ville allant de l’Est à l’Ouest, du Nord au Sud par ses quartiers, ses rues, ses places, ses bars, le port, les quais, les plages, la rade, et quelques personnages. Cela avec une discrète nostalgie pour les moments du passé, les gens, les choses qui ont disparu. Mais on est bien dans le temps présent.
J’aime particulièrement cette façon d’écrire à côté, parfois, nous obligeant à nous concentrer sur le lieu, et nous faire en somme construire notre propre poème. Par exemple : « Rue Chevalier-Paul »
Dans ce port aux filles lasses / comme des nuits délunées / vont nos soirs infortunés / et j’étais celui qui passe / une étoile dans le nez.
On y lit des hommages aux disparus qui ont marqué la vile, et leur époque. Au poète Léon Vérane (1885-1954) dans son square : L’été s’en va sur ses béquilles / c’est ainsi que tout doit finir / mon vieux Léon bientôt la quille / ô gué dansons devant la grille / du jardin clos des souvenirs.
Ou encore à Jean Rambaud (1923-2005) qui fut poète, journaliste et romancier – qui ne connaît « Adieu la Raille » – à qui Toulon a donné son nom à une rue. Citons quelques lignes de « Rue Jean Rambaud » : …Il était notre grand frère, notre professeur d’élégance, celui aussi dont il fallait craindre qu’il partirait en premier…
Patrick Lorenzini a de l’humour, et parfois la dent dure contre certains personnages infatués d’eux-mêmes, ou contre des institutions comme par exemple La Fête du Livre : …on voit une diaphane Marie Ramponneau retranchée derrière sa pile d’invendus comme derrière un rempart de sacs de sable, avec son rictus de femme trompée dont le pauvre bouquin n’intéresse personne, et à qui nul ne tendra jamais le moindre micro pour qu’elle puisse expliquer elle aussi comment cela lui est venu. C’est triste une Fête du libre, ça n’a pas pitié des petits.
Terminons sur une note plus gaie, mais néanmoins nostalgique du Toulon disparu. « Centre ville » : Pantoufles pompons chauffage faïences / on trouvait de tout aux Dames de France / rognons chez Bertrand bottes chez Gorlier / la vie disait-on était en vacances / et le temps un bail non résilié.
Et plus poétique : « Quai de la Sinse » : C’était un de ces jours éternels, comme on en voit quelquefois se lever sur le port de Toulon, lumière immobile d’un bord à l’autre du ciel, air d’eau pâle lavé par la nuit à peine retirée, buée de mer où reste encore un peu de la jeunesse d’Ulysse.
Les ancien Toulonnais y retrouveront des parfums, des souvenirs de leur jeunesse, les jeunes auront un autre regard sur cette ville bizarre qui tourne le dos à son port et qui semble plutôt terne aux visiteurs.
L’ouvrage s’enrichit de quelques photos bien à propos de L.E.A.
La Mairie devrait distribuer ce livre à tous les touristes.
En vente à la librairie « Le Carré des mots » – 4, place à l’Huile – Toulon
Sur commande auprès de « Paroles d’auteurs » – Même adresse.