Michèle TEYSSEYRE : Loin de Venise – Vivaldi, Rosalba, Casanova ( Éd Serge Safran)
Avec ce quatrième roman, Michèle Tesseyre, spécialiste de l’Italie et vénitienne de cœur nous fait revivre les derniers moments de trois personnalités de la fin du XVIIIème siècle : Antonio Vivaldi, Rosalba Carriera et Giacomo Casanova.
Tous ont connu la gloire et la force du renom. Venise les célébrait en ce temps là.
Mais la célébrité n’a qu’un temps et l’originalité de ce roman tient dans la façon dont l’auteure a su imaginer pour chacun l’exil après le faste et la vie mondaine.
La lumière va s’éteindre, nous le savons.
Cependant, même en fin de parcours, les personnages gardent leur foi dans ce qui les a construits. Aucune tristesse, juste un peu de mélancolie à la veille du grand départ.
L’écriture de Michèle Teysseire rend ce moment presque magique
Les artistes, chacun à leur manière, nous racontent leur monde et nous écoutons leurs confidences.
Le lecteur apprend que Vivaldi est né un jour de tremblement de terre et que son « enfance fut une longue course dont la musique guidait les pas ». Abandonné entre les quatre murs de sa chambre à Vienne, confié aux bons soins de la veuve Wahler, fragilisé par ses poumons malades, il évoque ses origines, ses rencontres, ses réalisations.
Pour lui tout est musique… jusqu’à la dernière saignée.
Rosalba vient ensuite, dans les tons de sa palette. Hébergée par il Signor Gasparino, elle a perdu la vue ou presque. Les pastels de sa vie reviennent en force ; une opération de la cataracte, ratée, ne lui fera pas oublier « les colombes de Dorsoduro » et « leurs étreintes délicieuses ».
Toute sa vie défile à rebours jusqu’à ce qu’elle, aussi, s’envole au pays des colombes.
Pour terminer Casanova se livre : il a « parié, menti, trompé sans vergogne » ; Venise lui apparait « comme un songe posé sur l’eau ». Exilé employé comme bibliothécaire par le comte Waldstein à Dux en Bohême, tyrannisé par sa vessie prostatique et les agissements perfides des domestiques du château, il se souvient des « charmants visages adorés du couvent de Murano » et fait encore quelques projets. Mais même les eaux de Teplitz « ne peuvent rien contre les flétrissures du temps ».
Inlassablement séducteur, c’est dans son dernier costume d’apparat que la mort l’emportera.
Nous abandonnons ces vies avec un brin de nostalgie ; au fil de la lecture, ces célébrités nous sont devenues si proches si familières qu’elles vont nous manquer aussi. Un belle réussite d’écrivain.
Gérard de CORTANZE : Zazous (Ed Albin Michel )
Une bande de jeunes, étudiants ou lycéens, se retrouvent dans un café comme beaucoup de jeunes du même âge. Nous sommes à Paris en pleine occupation allemande, dans les années 42/44. Ils résistent à leur façon en adoptant coiffure et tenue vestimentaire provocantes pour l’époque, sont bien sûr contre le gouvernement de Vichy, écoutent la BBC et adoptent le jazz, en particulier le swing, au nez et à la barbe des « bien-pensants » fidèles au régime, bref ce sont des Zazous .
L’auteur retrace avec beaucoup de justesse l’ambiance de l’époque, les films, les musiques, les privations, les couvre-feux, l’importance capitale accordée à Radio Londres écoutée en cachette, la peur sournoise qui n’épargne personne. Ce livre est bien sûr une vision tronquée de la période puisqu’elle s’en tient à un groupe de jeunes, mais c’est une vision très représentative des modes, des mentalités, de la débrouillardise et du courage qu’il fallait pour survivre sans trop déprimer !
On se plonge avec plaisir dans ce livre, écrit dans un style agréable, surtout si on a eu la chance d’avoir des parents ou des grands-parents qui ont réussi à survivre à cette période noire de notre histoire et ont accepté d’en parler
Elisabeth BARILLE : L’oreille d’or (Ed Grasset)
Elisabeth Barillé a perdu l’usage d’une oreille après un traitement reconnu depuis lors ototoxique, c’est-à-dire causant des dommages irréversibles à l’audition. Dès lors, n’avouant jamais son handicap, elle avance masquée, refusant toute pitié ou toute prothèse, elle s’accorde le droit d’être absente, le droit à la rêverie, et même le droit de disparaître quand on l’agresse ou qu’on la flatte.
Elle fouille la littérature, découvre le rythme en lisant « Les Confessions » de Rousseau, apprend la surdité d’Edison, pourtant inventeur du phonographe, de Beethoven, de Fauré concepteur de la dissonance, de François Truffaut et de Frank Sinatra.
Ce handicap invisible d’où elle va tirer un filon d’or pur, Ce handicap, qu’elle ornera d’une magnifique boucle d’oreille, est la grande force d’une femme intelligente, courageuse, une battante qui avec un style délicat a su toucher le lecteur.
Martine MERLIN-DHIAINE : Vouloir Voler (Ed Grasset)
Tonio, treize ans, d’origine portugaise, vit avec sa mère, Alenya, qui enchaîne les petits boulots dans une cité aux environs de Paris. Il a perdu l’usage de ses jambes et ne parle plus depuis le départ de son père. Il pense d’ailleurs que son père n’est pas mort, écrasé par une plaque de béton, comme sa mère le prétend, mais les a quittés pour vivre. Celle-ci ne décolère jamais, sa colère est sa drogue elle regarde son fils avec aversion comme étant le seul responsable de sa misérable vie.
Tonio ne sort jamais, cloué dans son fauteuil, il passe son temps sur son ordinateur, ou à regarder le mur au fond de la cour, par la fenêtre, mur sur lequel il voit défiler ses hallucinations. Jusqu’au jour où surgit Lola, la nouvelle femme de son oncle, une capverdienne, qui lui fait découvrir les nuées d’oiseaux, la liberté, les avions dans le ciel. Lola va persuader sa mère de le mettre dans un institut spécialisé. Libération pour Tonio qui, dès lors n’a plus qu’une obsession : voler, devenir pilote, remplacer ses jambes par des ailes.
Ce premier roman est un conte d’aujourd’hui qui parle des plus démunis, de ceux que la vie n’a pas gâtés, un conte qui dit l’espoir, la joie de vivre, la lutte des plus faibles et parfois leur réussite. Oui cela existe, mais heureux ceux qui ont rencontré Lola. L’auteur explore aussi le lien mère-enfant, la souffrance des non-dits, la culpabilité, le rêve, l’espoir.
La fin permet de tout envisager…
Johanne Seymour : Le cri du cerf – kate McDouglas enquête (Ed Eaux troubles)
Ce livre est le premier d’une série d’enquêtes de la policière Kate McDouglasl « On a mis la table ».
Kate McDouglas, policière québécoise a quitté Montréal et vit à une centaine de kilomètres dans un district forestier sauvage et peu peuplé. Elle est suivie par un psychiatre suite à des problèmes psychologiques qui l’ont écartée du monde criminel. Le roman s’ouvre sur la macabre découverte que fait Kate en se jetant à l’eau dans le petit lac jouxtant sa maison des bois : le cadavre d’une fillette d’une dizaine d’années, égorgée. C’est le choc.
Personnage taciturne et solitaire, vivant seule dans sa cabane au fond des bois Kate a subi des revers de situation tant familiale que sentimentale et comprend qu’une nouvelle épreuve l’attend. On va la suivre dans son enquête pendant laquelle elle va retrouver les vieux démons qui l’ont poursuivie et qui vont la guider vers la thèse d’un serial-killer.
Pour démasquer « la bête » il va falloir qu’elle affronte ses démons et remonte le fil douloureux de son passé. Démarche qui l’entrainera au cœur d’un cauchemar et qui menacera de briser le fragile équilibre sur lequel elle a bâti sa vie .
L’empreinte des paysages est très forte et influe grandement par sa sauvagerie, à la rudesse des sentiments et l’âpreté des personnages. Blessures de l’enfance, extrémismes religieux, on baigne dans la tragédie familiale. C’est plus qu’un polar c’est un retour vers des racines profondes, vers une introspection.
Le style est enlevé, l’atmosphère tragique installée, les personnages secondaires ne le sont pas vraiment et les sentiments bien amenés aident à dénouer l’imbroglio.
Quelques traductions redondantes sans intérêt alourdissent un peu le récit mais le situe bien dans ce Canada profond.
Jon Kalman STEFANSSON : D’ailleurs les poissons n’ont pas de pieds (Ed Gallimard)
Nous sommes dans le nord de l’Islande, un petit village de pêcheurs, le jour où un décret international interdit la pêche à la morue . C’est le chômage assuré et la ruine de tous les habitants du village.
L’écrivain raconte l’histoire de sa famille sur trois générations. Le climat effroyable, la vie rude, les problèmes de tout un chacun, la base américaine stationnée à proximité depuis la dernière guerre, le poisson au centre de tout, un détour dans les mines pour survivre, et bien sur la vie de tout un chacun avec l’amour, l’amitié, la misère, les enfants, les vieux …
Bref la vie… mais quelle vie… Il faut la rudesse et la force de ces autochtones pour y survivre
Un beau style très dense, très riche, très approfondi pour une histoire sinistre .
Natacha CALESTREME : les racines du sang (Ed Albin Michel)
Le major Yoann Clivel doit mener une enquête sur une série de meurtres ayant un modus operandi énigmatique. En effet, les victimes ont dans la gorge un produit sucré et une rose dans l’entaille faite par la lame d’une arme blanche.
L’enquête est très bien menée, et on retrouve une facture assez classique des romans policiers avec la découverte progressive des motivations de l’assassin
Ce qui retient également notre attention est le personnage de Yoann Clivel. un homme qui se cherche.et s’interroge : « Devons-nous porter le poids des fautes de nos ancêtres à l’infini ? Comme Valentin qui s’éloignait de sa famille pour se reconstruire et Mélanie Bural partie au Burkina Faso pour réparer les horreurs commises par son père, je me positionnais face à mon passé pour ne plus vivre les mêmes drames. Tous les trois, chacun à notre manière, nous avions coupé les racines du sang ».
Intéressante également, quoique désormais classique dans les séries policières, la présence d’un jeune autiste, Sam, qui possède des capacités de mémorisation hors normes et que Yoann sollicite pour reconnaître le visage du présumé tueur
Enfin, retournement de situation original : la découverte progressive des actes peu recommandables des prétendues victimes impliquées dans un de ces scandales sanitaires qui font écho à des faits divers bien réels.
On peut toutefois regretter que l’auteure se contente de faire du virus Ebola et du Burkina Faso où il sévit, une simple toile de fond.
En résumé un roman policier classique, bien mené, qui flirte avec le paranormal et tente de donner plus de complexité à des personnages convenus.
Lyonel TROUILLOT : Kannjawou ( Ed Actes Sud)
Que savons-nous d’Haïti ?
Si des ONG bien intentionnées nous ont rapporté leur engagement après le terrible tremblement de terre de 2005 ou si nous avons appris que les forces militaires américaines avaient autrefois occupé cette terre, peu nous ont parlé de la révolte contre l’indifférence ou du désir fou de survivre des nouvelles générations haïtiennes.
A ce titre le roman, très engagé, de Lyonel Trouillot nous convoque à Port au Prince, dans un des quartiers les plus populaires. Son héros, le narrateur nous en tient la chronique.
Là, au bout de la rue de l’Enterrement, juste avant le cimetière, un groupe de cinq jeunes gens, amis d’enfance, essaient de trouver un sens à leur vie. Défavorisés certes, mais réunis « parce qu’ils ont eu la chance de découvrir très tôt le pouvoir du langage », ils bénéficient de l’hospitalité du « petit professeur » intellectuel et lecteur bénévole du centre culturel, pour parler philosophie et révolution.
A l’autre extrémité de la rue, le propriétaire du bar « le Kannjawou » leur offre parfois une bière, fort de « ce qu’il charge à ses clients » tous membres d’institutions internationales ou d’organisation non gouvernementales.
Le narrateur rapporte et commente ses notes consignées dans un journal.
La rue s’anime et nous rencontrons Woldné, l’étudiant révolté à la pensée radicale, Popol le frère du narrateur, silencieux et résigné,et les filles de la bande, Joëlle l’amoureuse de Woldné et Sophonie l’employée du bar. Une mère de substitution, Man Jeanne veille sur eux et leur enseigne les règles élémentaires d’humanité.
Alors, de toutes les injustices, de l’exclusion sociale, de la misère et la corruption ambiante, nait un souffle rageur, annonciateur d’un changement de destinée.
Livre de révolte, rédigé dans un style minimaliste où les phrases courtes racontent le désir de survivre, ce roman est un appel à notre solidarité.
Haïti nous semble moins loin maintenant.