Olivier ADAM : La renverse (Ed l’Olivier)
La renverse c’est le moment entre deux phases de marée montante ou descendante durant laquelle le courant devient nul. C’est à ce moment que l’auteur situe le début du roman . Antoine la trentaine, s’est réfugié dans une petite station balnéaire bretonne et occupe sa vie entre une librairie où il travaille et sa petite amie sportive et sans problème. Soudain il apprend par un flash à la télé le décès d’un homme politique connu et c’est la renverse. Cet homme c’est celui qui a brisé sa vie et celle de sa famille. Il va donc par petites touches revenir sur son enfance dans une petite ville de banlieue parisienne où cet homme a introduit le scandale. Sa mère pour mettre fin à son oisiveté s’était lancée en politique, travaillait avec lui et s’était laissée entrainer dans un scandale sexuel qui a brisé le couple et la famille. C’est à partir de là qu’Antoine va évoquer son passé douloureux et destructeur tant pour son petit frère que pour lui même ou pour la fille du sénateur entrainés dans le désordre mental et le chaos. Mais c’est à partir de là aussi qu’il va se reconstruire par la fuite et l’oubli non sans essayer de nous faire partager le cheminement de chacun des personnages
L’auteur part d’un fait divers sordide pour sonder ses contemporains, pénétrer dans les contours de l’âme de chacun, comprendre cette société écrasante à travers ses médias et dont la rumeur bouleverse des vies. L’évocation des paysages marins est splendide, pour contrebalancer le sordide du fait divers sexuel déballé sans pudeur.
Ecriture riche, juste, émouvante mais qui aurait pu éviter la crudité de certains passages.
Philippe BESSON : Les passants de Lisbonne (Ed Julliard)
Rencontre providentielle d’un homme et d’une femme, jeunes, venus noyer leur désespoir à Lisbonne. Elle a perdu son mari dans le tremblement de terre de San Francisco, lui, a été abandonné par l’homme qu’il aime. Ils sont dans le même hôtel et vont unir leur solitude autour de cette absence qui les mine . Tous deux sont résignés à ne plus connaître qu’errance et solitude, mais la confiance qui s’installe entre eux, les conversations de plus en plus intimes, les promenades dans la ville au charme nostalgique, tout cela va les aider à accepter leur peine. Pas de mélo, pas de sexe ni même d’amitié, seulement les sentiments pudiques et profonds de deux êtres qui savent s’écouter.
Avec ce style agréable qu’on lui connait l’auteur nous fait entrer dans la tête de ses personnages en même temps qu’il nous ballade dans Lisbonne; La ville dont il traduit le charme envoutant est un personnage central de l’histoire.
C’est bien sûr un roman sur le deuil, mais qui se lit sans tristesse et nous propose un court et bon moment de lecture.
Christophe BOLTANSKI : La Cache (Ed Stock – Prix Fémina 2015)
L’auteur, journaliste reporter, retrace le parcours d’une famille française, la sienne, riche, aisée, pingre, bourgeoise et bohême, intellectuelle et déscolarisée, juive et catholique.
Son livre suit le plan de la maison, un hôtel particulier de la rue de Grenelle. Chaque chapitre ouvre la porte d’une nouvelle pièce. On avance pas à pas vers le cœur du mystère, un faux palier dissimulant « la cache ».
De pièce en pièce l’auteur redonne vie à sa famille, sa tribu.
Le grand-père, médecin juif, catholique, qui avait déjà participé, incrédule à la grande guerre dans les tranchées et au déferlement de haine de la seconde guerre mondiale organise sa propre disparition. Il divorce, part une nuit en faisant beaucoup de bruit et se cache dans cette maison. C’est un univers clos, protégé, fortifié, dont les membres de la famille vivant dans la peur ne sortent que tous rassemblés. La grand-mère, figure centrale, frappée de poliomyélite s’appuie sur ses enfants qui n’appréhendent le monde extérieur qu’à l’âge adulte..
Ce roman – ou plutôt cette autobiographie – est remarquablement construit tel un jeu de Cluedo. L’écriture est agréable et fluide.
L’auteur est issu d’une famille d’intellectuels qui n’a cessé de s’illustrer depuis trois générations dans la littérature, les arts et la recherche. Son père Luc est un éminent sociologue. Son oncle Christian l’un de nos plus grands artistes contemporains.
Sylvie GERMAIN : A la table des hommes (Ed Albin Michel)
Au départ, un bombardement, une truie et sa portée sont pulvérisés à l’exception d’un seul. Contraint à la survie, il sait instinctivement que l’homme est son principal ennemi, mais, recueilli après son étonnante transformation en enfant sauvage par une vieille femme, puis par un clown, et finalement par une fratrie d’énergumènes anarchistes, il apprend la vie, guidé par une corneille, sentinelle bienveillante.
Jusqu’à la dernière page, cet être étrange aura raison de se tenir éloigné des hommes, des hommes pleins de haine, de désir de vengeance, « désir vite érigé en devoir de justice ».
Avec son talent habituel, son sens de l’humain et du mystère, l’auteure nous entraine dans une histoire où l’humain le dispute à l’extraordinaire. Le poète Tomas Tranströmer, cité par Sylvie Germain, conseille vigoureusement l’homme sage à monter dans son chariot de feu et de quitter le pays car la table est branlante.
Oui, la table des hommes est branlante, mais est-ce dans les pouvoirs de l’homme de la stabiliser ?
Philippe JAENADA : La petite femelle (Ed Julliard)
Avec « Sulak », parcours d’un gentleman cambrioleur, l’auteur nous avait initiés à l’étude des rapports judiciaires et au travail d’enquête mené lors d’un procès Dans son dernier livre, il récidive brillamment avec l’affaire Pauline Dubuisson.
En 1953, cette jeune criminelle de vingt-six ans, vient d’être condamnée à perpétuité pour le meurtre de son ex fiancé ; il etait bien sûr jeune, beau, intelligent et romantique ; elle est trop belle, trop intelligente et trop émancipée. L’époque n’est pas favorable aux ravageuses…
C’est surtout cette atmosphère que l’auteur rapporte autour du travail d’enquête. La fille, élevée comme un garçon par un père nietzschéen et une mère inexistante, a couché avec l’Allemand, refuse les propositions de mariage, veut exercer une profession. La petite femelle dérange !
Philippe Jaenada reprend les témoignages, les rapports judiciaires, les rumeurs, les ragots. Le constat est sévère : lacunes, contradictions, partis pris, tout est mis en œuvre à l’époque pour charger l’accusée dans ce contexte d’après guerre. Tout au long des 706 pages, il analyse, dissèque les évènements, les comportements. Rien n’est laissé au hasard, on est passionné par cette histoire très lourde allégée par la plume agréable et quelquefois drôle de l’auteur mais Dieu que c’est long !!!
Gaëlle JOSSE : l’ombre de nos nuits (Ed Notabilia)
De nos jours, une jeune femme désœuvrée, entre deux trains, entre dans le musée de la ville Rouen. Elle est frappée par le tableau de Georges de la Tour : « Saint Sébastien soigné par Irène », peint en 1639 durant la guerre de Trente ans en Lorraine.
Ainsi commence le dernier roman de G.Josse qui alternera, chapitre après chapitre ,la naissance du tableau de Georges de La Tour et la déception amoureuse de cette femme contemporaine. Celle-ci n’échappera jamais complètement à l’emprise d’une passion pour un homme qui ne lui a jamais rien promis mais qu’elle a cru pouvoir enchaîner en s’effaçant toujours pour son bonheur. Une blessure d’amour insupportable lui permettra de se sauver de cet enfermement, véritable enfer sans issue
Par ailleurs les chapitres consacrés à l’élaboration du tableau de St Sébastien sont en eux-mêmes une peinture de l’époque. Etre comme le jeune Laurent apprenti auprès d’un si grand peintre c’est être effacé, modeste, silencieux ; c’est observer, travailler et encore travailler. Laurent connaît les secrets des uns et des autres, devine les déceptions et les contrariétés, les jalousies d’une famille unie mais, complètement sous l’emprise d’un peintre obsédé par ses toiles et son ambition folle d’offrir sa dernière toile au roi de France qui représentera ses sentiments les plus intimes (humilité et tendresse) ce qui n’est pas dans l’air du temps
De même que la jeune femme du musée n’a pas osé sa rébellion, l’apprenti, par ses réflexions et ses observations, traduit ce que la Tour et sa maisonnée n’osent exprimer.
Gaëlle Josse a un talent particulier, sobre et poétique, pour rendre vivants chaque personnage, les ombres et les lumières, surtout les demi-teintes soulignées par le reflet d’une simple bougie qui suffira à animer un regard ou décèlera un secret bien gardé.
C’est un roman assez court mais si riche en nuances où s’entremêlent sentiments de plusieurs histoires d’amour, l’analyse et la lucidité d’un échec amoureux ainsi que les tourments de la création picturale.
Olivier BLEYS : Discours d’un arbre sur la fragilité des hommes (Ed Albin Michel)
C’est la fable du » pot de terre contre le pot de fer » revisitée par l’auteur, version chinoise contemporaine.
Dans la province de Liaoning au nord-est de la Chine, à Shenyang, une famille vit très pauvrement dans une petite maison où règnent les courants d’air et un froid terrible que Zhang, licencié de son usine, essaie en vain de combattre en chapardant des sacs de charbon. C’est une famille à l’ancienne avec les ancêtres à la maison, une femme courageuse et aimante et une jeune fille qui tente d’étudier au milieu de ces trois générations. Mais il est bien difficile de survivre aux temps modernes!
Dans la cour de leur maison ils ont un trésor: le dernier arbre à laque du quartier (un sumac), très vieux, souvent menacé, au pied duquel sont enterrés les membres de la famille. Même s’il s’étiole Zhang a juré à son grand oncle qu’il ne serait jamais abattu. Zhang poursuit un rêve : devenir propriétaire de sa masure délabrée avec son sumac. Le sort s’acharne sur ce pauvre chinois car un grand projet minier menace la famille d’expulsion. Après maintes tribulations et affrontements avec l’odieux propriétaire, il sera berné en devenant lui-même propriétaire d’une maison « clou » c’est-à-dire l’îlot d’irréductible qui n’a pas voulu vendre son terrain et se retrouve isolé, entouré d’excavations infranchissables. Une lutte inégale s’engage oçpposant l’humble famille aux représentants du puissant capitalisme chinois. Il gagnera mais dans quelles conditions!
L’auteur a pris comme toile de fond les transformations violentes de la Chine contemporaine avec cette histoire. Il a donné une âme à tous ses personnages mais le rouleau compresseur que sont le consumérisme et la puissance de l’argent semble être le fossoyeur des temps anciens.
Roselyne DURAND-RUEL : Les ailes du désespoir ( Ed Albin Michel)
Casablanca, début des années 80.
David Serfaty, onze ans, rencontre Alia, cinq ans. « C’est là que ma vie commence » nous dit le héros du roman .
En effet, tout le parcours du personnage principal des » Ailes du désespoir » se tisse autour de cette rencontre. Il est juif, elle est musulmane ; leur histoire se construit contre l’hostilité de leurs familles respectives. Le lecteur les retrouve étudiants à Paris, puis mariés à New York défiant les préjugés.
Un fil conducteur assez banal.
Puis le destin frappe : le 11 septembre 2011 Alia travaille dans une des tours jumelles; elle termine sa vie à trente six ans ! Un notaire révèlera alors l’existence d’une enfant, fruit du viol non dénoncé d’un de ses prétendants, Aziz.
Le roman prend de ce fait une dimension plus captivante d’autant que David réussit à arracher l’enfant aux paysans sans scrupules auxquels les parents d’Alia l’avaient abandonnée et à la confier à sa grand-mère maternelle accablée par le remords d’avoir maudit sa fille.
Dès lors David se consacre à sa vengeance contre les Salafistes et contre Aziz, le violeur : il infiltre les réseaux islamistes en se faisant passer pour un arabe avec l’aide de la CIA et s’il réussit à mener à bien ses projets il ne sort pas indemne de cette plongée dans l’intégrisme.
Si le lecteur résiste aux méandres de l’intrigue, à la diversité des lieux et à la présence de nombreux personnages, il appréciera ce texte particulièrement documenté sur les méthodes des services secrets, la grande connaissance du Coran et de la culture coranique ainsi que le récit d’une triste actualité.
Sentiment partagé donc en fin de lecture : si le roman reste banal, la connaissance approfondie des violences liées au djihadisme nous incite à considérer différemment le monde d’aujourd’hui.
Thomas MORALES : Madame est servie (Ed du Rocher)
L’auteur nous présente ici son second livre, mettant en scène un privé pas comme les autres. Nous sommes donc sensés connaitre ce personnage de Joël Beaumont, flegmatique, nostalgique et plus très jeune, vivant dans un quartier populaire de Paris, entouré de comparses hors du commun.
L’affaire qui nous concerne se situe dans le monde du spectacle et plus précisément de la télévision. Une jeune actrice vient d’être sauvagement assassinée sur les lieux du tournage et tout ce petit monde est en émoi. C’est notre détective Joss qui va mener l’enquête à la demande de la famille. Et il va le faire un peu à la manière des vieux polars tranquilles des années 70/80.
A bord de son vieux break brinqueballant, il va sillonner l’Auvergne puis la Normandie et la Bretagne, tirant peu à peu les fils qui s’entremêlent mais qu’il va dénouer grâce à sa perspicacité et l’aide de ses assistantes, sa fidèle secrétaire nounou et sa maitresse avocate qui le tient sous son charme.
En fait nous voyons défiler les kilomètres de campagne et les maisons provinciales fleurant bon l’autrefois.et nous découvrons enfin la vérité, le tout réglé en deux pages
Mais ce n’est pas la jeune actrice assassinée qui est la vedette de l’histoire mais bel et bien notre héros détective, tout plein de ses souvenirs de vieilles bagnoles et de petits troquets de province.
Nostalgie, nostalgie quand tu nous tient ! mais quand à l’histoire… elle reste gentille
Olivier ROLIN : Veracruz (Éd Verdier)
Le dernier livre d’Olivier Rolin bouscule les codes du roman traditionnel.
Nous sommes à Veracruz à la veille d’un probable cataclysme. L’auteur/narrateur, invité à prononcer un cycle de conférence sur Proust à l’université d’État, termine une de ses soirées dans un bar, l’Idéal.
Entre tequila et mariachis Dariana parait ! Elle est de celles « qu’il suffit de voir une fois pour ne jamais l’oublier ».
Leur liaison va durer un temps puis la dame ne viendra plus, sans donner d’explication. Le conférencier l’attendra chaque soir à l’Idéal en vain.
Un pli parviendra cependant à son hôtel ne comportant aucun mot d’accompagnement. Il contient quatre récits.
Livrés au lecteur, ces récits, brefs et terribles, nous incitent à chercher des indices dans l’espoir de comprendre la situation.
Réunis dans une bibliothèque par ce soir de cyclone, trois hommes prennent la parole successivement : Ignace, homme de lettres, modèle de servitude et poète récite des sonnets; Miller se raconte et apparaît sous les traits d’un mari violent et mafieux; El Griego n’est autre qu’un père incestueux sans remords ! La dernière intervention est celle de Suzanne : elle se définit comme telle : « je suis deux choses, ma beauté et ma haine ». Elle donne sa version des aveux précédents mais il nous est bien difficile de la cerner. Nous sommes en plein roman d’espionnage. L’auteur le dit lui-même : « C’est en vain que je m’épuisais à cette recherche ».
Le huis clos dramatique se termine donc avec un dernier chapitre consacré à ce qui constitue une œuvre de fiction, ses rapports avec la réalité, et notre éternel besoin de donner un sens à tout.
Rencontre/disparition, vécu/écrit, lumière/ombre, réel/fictif…il n’y a pas de clefs, dit Olivier Rolin.
Et nous, avons-nous vraiment lu un roman ?