En ce mercredi de novembre, dans le cadre du « Théma : Jouons Collectif » le Théâtre Liberté réunissait Daniel Herrero, Patrice Maggio, Marc Thiercelin, Faïsal Arrami, Jean-Louis Kerignard et Charles Berling pour tenter de définir l’importance du « collectif » dans nos vies, sous la médiation lumineuse de Claire Chazal.
Claire Chazali posa d’emblée la question essentielle : « Vivre ensemble, qu’est-ce que cela signifie ? Epanouissement, protection, ou bien embrigadement, fanatisation ? »
Elle demanda tout d’abord à chacun des invités de se présenter tout en nous disant leurs rapports au collectif ; ce qu’ils firent d’une manière humble et détendue :
Charles Berling, acteur, metteur en scène, écrivain, chanteur et auteur de chansons, directeur de théâtre, s’est fait connaître tant au théâtre qu’au cinéma aux côtés des plus grands metteurs en scène dans plus de 50 rôles.
Pour lui, que ce soit au théâtre ou au cinéma, le collectif est fondamental car il faut trouver un équilibre entre les acteurs, l’auteur, le metteur en scène et les autres participants. On a déjà fait 60% du boulot avec une bonne distribution. Sur le plateau, s’il y a une compétition mal placée, tout foire. L’être humain est grégaire.
Il va comparer cet engagement collectif à celui qu’il avait ressenti lors d’un marathon en passant sous un tunnel quand il entendit le souffle des gens ; il reçut une émotion qui le mit au bord des larmes. Il se dit j’en suis et je n’en suis pas. Car dans un marathon il y a un effet de groupe, mais aussi chacun court pour gagner quelque chose.
Daniel Herrero qui, outre son passé de rugbyman au RC Toulon de 1966 à 1976, fut aussi professeur de gymnastique, entraîneur. Il dirige un séminaire à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm à Paris. Il a écrit plusieurs ouvrages, et participe à des journaux et des radios. Il est président de diverses associations. Voilà donc un homme qui s’est mis au service des autres. Ajoutons qu’il est très médiatique et que ses interventions sont toujours décapantes et pleine de bon sens. De plus c’est un homme qui sait manier le vocabulaire, tant populaire qu’intellectuel, et l’humour.
Il va développer ce qu’est un entraîneur d’une équipe de rugby, qui est la métaphore du collectif. L’entraîneur est face à un collectif de 30 personnes, il doit donner forme au groupe, créer du lien, trouver un socle commun, définir qu’on a un adversaire en face, pas un ennemi, définir le rôle de chacun dans l’aventure collective, et montrer que sans plaisir il n’y a pas de résultat. Pas d’équipe sans chef, mais le seul patron c’est le jeu. « Ça se lie, ça s’allie et ça s’unit », définit-il avec l’une de ces formules fortes dont il a le secret.
Plus tard dans la soirée il définira la supériorité des All Blacks : Dans leur équipe chacun est capable de tenir les 15 postes avec la même compétence.
Jean-Louis Kerignard, amiral en retraite, dit avec un sourire qu’au moment de la retraite sa femme lui a dit : Tu ne vas pas rester dans mes pattes toute la journée. Faudrait que tu trouves un job. Donc après 40 ans de mer il vint apporter son aide et sa compétence à la SNSM (Société Nationale de Sauvetage en Mer) dont il est délégué départemental du Var.
Pour donner une image du collectif il raconta comment une équipe de sauveteur vint de nuit à la rescousse d’un voilier en perdition (sans voile, sans bôme) avec 2 personnes à bord au large du Cap Sicié par vent de force 9, avec des creux de 4 à 6mètres. Un équipage bénévole composé de gens d’âges et d’origines divers, mené par un ancien marin retraité de 60 ans, complètement soudé par la tache à accomplir, réussit avec une abnégation totale à ramener ce bateau et ses occupants après 11 heures de travail acharné. Pour lui c’est l’objectif qui fait fonctionner le collectif.
Faïsal Arrami est un boxeur professionnel toulonnais, triple Champion de France et Champion d’Afrique. Il est aussi coach mental et psychothérapeute pour sportifs de haut niveau.
Il déclare avoir voulu transmettre ce qu’il avait vécu. Il dit que jusqu’à l’âge de 17 ans il était peureux, racketté, battu, bien qu’il se soit mis à la boxe dès ses 12 ans, et avoir été vice champion à 15 ans. « J’ai appris à devenir courageux. Puis je suis devenu agressif, videur de boîte de nuit. J’aimais me battre. Jusqu’à ce que je me rende compte que c’était anormal. J’ai alors découvert la force des mots. J’ai trouvé un équilibre. Et c’est pourquoi je travaille en psycho pour aider les autres. »
Patrice Maggio, journaliste, intégra l’équipe de Var Matin Toulon/La Seyne en 1987. Il sera nommé Rédacteur Directeur adjoint des rédactions du Groupe Nice Matin en septembre 2015.
La presse, dit-il, est un métier de groupe. Tout passe par le collectif. Le groupe de presse perdait 15 millions par an. Après 25 ans de métier j’ai eu l’idée de reprendre l’affaire. Il fallait tout inventer. Trouver des partenaires, défendre l’indépendance de la presse. Il fallait donner des éléments pour que les gens se fassent une opinion. Il ajoute que « Toulon vit sous une double culture, le rugby et l’arsenal, l’entraînement et les manifs, la bagarre et la solidarité ; c’est ce qui m’a formé. »
Marc Thiercelin est un navigateur et un skipper professionnel français. Il totalise cinq tours du monde en solitaire, vingt-deux Transatlantiques, sept Solitaires du Figaro, cinq Tour de France à la voile, quatre tours complets de l’Antarctique et quatre Cap Horn en solo. Il a créé la Fondation de l’Or Bleu.
Pour lui le collectif aide au dépassement de soi-même. Avant de partir sur la mer en solitaire il y a une équipe soudée derrière lui. Avant de se lancer il faut d’abord rassurer la famille, évacuer les craintes, trouver un bateau, convaincre des groupes : financier, économique, médiatique. Le solitaire c’est seulement la course.
Quand on en viendra à l’individualisme, qui paraît-il fait partie de la composante du Français, il cite ce trait d’humour qui circule dans la marine aux Etats-Unis : « Mettez ensemble 20 Américains et vous avez un équipage, avec 20 Français, vous avez… 20 Français.
Claire Chazal renforça l’idée en disant que l’individu dans le groupe se nourrit du groupe. Rappelant qu’après les attentas de janvier les gens étaient prêts à se regrouper et non à se replier sur eux-mêmes.
A partir de là s’engagea une discussion entre les participants :
Marc Thiercelin : Moi tout seul en mer je représente l’Humanité. Je me souviens que dans les grèves de 1995 les gens ont réappris à se parler. On va gommer le côté pyramidal, chaque individu va amener sa patte. Des idées viennent du groupe et reviennent au groupe.
Daniel Herrero : Malheureusement on note que l’individualisme est en marche, et pourtant le vivre ensemble est plutôt bien enclenché. On voit pointer le « libre » ensemble ». Fais ton truc, et laisse-moi faire le mien.
Claire Chazal : Il faut faire attention que le groupe ne soit pas négatif : répression fanatisme…
Faïsal Arrami : On suit le mouvement. Dans les cités un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui tombe. Je suis d’origine tunisienne et marocaine et je vois que dans ces pays il y a plus d’entraide qu’ici. Bien sûr, en tant que Français j’ai été touché par les attentats du 13 novembre. Mais je trouve qu’on devrait aussi chanter l’hymne national de tous ces pays qui souffrent d’attentats.
Il a du mal à comprendre qu’on parle plus des attentats en France que dans les autres pays.
Claire Chazal tentera d’expliquer qu’en l’occurrence c’est parce que cela s’est passé chez nous, dans notre capitale, que beaucoup y ont vu mourir des proches, et qu’on ne peut s’arrêter à tous les actes de terrorisme car il y en a plusieurs chaque jour.
Jean-Louis Kerignard : le patron sur un bateau est un chef d’orchestre qui doit faire vivre ensemble pour une mission.
L’amiral travaille également au Camp des Mille auprès d’un groupe de jeunes. Il dit leur apporter de la compréhension, de les aider à développer leur libre arbitre afin de ne pas tout accepter comme un absolu.
On passa alors aux questions de la salle :
La famille n’est-elle pas le premier lieu du vivre ensemble ?
Charles Berling : Je suis issu d’une famille nombreuse très unie, on était proche les uns des autres. Mais ça peut être aussi un poids. A 20 ans je ne me suis pas dit je vais faire une grande famille.
Faïsal Arrami : Mon coach c’est ma femme. J’ai 3 enfants. C’est grâce à ma famille que je peux faire ce que je fais.
Daniel Herrero : Chaque groupe a son identité, avec des spécificités. Il faut du sens pour que les humains s’unissent. Quand ça craint, on se serre. La famille est le lieu initial du grandir.
Claire Chazal : il ne faut pas oublier que la famille a éclaté, et que par conséquent il y a souvent moins de solidarité.
Le collectif dominait jusque dans les années 70/80. Depuis on a pris un tournant individualiste. On prône la réussite individuelle forcenée en écrasant les autres. L’individu s’épanouit sur la faiblesse des autres.
Marc Thiercelin : Jusque dans les années 80 la France brillait dans les sports individuels, depuis elle brille plutôt dans les sports collectifs. Le XIX° et le XX° siècle on a vu les grandes aventures collectives, le nazisme, le communisme. Alors… Je joue l’individuel pour que le collectif accouche de quelque chose.
Le premier groupe c’est la famille, dit-on. Mais quand je vois que dans un repas de famille par exemple, chacun est penché sur son téléphone, communique avec un autre groupe qui est ailleurs, je comprends mal…
Claire Chazal : On relie des solitudes.
Daniel Herrero : La compétence crée du lien. Tu peux être compétent, mais con sur le plan social. Entre communiquer et communier il y a un monde.
Comment vous, Claire Chazal , percevez-vous la France à travers le collectif ?
Claire Chazal : Je m’accroche à notre force : la culture, notre histoire, notre patrimoine. C’est l’ignorance qui brise la société, d’où l’importance de l’école. Accéder à la culture nous élève. Je suis pessimiste sur les grandes organisations.
Comment les médias peuvent-ils participer à ce collectif quand il est gouverné par l’audimat et l’argent ?
Claire Chazal : Les journalistes sont libres, même dans les médias détenus par de grandes entreprises. On ne m’a jamais rien imposé. J’ai toujours exercé en toute liberté, sous n’importe quel pouvoir politique. Certes on fait des erreurs, on va parfois trop vite. Il y a une multiplication des médias, donc une concurrence qui mènent à faire des erreurs. Quant à l’audience, c’est le gagne pain des journalistes, s’il n’y a pas de public, il n’y a pas de journal. Il faut avoir un grand sens des responsabilités collectives.
Rencontre passionnante, fructueuse, sans tabou, sans langue de bois. Chacun a pu s’exprimer librement dans le respect des autres. D’ailleurs les applaudissements chaleureux témoignaient de la réussite de cette table ronde organisée par le collectif du Liberté.
Serge Baudot