C’est sur ce sujet malheureusement trop d’actualité, que le Théâtre Liberté a proposé un colloque autour de trois courts-métrages réalisés par Amandine Stelleta, elle-même harcelée à l’école durant son adolescence. Amie de jeunesse de Patrick Bruel, celui-ci a aussitôt accepté d’être le comédien d’un des trois films. Puis, en parlant à Charles Berling, celui-ci a également accepté la proposition. Enfin, Antoine Duléry est venu s’adjoindre aux deux autres pour être du troisième film.
Mais Charles Berling, jugeant le sujet brûlant et grave, a décidé d’aller plus loin en organisant ce colloque en ce mardi 2 décembre.
Colloque qui s’est déroulé en deux parties :
– L’après-midi, ce sont quelque 500 élèves de quatrième provenant de collèges situés en zone de sécurité prioritaire, qui sont venus découvrir ces films et débattre avec des invités.
– Le soir, à la suite des projections, la soirée était aux adultes encadrant.
1er épisode
Pour présenter la chose étaient réunis sur scène le juge Laurent Sabatier, modérateur, et les Intervenants : Amandine Stelletta, Charles Berling, Patrick Bruel, Sandrine Orsatti (psychologue clinicienne de l’Equipe Mobile de sécurité Académique), Michelle Blain (association de développement des pratiques informatiques, Horizon Multimédia), Audrey Jouaneton, Vice-Procureur).
Voir entrer 500 Ados, âgés de 12 à 15 ans, dans un théâtre, c’est un spectacle en soi. Cette entrée et l’installation dans la salle, ainsi que la sortie, se sont faites dans un calme et une discipline bon enfant remarquables, en douceur et rapidement.
Quand Patrick Bruel apparut sur scène ce fut du délire (je découvris ainsi qu’il avait une cote formidable auprès de cette prime jeunesse). il fut alors bien difficile à Charles Berling et à Patrick Bruel lui-même d’obtenir le silence et l’écoute, mais tous deux savent y faire, et il faut féliciter ce jeune public, car il fut à l’écoute et à la participation pendant plus de deux heures.
D’entrée Patrick Bruel annonça qu’il était important de prendre au sérieux cette souffrance des enfants, qu’il fallait en parler, et qu’on était là pour les entendre. Le maître mot de cette rencontre sera : Briser le silence.
Puis on regarda, dans un calme assez impressionnant les trois courts métrages d’Amandine Stelletta. L’un avec Antoine Duléry qui parle de la solitude dans laquelle le harcèlement plonge ses victimes ; le deuxième avec Patrick Bruel, qui découvre malheureusement trop tard la situation intenable dans laquelle se trouvait sa fille ; et le troisième avec Charles Berling qui montre les effets dévastateurs à très long terme du harcèlement sur une personne. Ces trois clips mettent en avant que ces harcèlements qui peuvent paraître des jeux ou des farces aux coupables, mettent en jeu tout l’avenir du développement psychologique de la victime.
Avant le débat avec les Ados on verra un clip « Maux d’enfants » avec Patrick Bruel et le rappeur La Fouine (à ce nom une clameur de la foule s’éleva dans la salle), une chanson relatant avec tact et puissance tout l’impact de phénomène du harcèlement ado, phénomène devenu extrêmement préoccupant puisqu’il conduit à de suicides.
Voici quelques-unes des paroles de la chanson qui permettent la prise de conscience :
Tu rentres tôt, plus tôt qu’avant
Tu allumes ton ordi, tu attends
Ils sont tous là, derrière l’écran…
Les intervenants ont été formidables. Pas de langue de bois, parlant des problèmes dans un langage simple, efficace, concret, sans concession, dans le plus grand respect des Ados. D’où certainement le succès de cette manifestation. Ces intervenants savent parler aux enfants, en premier lieu Patrick Bruel, qui sait le faire sans jouer au copain, en restant à sa place d’adulte et de père, mais en connivence avec eux, aidé en cela bien sûr par son aura de chanteur-acteur. Il dira une chose capitale pour comprendre aujourd’hui ce qui se passe entre les Ados, à l’école et après l’école, c’est que maintenant la cour de récréation est sur le net, inlassablement.
La réalisatrice Amandine Stelletta toucha l’assemblée au cœur quand elle révéla qu’elle avait été victime de harcèlements pendant quatre ans : on lui disait tous les jours : Tu es conne, tu es moche, tu ne vaux rien, etc… tant et si bien qu’elle avait fini par admettre qu’elle était cela. Elle eut même un message : « Y’a qu’un pédé qui peut sortir avec toi », on était au milieu des années 90. Elle répondit à une question qu’elle avait tenté deux fois de se suicider. Finalement ce qui lui apporta la résilience chère à Boris Cyrulnik ce fut une lettre d’une amie d’enfance disant qu’elle regrettait de ne pas avoir su, et que c’était elle qui avait été la harceleuse pendant quatre ans !
On mit l’accent sur la lâcheté du et des coupables cachés derrière leur ordinateur ou smartphone, agissant souvent avec des identités usurpées. Sur la difficulté pour un Ado de parler de son harcèlement, car souvent il n’est pas écouté, pas cru, ou alors on pend ça pour une affaire de gosse. Sur le fait que le harcelé en arrive souvent à se croire fautif, à se croire être ce dont on l’accuse. Patrick nous informa que 70% des harceleurs avaient eux-mêmes été harcelés.
On leur montra les défenses : d’abord la loi qui interdit et punit le harcèlement jusqu’à trois ans de prison et des amendes, car c’est une forme d’assassinat psychologique, que les preuves sont conservées sur l’ordinateur et le smartphone. Mais surtout, avant d’en arriver là, parler, avoir le courage d’affronter les coupables, d’essayer de les raisonner.
Il y eut un silence intense lorsqu’on annonça que le ministère de l’enseignement déclarait qu’au moins 10% des collégiens étaient victimes de harcèlements, surtout quand Patrick Bruel fit remarquer que sur les 500 présents cela faisaient au moins 50 Ados concernés. C’est là qu’on se rend compte de l’importance du phénomène.
Puis on passa aux questions des Ados. De nombreux bras se levèrent. Les questions furent judicieuses, et les réponses constructives. Le témoignage d’un garçon montrant combien il avait souffert de la non écoute et l’absence de réactions des adultes qui l’entourent, arriva à point nommé pour conclure cette réussite exemplaire ; modèle d’une intervention efficace et nécessaire auprès de nos Ados, tant décriés aujourd’hui, souvent à juste titre. Mais n’oublions pas que les Ados sont pour la plus grande part le résultat de nos comportements, et premières victimes de nos inventions.
Serge Baudot
2ème épisode.
Participaient au débat :
Amandine Stelletta, la réalisatrice, Patrick Bruel, Bernard Nossé, représentant le Camp des Milles, Catherine Blaya, présidente de l’Observatoire International de la Violence, université de Nice-Sophia Antipolis, Sophia Lafi, conseillère d’éducation au Collège Pagnol, Laurence Jakab, infirmière scolaire et Jacky Pamart, président de l’association « Arrêt Demandé International ».
Le constat de tous est l’effet dévastateur de ces harcèlements dans l’enfance et l’adolescence car les personnes harcelées ne s’en remettent jamais vraiment, ce qui a souvent de graves conséquences sur leur vie professionnelle, affective, de couple et favorisent les dépressions, l’anxiété, le manque de confiance.
Il faut aussi savoir qu’un quart des jeunes harcelés vont jusqu’à la tentative de suicide.
L’objectif de toutes ces personnes est donc d’identifier les bonnes pratiques universelles afin de pallier à cet état de fait, ce qui n’est pas particulièrement facile, les jeunes ayant souvent honte de leur situation et gardant pour eux ce secret jusqu’à quelquefois ce geste fatal. Par ailleurs, ce qui revient souvent chez ceux qui finissent par en parler, c’est la peur d’être « une balance » et des autres conséquences que cela peut avoir.
Ce que chacun affirme est évidemment qu’il ne faut surtout pas banaliser le problème et faire son possible pour que les jeunes osent en parler, à leurs parents, leurs frères et sœurs, leurs amis, leurs professeurs et jusqu’à la justice s’il le faut.
Il faut aussi avoir un dialogue avec les harceleurs en leur montrant l’impact que cela peut avoir sur leurs victimes et en cela, les films d’Amandine Stelletta sont très explicites. Souvent d’ailleurs, il se trouve que 70% des harceleurs ont été des harcelés ou ont des problèmes avec leurs parents. Par ailleurs, 45% des harcelés deviendront des harceleurs.
Cette pratique n’est hélas pas nouvelle mais a tendance à s’amplifier avec l’arrivée d’Internet, des Iphones et autres techniques nouvelles car d’abord, cela peut devenir plus anonyme et surtout se répercuter en dehors de l’école, à tout moment. Le cyber-harcèlement aujourd’hui, devient une pratique de tous les jours et prend une énorme amplitude.
On se rend compte aujourd’hui que, dès huit ans, même si c’est encore rare, certains enfants ont un compte facebook, ce qui est très grave et il est difficile d’endiguer et même d’interdire ce genre de pratique. Il faut donc, dès la maternelle, arriver à ce que les enfants puissent d’abord s’exprimer sur leurs émotions, quelles qu’elles soient et comprennent la notion de danger qu’ils n’ont pas toujours en surfant sur Internet.
Mais pour cela, il y a besoin d’interactivité entre tous ces services, ces établissements scolaires et ces associations qui luttent contre cette pratique qui fait beaucoup de dégâts. Sans oublier que les parents sont également les premiers concernés.
« Si j’ai réalisé ces films – nous dit Amandine Stelletta – c’est que j’ai été, durant quatre ans, victime de harcèlement au collège. J’ai été en thérapie durant quinze ans et j’ai fini par cesser de ruminer ce traumatisme en essayant de transformer mon vécu pour aider les enfants mais aussi les adultes qui ont été des enfants harcelés.
Pour faire ces films, j’avais besoin de fédérer des artistes connus car ce sont eux qui font le mieux passer le message autour de ce phénomène de société. A travers ces fictions, je veux dire qu’il faut apprendre aux enfants à reconnaître leurs souffrances et faire se rendre compte aux adultes pourquoi ils sont devenus dépressifs, pas sûrs d’eux, mal dans leur vie car certains ne font pas le lien avec les traumas de l’enfance. »
Tous sont aussi certains que les enfants harceleurs sont conscients de ce qu’ils font mais ne prennent pas conscience de la gravité de leurs actions et des conséquences. Il faut donc aussi dialoguer avec eux, ce qui est important.
« Le maître-mot – ajoute Patrick Bruel – est de faire tomber le mur du silence car sans libération de la parole de l’enfant les murs ne tombent pas. Il faut que les parents soient attentifs, à l’écoute et bien surveiller l’enfant qui, lorsqu’il est en détresse, devient un excellent comédien pour la cacher. Evidemment, suivre aussi attentivement ce qu’ils font sur Internet car il n’est pas question de leur en interdire l’accès, ce qui aujourd’hui, serait impensable mais déjà essayer de maîtriser l’outil pour apprendre aux enfants les dangers qu’on peut y trouver.
J’ai écrit une chanson en 2009 sur ce silence des enfants, harcelés, « Maux d’enfants » et je regrette d’avoir attendu trois ans pour la sortir avec le clip. Mais nous, artistes et parents par ailleurs, nous avons un rôle à jouer pour faire tomber ce silence dévastateur »
Jacques Brachet