Christian CHAVASSIEUX : L’Affaire des vivants (Phébus Collection Littérature française)
Dernier livre et premier roman de Christian Chavassieux, » l’Affaire des vivants » est une saga familiale sur fond de fin de siècle et de révolution industrielle.
Né sous la Troisième République, le héros, fils aîné d’un couple de paysans, les Persants se voit affublé par son grand père du prénom « Charlemagne ». Un lourd héritage qui le guidera tout au long de son ambitieuse destinée.
Très vite considéré comme différent par ses trois frères et ses parents « le Grand »va, en effet, se forger une mentalité de battant. Doté d’un caractère fort, d’un sens aigu du commerce et d’une ambition farouche, Charlemagne va constituer en empire industriel autour d’une idée de toile caoutchoutée. Rien ne lui résiste : « les affaires, les femmes, les relations, tout se plie comme le noisetier entre ses poings ».
La première partie du livre raconte son ascension ; son charisme fait plier le monde. Fort de sa réussite financière, il pénétrera la bourgeoisie lyonnaise et épousera la femme qu’il souhaite. Aucune place n’est faite aux sentiments, à l’empathie.
Inévitablement alors, la deuxième partie du livre annoncera sa chute. Ses frères méprisés se rebellent, son fils Ernest vit en dilettante, oisif et dépourvu de la virilité de son père. Charlemagne finira sa vie tragiquement et son empire s’effondrera.
Le contexte historique partout présent, fait de cette saga un roman digne de Zola ou d’Hugo. On retrouve la peinture de la société de la fin du XIXème siècle, avec l’émergence du mouvement ouvrier, des formulations racistes et des propos homophobes. L’écriture est belle et forte, le vocabulaire précis, le rythme impose une lecture rapide
En résumé un roman de terroir comme on les aime, foisonnant, riche de péripéties et propice à l’évasion, même si l’auteur s’immisce parfois (procédé sympathique) et d’un clin d’œil nous ramène à la réalité : il s’agit bien d’une fiction!
Clara DUPONT-MONOD : Le Roi disait que j’étais diable (Ed Grasset)
L’auteur donne la parole à Aliénor d’Aquitaine et à son époux Louis VII, afin d’évoquer la vie et le destin de cette reine rebelle. Cette adolescente de quinze ans, libre, ambitieuse et violente détonne dans ce XIIème siècle où les femmes n’avaient aucun rôle à jouer. Elle déplaît à la cour.
Cette enfant du Sud aux tenues voyantes défie sans cesse l’Eglise, mais aussi son mari, héritier non préparé de ce Royaume de France, souverain très fragile, homme pieux et timide. Pour la conquérir il s’empare de Poitiers, incendie Vitry en Pertois avant de s’engager dans la seconde croisade, Aliénor à ses côtés. Il l’aime et souffre. Deux vies que tout oppose, un mariage sans amour où le pouvoir est convoité par l’un et l’autre.
Elle fera annuler leur mariage pour épouser un autre roi, Henri Plantagenêt d’Angleterre.
L’auteur nous transporte au cœur d’un Moyen Age en pleine mutation dans ce roman vif au style tranchant, qui réinvente les premières années d’Aliénor, comme Reine de France, au milieu des chants des troubadours et du fracas des armes.
Florence BREMIER – Le signe de Dédale (Ed Oskar)
Comme lors de ses précédents romans, « De mémoire d’assassins » et « Les héros sont fatigants ! », sans compter un nombre incalculable de nouvelles, ce nouveau roman est un polar.
Mais un polar un peu spécial puisque ses héros – pas si fatigants que ça ! – se nomment Macidon, Lycomède; Gréséis, Nikolidès…
Ca y est, vous pigez ? Nous sommes à Athènes et il faut remonter à 438 avant Jésus-Christ pour s’installer dans ce véritable imbroglio qui a pour but de – peut-être ! – découvrir le trésor de Dédale, cet architecte qui a créé le labyrinthe afin d’y enfermer le Minotaure et qui donna la solution à Ariane pour en sortir.
Alors voilà, il va falloir garder ce fil en main pour ne pas se perdre dans… les dédales de cette poursuite semée de cadavres, de mystères, de chasse au trésor.
Indéniablement, Florence Bremier a un style et quelle originalité de mêler Polar et mythologie, suspense et humour car si elle nous emmène dans un sombre drame, elle le fait avec le rire qui déconnecte les situations, et l’on y apprend plein de choses même si quelquefois les astérisques nous font un peu perdre… le fil !
Il faut se concentrer sur l’histoire et aussi s’acclimater aux noms des personnages qui ne s’appellent par Roger ou Gontran et quelquefois on s’emmêle les pinceaux !
Mais c’est pour mieux nous séduire et surtout nous donner envie d’aller jusqu’ au dénouement final.
En fait, il est très marrant de se perdre dans son histoire à rebondissements multiples et ça nous change du policier pur et dur qui traverse un dédale de rues sombres et pluvieuses pour retrouver l’assassin !
Kaoutaz HARCHI : A l’origine, notre père obscur. ( Actes Sud)
Divisé en quinze chapitres d’une dizaine de pages chacun, tous précédés d’une citation biblique, ce curieux livre de Kaoutar Harchi explore la violence des rapports hommes/femmes dans une société où la culture traditionnelle répressive laisse peu de place aux sentiments.
Peu importe l’époque ou le pays ; nous sommes dans « une maison singulière, aux frontières du réel ». Dans cet endroit, seules se retrouvent des femmes essentiellement accusées d’adultère par leur entourage hypocrite. L’honneur des hommes bafoué, elles ont été éloignées de leurs familles.
Parmi elles, une jeune fille née dans cette maison, et sa mère tentent d’exister. Autrefois mariée à un veuf, répudiée sur la dénonciation calomnieuse du fils de ce dernier, la mère n’exprime ni révolte, ni espoir ; elle-même gardienne des traditions, elle accepte son sort entourée de « tous ces autres corps maternels flamboyants. ». La vie dans ce lieu clos, sans intimité, fait d’une promiscuité continuelle, ne nous est pas présenté comme hostile. Les corps se côtoient, se frôlent, apparaissent « comme le seul lieu fixe du bonheur ».
La jeune fille vit proche de sa mère, sans aucun déploiement de sentiments, privée de l’existence de son père. La mort de La mère la délivrera et elle se mettra donc en quête du père. Mal reçue par sa famille retrouvée, face au machiavélisme de son demi-frère, elle sera abusée par son père et repartira….
L’intérêt de ce roman ne se situe cependant pas dans l’intrigue, mais plutôt dans ce qu’il nous est donné de comprendre du cheminement de cette jeune fille. Élevée sans amour, elle s’émancipera au contact du monde et va apprendre à s’aimer elle-même pour trouver sa voie
Écrit dans une langue recherchée d’où jaillissent les images d’un monde qui nous est étranger, ce roman est d’une grande qualité littéraire. Le rythme rappelle celui des battements du cœur, le style, haché, lancinant ressemble à une plainte.
Un texte rare. Un roman différent et enrichissant.
Fouad LAROUI : Le dernier des Sijilmassi ( Ed Julliard )
Un brillant ingénieur décide un jour de quitter le poste important qu’il occupe pour retrouver un rythme de vie plus paisible et conforme à celui de ses père et grand-père. Il démissionne et part à pied pour son village où il espère « faire le point » en toute quiétude mais il n’en aura guère le loisir parce qu’il est vite confronté aux mentalités rétrogrades qui perdurent dans sa famille comme chez les voisins ou la plupart des habitants de la petite ville.
Dans un style agréable, avec un humour réjouissant, l’auteur traite de sujets très sérieux comme le malaise des Marocains instruits dans des langues occidentales et la difficulté qu’ils peuvent éprouver à communiquer avec la langue de leurs ancêtres . Il est question de l’Islam, des différentes façons de le comprendre ou de le vivre. Les anecdotes sont savoureuses et feraient presque oublier la gravité de la situation que génèrent dans une même population l’ignorance et l’obscurantisme des uns face à l’évolution intellectuelle des autres . C ’est le XXIème siècle face au Moyen-Âge et c’est difficile à vivre !
Romain SLOCOMBE : Avis à mon exécuteur (Ed Robert Laffont)
L’auteur écrit depuis plus de 35 ans , il est aussi photographe , cinéaste, peintre ou auteur de polars (« Mortelle résidence », « Première station avant l’abattoir »…) .
Il a obtenu un grand succès avec « Monsieur le commandant » en 2011 .
Dans les années 30, le héros de ce livre est un communiste convaincu. Il fait parti des agents de renseignements soviétiques qui travaillent à l’étranger. Quand il découvre les machinations anti-révolutionnaires de Staline pendant la guerre d’Espagne ou les purges en URSS, il est trop tard pour quitter les rangs. Il travaillera pour le NKVD à son corps défendant, pour sauver sa peau et celle de sa famille !
Rattrapé par la folie meurtrière du régime stalinien il finira « suicidé » dans un hôtel de Washington
Ce livre bien écrit et très documenté, mélange fiction et réalité. Il révèle après bien d’autres ouvrages, la folie meurtrière du maître du Kremlin avant la deuxième guerre mondiale, les purges, les procès. Les assassinats des premiers bolcheviques dépassèrent la folie meurtrière de Hitler.
L’auteur met en évidence la situation inconfortable de tous les serviteurs du régime, proches du sommet ainsi que la mauvaise foi des intellectuels français ou autres qui ont fait abstraction de toutes ces monstruosités pour continuer à encenser l’indétrônable « petit père des peuples ». Tout ce que ce roman révèle n’est pas nouveau, à quelques détails près, et de nombreux auteurs ont récemment traité le même sujet, mais il faut reconnaître à celui-ci une excessive minutie dans les détails et les comptes-rendus des opérations, ce qui pourra être considéré comme un défaut ou une qualité suivant ce que recherche le lecteur.
Mathias MENEGOZ : Karpathia (Ed : P.O.L)
En 1833, le jeune capitaine de l’armée impériale d’Autriche-Hongrie, le comte hongrois Alexander Korvanyi, quitte l’armée pour épouser Cara von Amprecht, autrichienne qui préfère la vie à la campagne plutôt qu’à Vienne et refuse la vie de garnison.
Ils partent s’installer en Transylvanie, sur les terres du comte d’où la famille Korvanyi s’est enfuie il y a cinquante ans après une révolte de ses serfs qui ont tué leur maître. Ceux-ci sont de trois nationalités : Hongrois, Saxons et Valaques, ils se jalousent mais haïssent tous profondément le comte. Tout ce que ce dernier entreprend sur ses propriétés, ils le considèrent comme une brimade.
Pour fêter leur retour au pays, les Korvanyi organisent pour leurs voisins une chasse aux loups, ces animaux étant sensés leur tuer des moutons et avoir dévoré un enfant. Rapidement, la chasse va prendre des allures de guérilla et se transformer en chasse à l’homme.
Pour écrire son roman, l’auteur a passé plusieurs mois en recherche à la Bibliothèque Nationale autrichienne. Il a voulu retranscrire son savoir tout neuf dans son roman et noie le lecteur dans une multitude de détails qui embrouillent le récit et l’alourdissent de passages fastidieux.
La vie, oh combien difficile, des serfs et les difficultés du comte à se faire accepter finissent par y perdre tout leur intérêt.
Marc BIANCARELLI : Les orphelins de Dieu ( Ed Actes Sud)
Ce roman se déroule dans les montagnes corses au XIXème siècle. Il relate une traque organisée par une jeune fille qui veut venger son frère que des brutes ont défiguré après lui avoir coupé la langue pour s’assurer de son silence , et un vieil homme sur le déclin, tueur à gages de son état et réputé pour sa sauvagerie « l’Infernu ». Ce voyage est aussi pour l’Infernu un retour vers un passé émaillé de violence et d’horreurs qui ont construit sa personnalité. Une sorte de complicité nait également entre les deux personnages pourtant si différents. Paradoxalement ce dernier contrat amène le vieil homme vers une sorte de rédemption.
Un roman très violent qui retrace des épisodes sanglants des guerres d’indépendance en Corse au XIXème siècle, des personnages excessifs auxquels il est difficile de s’identifier mais ce qui est intéressant c’est cette alternance de passé et de présent qu, peu à peu, donne les clés de la personnalité du vieil homme et annonce une sorte de rédemption.
Ce roman est intéressant, dense, la langue est riche, la construction originale mais l’accès en est difficile.
Eric Vuillard : Tristesse de la terre ( Ed Actes Sud)
Ce récit retrace, à travers la vie de Buffalo Bill, le bien triste destin des indiens d’Amérique et tout particulièrement la tribu des Sioux. Eric Vuillard appuie son histoire sur une sélection de photographies d’indiens en grand apparat ou humiliés, de Buffalo Bill triomphant, de colonels satisfaits de leur tristes victoires. Des victoires sur un peuple manipulé, précipité par un hiver rigoureux vers une mort certaine, soit de faim et de froid, soit sur le champ de bataille.
Buffalo Bill a utilisé les derniers indiens valides en créant le premier grand show à travers l’Europe de 1900 à 1913. Même la reine Victoria a assisté et applaudi les cascades de ces indiens réduits à n’être que des animaux de cirque. Pauvre Sitting Bull, que faisait-il dans ces tournées loin de ses prairies du Wyoming ? Pour malheureusement être lâchement assassiné de retour chez lui. Buffalo Bill est désormais riche, même très riche, « l’indianomania » de l’époque provoque la ruée vers tout objet ayant appartenu à un indien, parfois même un bébé adopté pour finalement mourir dans la plus grande tristesse.
Avec son Wild West Show, Buffalo Bill a créé le concept du grand spectacle, il est le précurseur de Luna Park, il a aussi créé sa propre ville selon son nom, Cody, actuellement visitée par les touristes amateurs de rodéos !
Eric Vuillard traduit l’infinie tristesse d’un peuple à qui l’identité a été volée, il ne lui reste que le folklore. Récit émouvant sur un peuple fier anéanti par le mépris, l’insolence, l’inhumanité de généraux grossiers et veules.
Eric Vuillard aimerait que le lecteur envisage une autre version des faits, celle qui donne la victoire aux indiens et leur enlèverait ce voile de tristesse permanent.
Oui, pensons-y, l’histoire aurait pu être autre.
Pauline DREYFUS : Ce sont des choses qui arrivent (Ed Grasset)
La vie mondaine parisienne du gratin aristocratique français pendant la deuxième guerre mondiale, est décrite à travers un couple :
Lui, duc d’empire, très conventionnel, ne considère un être humain que par son « pedigree ».
Elle, descendante des rois de France, ravissante mondaine, ne fréquente que les personnes de renom tels Cocteau, Arletty, Guitry, Paul Valérie, Karajan, Flora Goult, Marie-Laure de Noailles… les grands couturiers et modistes tels Worth, Paquin…s ans oublier les restaurants à la mode tel Maxim’s….
La guerre ne les concerne pas car elle n’est pas trop cruelle pour ceux qui ont les moyens d’en contourner les rudesses.
« Réfugiés » sur la Riviera française où l’on maintient les usages au milieu du chaos, des amis juifs de Proust cherchent auprès du couple des sauf-conduits. Ces visites ébranlent la jeune femme qui, de retour à Paris, en mauvaise santé traitée à la morphine, cherche, au début, à comprendre, par curiosité. Puis son regard change sur les évènements loçrsqu’elle découvre, à la mort de sa mère, que son père biologique était juif. Secret bien gardé !
Ses préjugés volent en éclats; les brimades infligées aux juifs se mettent à l’offenser. Elle devient provocatrice…
Très bien documenté, dans un style précis, ce livre décrit la vie mondaine de cette époque. Un régal !
Dans ce contexte, y introduire avec beaucoup d’ironie, le drame d’une filiation qui tourne au naufrage est un tour de force .
Bravo pour ce second roman !
Pierre VENS : La nuit Grecque (Ed Albin Michel)
Vincent aurait tout pour être heureux : une belle situation, une femme aimante un fils qu’il adore.
Mais tout va se détériorer lorsque son entreprise décline, qu’il fait tout pour rester à flot sans vouloir en parler à sa femme mais peu à peu l’entreprise sombre et lui avec.
C’est au cours d’un voyage à Athènes que sa vie va complètement basculer. Un soir qu’il en prise avec tous ses problèmes, il entre dans une boîte gay alors que jusque là il n’a eu aucun penchant homosexuel et son regard croise Théo, un jeune grec vers lequel il est irrésistiblement attiré. Cela semble réciproque et il se laisse aller à cette aventure qu’il pense être d’un jour, par dépit, par tristesse, pour oublier ses problèmes…
Mais très vite cette rencontre devient passionnelle. Il découvre son homosexualité, il tombe fou amoureux de ce jeune garçon très ambigu quant aux sentiments qu’il semble partager mais non dénués d’intérêt, qui va l’entraîner dans une passion dévorante, une spirale infernale de sexe et d’alcool.
Malgré tout l’amour qu’il continue à porter à sa femme et la compréhension de celle-ci, le couple évidemment va éclater. Quant à lui, il prendra le chemin d’une fatale et sordide déchéance jusqu’à la rupture avec ce garçon qu’il a du mal à comprendre et qu’il a dans la peau.
Sept ans plus tard, Vincent s’est reconstruit tant bien que mal. Il n’a plus eu de nouvelles de Théo, jusqu’au jour où il reçoit la lettre d’un avocat qui lui annonce que son fils devient propriétaire d’une maison en Grèce léguée par Théo. Il va retourner sur le chemin de ce qui fut pour lui le paradis et l’enfer et va découvrir des choses…
Ce livre, qui est un premier roman, est bouleversant et vous prend très vite aux tripes. Pour écrire des pages aussi belles et touchantes, il semblerait qu’il y ait du vécu là-dessous tant les sentiments contraires évoqués sont à la fois réalistes et poignants. L’on suit cet homme à la dérive avec toujours l’espoir qu’il va s’en sortir. Pierre Vens écrit avec délicatesse, décrit avec tendresse et violence ces sentiments contraires que vit son héros et l’on se prend alors à les partager : que ferait-on si cela nous arrivait ?
Rarement ce délicat sujet a été abordé avec tant de rigueur, d’évidente vérité. C’est en quelque sorte un rite, une passerelle entre deux vies, un passage sur une autre rive qui ne peut se réaliser que dans le tumulte. On ne tombe jamais dans le pathos ni dans le graveleux. C’est un grand roman écrit avec une belle plume prometteuse, qui ne peut vous laisser indifférent.
Dominique BONA : Je suis fou de toi – Le grand amour de Paul Valéry (Ed Grasset )
Défendant toujours sa famille et son écriture, malgré de nombreuses maîtresses, personne n’a su prendre possession de Paul Valéry même pas cette encombrante mais brillante Catherine Pozzi dont l’exigence intellectuelle n’avait d’égale que son physique ingrat.
Alors qu’il était au bout du rouleau – soixante-dix ans et une mélancolie chronique – il rencontre Jeanne Loviton-Voilier. Jeune femme moderne, pleine de santé et de dynamisme, ambitieuse, divorcée, elle est avocate et chef d’entreprise. Lui a besoin de tendresse ce qui le rend vulnérable et amoureux comme un ado plein de sensualité. Elle devient « la muse, le public, le modèle, le thème et ….la récompense ». C’est sa drogue! Elle cherche une épaule et est éblouie par ce grand esprit, plein de charme et d’humour. Pour la jeune fille humiliée qui vivait chichement avec sa mère, d’avoir séduit un académicien français, docteur Honoris Causa de plusieurs universités étrangères, professeur de poétique au collège de France, adulé et couvert d’honneurs, quelle revanche éclatante, bien que ce soit une liaison cachée.
Mais Paul Valéry ignore le territoire encombré de cette femme fascinante qui, sans remords, dans la plus grande discrétion, parallèlement collectionne des amants illustres ( Giraudoux, Saint John Perse, Malaparte, une femme très brillante, Yvonne, Robert Denoël etc.)
Ce dernier était le seul prêt à divorcer pour elle. A l’annonce de ce futur mariage Paul Valery se laisse mourir
Dans un très beau style classique, c’est une somptueuse biographie, écrite par une spécialiste du genre qui plonge le lecteur dans la vie intellectuelle de 1937 à 1945. Avec beaucoup de délicatesse, l’auteur fait un portrait sensible et touchant de ce grand homme célèbre et vieillissant, dont elle dissèque les tourments à travers ses nombreuses lettres bien sélectionnées ( quatre cent cinquante deux au total)
C’est la victoire du cœur sur la raison. Tandis que son idole, jeune femme ambitieuse et moderne, a su charmer sans remords nombre d’hommes célèbres dont Paul Valérie pour qui elle a eu un vrai penchant.