AVANT PROPOS
Je suis arrivée en Avignon consciente que les grèves, les manifestations successives consécutives aux revendications des intermittents du spectacle allaient rejaillir sur l’ambiance générale du festival dans son ensemble (In et Off)
En effet! Les mouvements de revendication ont troublé la fête bien que les représentations dans le Off aient été maintenues.
Greg Germain qui pilote le Off depuis de nombreuses années avait pourtant annoncé dans un communiqué du 30 juin 2014: « Les Compagnies, elles, n’ont pas le choix!…elles ont le dos au mur. »
Malgré cela (ou à cause…) l’ambiance fut plombée!
30% de fréquentation en moins dans les salles le bilan comptable est vite établi:
Les petites compagnies et les petits théâtres en ont fait les frais …à part quelques salles historiques qui ont bien tiré leur épingle du jeu en surfant sur le sérieux habituel de leur programmation.
Greg Germain qui annonce une légère baisse des abonnements au Off concède néanmoins: « Le festival était chaotique et morose. »
Idem pour les restaurants.
Bref, tout le monde (responsables, critiques, amoureux du théâtre) s’accorde pour dire que le Off a besoin d’être repensé. Comment?
– Meilleur accueil des Compagnies,
– Amélioration constante des lieux de spectacles
– Éviter une inflation des spectacles.
– Revoir la qualité: trop de prestations sans éclat, sans trouvailles, influencées par des pratiques commerciales arrivées tout droit de la capitale….
Je ne dis pas que j’ai eu un agenda pléthorique de spectacles sélectionnés mais j’ai pu me faire plaisir!
Pour conclure : les spectateurs présents n’ont pas eu à bouder leur plaisir!
Je signale le prix du public théâtre : il a été attribué à: « Les coquelicots des tranchées » joué à l’atelier théâtre actuel à Avignon.
LE OFF
DANY MAURO
Textes de Dany Mauro et Zac – Créa Lumières: Stéphane Dufour – Musiques: Mario Santangeli – Collaboration artistique: Michel Lerousseau
Programmations futures: Vendredi 19 et Samedi 20 septembre 2014 à 20h30 + séance supplémentaire samedi 20 septembre à 17h45 – Courbevoie – Espace Carpeaux
Le public, comme de partout d’ailleurs, est rapidement conquis! Dany Mauro a du talent et de l’énergie à revendre ! Le public a besoin d’oublier la morosité ambiante: pouvoir d’achat en berne, intermittents en colère menaçant d’annuler des spectacles…Il faut un bon plan pour se changer les idées: Avec Dany Mauro c’est réussi!
Ce dernier, excellent imitateur, passe en revue toutes les icones de la chanson française avec une justesse de voix parfaite.
La transformation, elle aussi est bluffante, quasi instantanée -du talent avec une étonnante facilité: finesse, cruauté, sans trivialité.
Rapidement, grâce à une écriture acérée, à ses imitations, il conquiert l’assistance, la sollicite, passe à la parodie en se référant bien sûr à l’actualité politique, à l’écologie et au show-business.
Un imitateur qui a la pêche! Qui aime son public qui le lui le rend bien!
A consommer sans modération!
DU LUXE ET DE L’IMPUISSANCE – De Jean-Luc Lagarce
Mise en scène: Ivan Morane. Avec Jean-Charles Mouveaux et la voix de Stanislas Nordey
Programmation à la rentrée 2014 aux « Déchargeurs » à Paris
« Quand on est totalement désespéré, on ne fait rien, on tente de se maintenir en vie »: Jean-Luc Lagarce
Je savais que ce spectacle allait créer chez moi des émotions très fortes et que je ne ressortirais pas de la salle de théâtre avec ce sourire béat que les gens ont à la fin de certaines comédies!
Avec JL Lagarce: « La vie est là, à chaque mot, évidente, simple, bouleversante. Elle est là, à pleurer. La Vie et la Mort surtout. » Ivan Morane
Le metteur en scène a rassemblé des textes et des éditoriaux écrits par l’auteur pour des théâtres et des revues. Convaincu qu’il s’agissait d’un seul récit, il en a fait une œuvre théâtrale à l’intention de Jean-Charles Mouveaux.
Le personnage lucidement raconte sa Vie: ses désirs, ses combats, ses hauts et ses bas; sa Mort aussi, à laquelle il doit se préparer: discours sur la vie et l’engagement, sensible, lucide mais aussi désespéré.
Seuls les mots comptent, la vie est là, « à chaque mot, entre chaque mot. »
Sur la scène: le comédien, remarquable, qui donne vie aux mots.
Le décor est minimaliste: Une simple valise, un miroir dans une loge, un peu éblouissant comme « pour accepter de se regarder pour regarder le monde….prendre dans sa vie, les deux ou trois infimes lueurs de vie de toutes les autres vies… au risque de perdre ses propres certitudes… ».
Et une ombre: Barbara qui parle, qui chante…
Et leurs ombres à tous les deux qui m’ont poursuivie longtemps…
LA FUITE. Texte de Gao Xinjiang -(prix Nobel de littérature en 2000)
Traduit du chinois par Julian Gélas – Mise en scène : Andrée Brusque
Avec Arben Bajraktaraj, Hélène Chevallier, Simon Fraud
« La fuite » est inspirée par des faits réels: On pense bien sûr aux « Evènements de la place Tian’an men » à Pékin en 1989 (il y eut plus de 3000morts!)
Mais ces faits hélas témoignent tous les jours de l’actualité !
Au chœur de ce chaos, une jeune actrice, un étudiant et un homme trouvent refuge dans un théâtre à l’abandon..
La fuite : Mouvement de survie, instinct… dans l’urgence d’échapper aux commandos envoyés par le pouvoir pour balayer de manière radicale toute contestation. L’envie de survivre, de fuir, de danser, de s’aimer prend le pas sur la peur de périr.
Chacun agit dans l’immédiateté, selon ses pulsions: pulsions de vie ou de mort.
« -Tu dois me faire jouer! » demandera-t-elle à l’étudiant;
Rapports de force, stratégies liées à la terreur: séduction, partage, exacerbation, suspicion, doute, violence, désespérance -attitudes qui signent les alternances des états d’égarement.
Explosions extérieures et intérieures:
Dans cette recherche désespérée de s’en sortir, malgré le danger imminent qu’ils perçoivent à proximité: Qui domine? Et comment?
La mise en scène a su répondre à l’enjeu, mettre en évidence l’état d’urgence: rythme rapide, espace exigu, implication puissante des acteurs.
Mais personnellement j’ai trouvé que le jeu de la comédienne était en retrait en rapport à la partition exceptionnelle demandée aux trois comédiens.
La pièce se termine par des considérations sur le statut de la femme qui me semblent altérer l’axe principal de la pièce: Comment résister ? S’engager ? Lutter ?…
Je laisserai le mot de la fin à Gao Xinjiang sur le sens de son œuvre en général :
« Je n’écris pas pour laisser des choses derrière moi, mais pour soulager ma souffrance. »
A voir assurément.
« Homaj à la chochon française » : BLOND and BLOND and BLOND
Mise en scène: Elsa Granat
TO, MÂR et GLÄR, absurdes suédois – 1 musicien et 2 comédienne débarqués je ne sais quand de leur Scandinavie natale (ça s’entend) reprennent un « homaj » à la « chonchon française » qui est en fait une parodie.
Tous trois semblant sortis de je ne sais quelle planète: Monty Python? Abba?…et d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître….
Ne vous y trompez pas! C’est moderne, décapant, original, déjanté! Azimuté peut-être!
En tout cas très maîtrisé.
Ça déménage! Coups de griffe, coups de cœur! Gainsbourg, Chantal Goya, Barbara… Avec talent! Avec brio!…
Des parodies, des saynètes, qui déclenchent l’hilarité du public: savoureux!
Crise ? Qui a dit crise ? Crise de fous rires !
Bon sang! Ce spectacle m’a donné du baume au cœur!
JEANNE ET MARGUERITE de Valérie Péronnet
Mise en scène:: Christophe Luthringer, avec Françoise Cadol ( Françoise Cadol double habituellement les voix de Sandra Bullock et de Angelina Jolie)
Il s’agit de deux histoires d’amour à 100 ans d’intervalle: mêmes joies, mêmes chagrins, et toujours passion!
L’auteur a retrouvé la correspondance amoureuse de sa grand-mère Marguerite.
Cette dernière âgée de 16 ans en 1907 avait rencontré sur la plage un jeune homme.
Lui, il était accompagné de son jumeau. Elle, était chargée de veiller sur son frère cadet malade.
Tout avait commencé par ce dialogue:
« Venez vous baigner avec nous!
– Mais je ne sais pas nager!
– C’est simple, il suffit de se laisser porter! »
Marguerite ne se laissa pas porter mais emporter par sa passion… qui dura de longues années malgré les séparations et les guerres…malgré les conventions sociales et morales de l’époque. Leur correspondance amoureuse en témoigne…Cartes postales tombant soudain dont on ne sait où?
Jeanne, notre contemporaine vit avec son temps, elle surfe sur Internet. Mais elle n’est pas heureuse: c’est une solitaire déprimée.
Elle correspond avec James: oui… Elle tape avec colère sur son clavier, vivant désespérément une aventure qui l’exalte mais la laisse seule, oscillant entre réalité et fantasme.
James, mystérieux amant, lui donnant des rendez-vous incertains dans des hôtels de circonstance..
Les longs silences de l’inconnu, ses réapparitions soudaines: elle laisse éclater sa colère, devant ce clavier, pages tournées avec énergie, salle sombre et petite écritoire:
La mise en scène est géniale: Près de l’écritoire, petite lumière dorée et kitch pour Marguerite, lumière vive pour Jeanne.
Deux destins de femmes, même passion, même sensualité, mêmes frustrations.
Humour, causticité; clin d’œil final lorsque Jeanne, assise devant son ordinateur, aperçoit passant devant sa fenêtre, un petit bateau portant cette inscription : Marguerite. Un signe? » Les chagrins se retirent comme la mer ».
A ne pas manquer, si le spectacle était programmé dans votre ville.
LA LISTE DE MES ENVIES. De Grégoire Delacourt
Adaptation: Mikaël Chirinian et Anne Bouvier – Mise en scène: Anne Bouvier
Avec Mikaël Chirinian
Molière 2014 « meilleure seule en scène ».Tournées prévues jusqu’en juin 2016.
Jocelyne, mère de famille modeste, tient une boutique de mercerie à Arras.
Elle joue à la loterie une seule fois et son destin bascule: elle a gagné le gros lot!
Elle qui se voyait autrefois styliste à Paris pourrait perdre la tête!
Pas du tout! Elle commence par lister tous ses petits et grands rêves. « Ces petits riens qu’on achètera la semaine prochaine et…qui confirmeront que nous serons toujours vivant. »
Registre de la vraie vie! amour, amitié, trahison, frénésie de l’argent…
Tout au long de la pièce voilà un beau portrait de femme!
Son mari n’aura pas un aussi beau rôle : « Ce qui nous manque le plus ne s’achète pas! »
Mikaël qui interprète tous les rôles m’a touchée par son jeu subtil, drôle et émouvant, dans ce monologue poético-romantique plein de vérité.
J’ai apprécié la mise en scène, fluide et esthétique.
A voir sans hésitation si le spectacle est programmé dans votre ville.
PROMENADE DE SANTE – Une comédie dramatique de Nicolas Bedos
Mise en scène: Nicolas Bedos. Avec Charlie Dupont – Tania Garbarski
Succès dans toute la France: la pièce a été à nouveau à Avignon le 20 août 2014 avec Mélanie Laurent. De nombreux représentations sont montées dans toute la France avec divers interprètes et metteurs en scène.
A Avignon, de nombreuses compagnies nous sollicitent pour des spectacles de qualités diverses et variées. J’ai fait le choix d’une pièce de Nicolas Bedos, auteur et metteur en scène: D’autant que la pièce se joue au théâtre du Chêne Noir dirigé par Gérard Gelas: c’est un label de qualité!
Il s’agit d’une rencontre entre deux patients dans le jardin d’un hôpital psychiatrique (Beau décor – superbe arbre de vie).
Elle, assise sur un banc, écoute de la musique. C’est alors qu’il survient, la drague, la provoque, lui casse sa radio sous prétexte qu’il n’aime pas cette musique.
Elle, c’est une danseuse, maniaco-dépressive, nymphomane, toujours en cure.
Lui, il se présente: il est bipolaire, alcoolique, pervers narcissique…
Ils évoquent leur propre vécu de patients :
« … On sait ce qu’on a
On sait ce qu’il faut faire, ne pas faire…
Mais on ne se guérit pas d’être soi… »
Ils se plaisent…
Promenade de santé: c’est une comédie romantique. C’est drôle mais grinçant, c’est émouvant mais cynique, c’est délicat mais parfois très cru: tout Bedos??
Le jeu de la comédienne est excellent, tout en nuance. Pour le comédien, c’est plus facile: le registre oscille entre séduction et provocation.
Excellent spectacle, je ne regrette pas mon choix!
UNE VIE SUR MESURE – De Cédric Chapuis
Mise en scène de Stéphane Battle – Cédric Chapuis auteur interprète
De nombreuses représentations ont été et seront encore programmées partout en France.
L’adolescent Adrien ne vit que pour sa batterie, il est dans « son monde », il se moque « des qu’en dira-t-on », des aléas de la vie, des échecs sociaux, du regard des autres.
Il est différent des autres, dans cette histoire fusionnelle avec son instrument.
Cédric Chapuis a souhaité que « l’innocence et l’enthousiasme de ce personnage fassent rire, surprennent puis émeuvent tour à tour »
C’est bien de cela dont il s’agit: une passion qui nous parle de toutes les passions, faite de toutes les émotions et aspirations, à la limite de la marginalité dans une existence mouvementée qui s’est jouée de toutes les bassesses, de toutes les mesquineries grâce à cet amour pour son instrument.
Ce spectacle, ce n’est pas une leçon de musique, ni une exhibition , c’est une leçon de vie et une performance: de l’enthousiasme, de la tendresse, du talent, cela nous va droit au cœur!
Un spectacle léger, fin, très émouvant, un appel à la tolérance…
Un vrai bonheur ! Courez-y vite s’il passe dans votre région!
Le IN
Festival audacieux, tranquille et vigilant
La programmation du Festival très riche et alléchante, s’est étendue du 3 au 27 juillet. Cette édition 2014, portée par Olivier Py, artiste et créateur, a tenu la promesse de l’éditorial du programme: « tout ce qui nous dépasse ». Car en Avignon, les projets vont plus loin que les désirs et les pensées. Poétique et politique constamment liés rendent le Festival au-delà d’une somme de spectacles, un lieu traversé par la conscience du monde.
Pas d’artiste associé à la programmation comme les années précédentes.
Près de la moitié des artistes invités ont moins de trente-cinq ans.
Retour au texte avec quatorze auteurs vivants et de nombreux classiques, de Shakespeare à Kleist.
Les aléas n’ont pas manqué:
– Climatiques : temps tourmenté tout au long du mois -orages, pluies, mistral, ont arrêté, reporté ou annulé des spectacles-.
Je n’oublierai pas le déluge lors du spectacle « Coup Fatal » dont je vous parlerai plus loin: Plateau inondé, spectateurs évacués – ardeur des équipes techniques pour « écoper »
– Bonheur de la reprise trente minutes après!
– Politiques: je ne m’étendrai pas sur les problèmes « des intermittents ». Déclarations diverses, avant chaque spectacle (dont le fameux discours de Victor Hugo prononcé en 1848 à la Tribune de l’Assemblée Nationale et repris avant la pièce d’Olivier Py, « Orlando »). Spectateurs solidaires mais avec, aussi, à force, le sentiment d’être pris en otages.
Pour le Festival, le dommage moral et financier a été lourd.
Pour sa première édition à la direction du Festival Olivier Py imagine Avignon en capitale utopique du monde méditerranéen.
Des invitations particulières: Grèce, et/ou Proche Orient, pays en tension. Débats, rencontres sur le versant socioprofessionnel au Cloître St Louis ou pour tous au site Louis Pasteur de l’Université.
Problématique majeure: géopolitique de crise qui malmène la liberté des peuples et les pousse à résister. Vision d’une Europe XXL étendue au Maghreb et au Machrek; de l’intime à l’universel; de notre quartier à l’Océanie.
Rappel que la culture se doit d’être toujours et au meilleur sens du terme une arme politique.
Fidélité à ceux qui ont fait le succès du Festival (Claude Régy, Thomas Ostermeier, Alain Platel, Ivo Van Hove) mais aussi émergence d’une nouvelle génération d’artistes et ouverture pédagogique au jeune public.
Pari, d’un Festival d’Avignon exigeant et populaire.
« A travers l’adversité, vers les étoiles »: Le Prince de Hombourg -Kleist
LE PRINCE DE HOMBOURG . De Kleist (1810)
Dans les pas de Jean Vilar: Création en 1951 avec Gérard Philippe et Jeanne Moreau, même lieu.
Olivier Py propulse le passé dans l’avenir quand il demande à Giorgio Barberio Corsetti, de présenter « le Prince de Hombourg », pièce mythique dans l’histoire avignonnaise.
Kleist tisse son poème sur une fable simple: au cours de la bataille de Fehrbellin (1675) qui opposa les Brandebourgeois aux Suédois, le Prince de Hombourg enfreint les ordres de son oncle, le Grand Electeur, mais remporte le combat . Malgré cette victoire, il est condamné à mort pour son indiscipline.
C’est l’occasion pour G.B. Corsetti, metteur en scène de théâtre, d’opéras et de spectacles circassiens, de défendre ce qu’il considère comme la seule chose importante au théâtre: la poésie. Il se dit peu concerné par la légende Vilar. Que trouve-il dans une pièce qui date de 1810? Les contraires qui se frottent: discipline militaire, liberté séditieuse, du rêve et force du désir.
L’inconscient à l’œuvre. Chemin initiatique qui mène vers la vie.
Ce prince qui pendant son sommeil, se voit couronné de lauriers n’est-il pas un double de Kleist qui connut lui-même la guerre -il dut s’enrôler à 15 ans-, rêva d’être adoubé comme poète et se suicida à 35 ans?
La mise en scène est féérique: le mur est particulièrement intéressant car il donne l’impression que l’on peut se fondre dans l’abîme. L’exploration de toutes les pistes de l’inconscient et du réel, du rêvé et du vécu donne des images aussi poignantes que belles: l’apparition de Hombourg nu et couronné de lauriers par des hommes aussi nus, telles des statues vivantes, la course folle de ce même prince enfourchant un cheval imaginaire qui se dessine sue la façade de la Cour.
Très grand spectacle, sensible, intelligent, épure absolue, belle distribution:
-Xavier Gallais, excellemment lunaire, à la fragilité émouvante, héros noir complexe, contemporain, pris dans les rets de ses contradictions, manipulé (scène de début: crise de somnambulisme), que l’on habille comme une poupée, suspendu (suite à son évanouissement); eux images fortes que je garderai en mémoire pour leur point commun : le héros comme personnage du destin, un pantin.
-Luc Antoine Diquero, Grand Electeur, impressionnant et sévère.
-Anne Alvaro, « sa tante », toute en compassion et en dignité.
-Eleonore Joncquez, son amie, combattante
Les tournée s: Début 2015, jusqu’en mars à Sceaux, Toulon, Villeurbanne et Liège.
Spectacle diffusé sur Culturebox pendant six mois
AN OLD MONK
Théâtre musical, parlé, chanté – De Josse De Pauw et Kris Defoort – Avec Josse de Pauw – Musiciens: Kris Defoort – Lander Gyselinck -Nicolas Thys
Le vieux Monk danse. Alors que sa main trace un groove sec, il abandonne le piano, s’étire et se met à danser à la fois joyeux et solitaire…pas tout à fait quand il évoque, non sans émotion, ses parents, sa famille, pour lesquels, traditionnellement, chaque repas se terminait par la danse.
C’est une idée ancienne que celle de cette collaboration entre Kris Defoort et Josse de Pauw. Ce dernier, figure de la scène flamande depuis la fin des années 1970; le belge qui est à la fois acteur et quel acteur! -présence scénique hors normes -fait partie de cette constellation qui a révolutionné la scène flamande et européenne depuis qu’il a créé en 1977 le collectif Radeis avec Anne Theresa De Keersmaeker et Lan Lauwers -a écrit lui-même cette pièce autour du vieillissement et du désir.
Cela remonte au moment où un médecin lui a diagnostiqué un diabète. Il s’est retrouvé fâché avec son corps. Il dit que dans la vie il a peur mais qu’au théâtre il se sent à l’aise.
Il raconte donc et célèbre l’ingéniosité, le rire, la vie et surtout la musique et la danse! Qui permettent une certaine légèreté, et surtout la fête!
On ne présente plus Thélonious Monk (1917-1982) une des figures essentielles de l’histoire du jazz. Kris Defoort, considéré comme l’un des musiciens les plus passionnants de la nouvelle génération du jazz belge s’inspire brillamment avec Josse de Pauw de l’œuvre du célèbre pianiste et compositeur.
Cela donne un spectacle drôle et émouvant sur la volonté de vivre, de bousculer les normes, de refuser la conformité, « sur le désir de soulever les vieux os plus haut que ce que l’on attendait,, sur le corps et l’esprit, et comment ils n’arrivent jamais à s’accorder -Sauf peut-être, le temps de quelques pas de danse. » Josse de Pauw
Parallèlement au spectacle sont projetés une centaine de dessins de Benoît Van Innis à qui Josse de Pauw a remis une pile de photos faites par Bache Jespers. L’auteur lui a demandé en riant de dessiner sa vie et il a mis dans le mille, dit Josse de Pauw.
Inflation de narcissisme. Pour ma part, j’ai ressenti une certaine lassitude à les regarder. Il y en avait trop.
Cela n’enlève en rien à l’improvisation et à la liberté de cette soirée. Cette harmonie et ce plaisir dans les interactions ont produit un spectacle frais et étincelant: Théâtre musical dans ce qu’il a de meilleur.
COUP FATAL – Alain Platel en parfait chef d’orchestre
Concert virevoltant, trépignant, dont on ne peut oublier qu’il affirme la vie sur un sol miné par la guerre.
Spectacle musical de Serge Kakudji contre ténor congolais; Fabrizo Cassol compositeur; Alain Platel chorégraphe et un orchestre de Kinshasa.
Création époustouflante, de force, de vitalité, de jouissance et de joie qui fusionne répertoire baroque (Haendel, Vivaldi, Gluck) et musique congolaise, le tout théâtralisé.
Dans le cadre d’un programme de coopération démocratique du Congo que développe le KVS -Théâtre Royal Flamand de Bruxelles, il est proposé au contre ténor de donner un récital baroque à Kinshasa. Ce dernier choisit des arias et constitue une formation au Congo avec des instrumentistes très différents (jazz, musique congolaise traditionnelle ou populaire).
Ensuite Fabrizio Cassol et Alain Platel les ont rejoints.
Les codes du répertoire baroque sont gardés et mêlés aux influences et sonorités congolaises tant et si bien que cette musique perd son accent occidental et devient la leur.
« Coup Fatal » est avant tout un concert. Alain Platel est intervenu sur les aspects dramaturgiques et scéniques.
Treize musiciens chanteurs et danseurs congolais, d’âges divers, dans des costumes signés Dorine Demuynck qui a donné à cette troupe éblouissante l’allure de la Fièvre du Samedi Soir.
Les morceaux choisis portent un sens dans les opéras dont ils sont extraits. Le contre ténor tient la cadence, emporte avec lui ces garçons qui excellent dans le balafon, le xylophone ou likembé aussi appelé « piano à pouces ».
Durant ce récital on a droit aussi à un défilé un peu allumé des « Sapeurs », ces dandys africains. Figures éblouissantes qui témoignent pour celui qui les porte de son épatante énergie. Rappel que la frime est aussi un art de survie. Flamber en costard flashy tout en se moquant des signes extérieurs de richesse a tout d’un acte de bravoure. La relation qu’ils entretiennent entre geste et musique est incroyable: il ne faut pas oublier que Kinshasa est la patrie de la Sape, Société des Ambianceurs et Personnes Elégantes.
La mort qui ne rode jamais loin de la vie dont elle avive l’urgence est au centre de « Coup Fatal ». Le seul élément de décor qui le rappelle : un rideau scintillant d’apparence fragile est constitué de douilles rappelant l’horreur vécue.
Malgré l’orage qui a interrompu le spectacle pendant une demi-heure, la quasi-totalité du public s’est levée pour acclamer les musiciens, comédiens, danseurs alors même que le contre ténor, en larmes, était « soutenu » par ses camarades. Séquence émotion, donc! Inoubliable…
Je n’en dirai pas plus car des surprises vous attendent:
« Coup Fatal » sera bientôt un disque dont le groupe a déjà commencé l’enregistrement mais en attendant repérez les dates et lieux de leur tournée et allez-y!
Cela vaut largement le détour.
« Coup Fatal rassemble toutes les catégories: les jeunes, les vieux, tout le monde s’y retrouve.
« Il y a un côté futile; pour le Congolais, il n’y a pas de futur, on vit au jour le jour et cela se sent dans la pièce. » Constate Serge Kakudji.
I AM – Lemi Ponifasio
L’artiste néo-zélandais, chorégraphe, chef samoan, a présenté sa nouvelle création dans la Cour d’honneur du Palais des Papes: une commémoration de la Première Guerre Mondiale.
C’est une lamentation sur l’échec de notre humanité. C’est un hurlement (et c’est en ce sens que le spectacle est fatigant à suivre car les incantations maoris sont plus qu’agressives à l’oreille), face au système « civilisé » qui masque notre nature humaine.
« La terre est jonchée de nos rêves brisés, de la pauvreté, des dégradations environnementales, de notre instabilité économique. Chaque jour nous faisons la guerre et nous éparpillons le sang et la chair de nos enfants morts dans les déserts et les marais boueux. »
A partir de ce bien triste bilan, Lemi Ponifasio établit son approche artistique moins sur des méthodes conventionnelles que sur des voyages humains. Dans chaque ville où le projet sera présenté il travaillera avec des volontaires ce qui fut le cas avec des amateurs de Champfleury.
INTERIEUR. De Maurice Maeterlinck
Mise en scène: Claude Régy
Spectacle en japonais sur titrage en français – Comédiens Japonais
« Silence!… » On se serait cru sur un plateau de cinéma!…alors qu’on faisait tout simplement la queue avant de pénétrer dans la salle.
L’injonction nous était donnée par le dramaturge lui-même. » Le spectacle commence déjà là où vous êtes… »
L’ambiance était donnée…
Il y a trente ans, Claude Régy montait pour la première fois « Intérieur ».
Cette nouvelle création se fait avec des comédiens japonais dans une nouvelle exploration des frontières entre la vie et la mort.: -La pièce montre deux hommes discutant de la façon d’annoncer la mort d’une jeune fille à sa famille.
Cette double réflexion s’exprime donc par deux niveaux de conscience: Une enfant est décédée. -La tension de ceux qui savent et de ceux qui ignorent atteint son paroxysme par un jeu de lumière qui délimite l’espace (dedans- dehors). Le temps s’étire jusqu’au moment où la nouvelle de la mort est annoncée. Il y a comme une attente et aussi un rapport très évident entre le conscient et l’inconscient. Une partie des personnages sait, l’autre non.
C’est la fragilité de cette frontière qui intéresse Cl.Régy.
Deux mondes sont séparés et cependant des échanges constants la traversent. -Prémonition de ceux qui ne savent pas, non-dits de ceux qui savent.
Montrer l’inexprimable a toujours été la quête de Cl. Régy. Selon son habitude, le temps est ralenti: La lenteur permet de changer complètement la notion que l’on a de l’espace et du temps. Avec ces acteurs dont certains font du Tai-chi, gestes et démarches sont extraordinairement ralentis.
Dans son travail, Claude Régy dit qu’il tend de plus en plus à réduire le texte écrit: « Intérieur » compte une dizaine de pages. L’essentiel est précisément ce qui n’est pas écrit comme chez Duras, Sarraute. Henri Meschonnie affirme que le silence n’est pas un arrêt du langage mais une catégorie du langage. M.Maeterlinck dit que les amants ne se sont pas connus s’ils ne se sont pas tus ensemble.
Les acteurs japonais sont exceptionnels, la mise en scène majestueuse. Le public ne peut qu’adhérer -s’il n’est pas pressé!
Du 9 au 27 septembre 2014, Maison de la Culture du Japon à Paris
ORLANDO OU L’IMPATIENCE – Le coup de Griffe de Olivier Py
C’est une pièce éminemment politique qui égratigne le pouvoir et traite des relations ombrageuses entre le théâtre et les politiciens.
Mais c’est aussi autobiographique: Olivier Py met un peu de tout et beaucoup de lui dans cette comédie fleuve, saga de 4 heures, emplie d’humour , folle, délirante, insolente, touffue, très souvent flamboyante où il est question du sens de sa vie dans, avec et par le théâtre, ses jeux d’illusion, de vrai et du faux.
C’est un morceau de choix baroque, écrit à la sauce Olivier Py, parfois un peu long et un peu répétitif, qui peut s’égarer sur des propos de vaudeville, style café du commerce pour se reprendre ensuite avec réflexion et emphase dans de grands élans mystiques à la Paul Claudel. O. Py sait se moquer de lui-même. Cela donne d’hilarantes scènes comiques qui alternent avec des propos délayés sur des thèmes qui lui sont chers: le rapport à la religion et au mystique.
L’histoire est relativement simple: un jeune homme qui cherche son père traverse le monde et la force insondable du théâtre.
Dans un décor de coulisses et de cintres tout en bois, Orlando part donc à la recherche de son père inconnu. Sa mère, actrice, incapable de lui dire son géniteur, l’égarera sur de fausses pistes. Il va ainsi connaître toutes sortes de désillusions en croyant trouver son père dans chaque père de théâtre.
Dans ce divin fourre-tout, O.Py glisse des attaques assassines: contre un ministre de la culture impuissant et masochiste; contre un gouvernement incapable de soutenir les artistes dans une société uniquement préoccupée de rentabilité économique.
Il est facile de reconnaître à qui O. Py fait allusion: Renaud Donnadieu de Vabres et Frédéric Mitterrand! Cf. la nomination et l’exclusion de l’Odéon, de O. Py!
A travers la quête d’Orlando, O.Py raconte à quel point la scène est le dernier autel de la spiritualité et combien le vide que doivent chercher les acteurs pour être capables de tout incarner peut devenir notre plein à nous spectateurs. Et nous mener à la joie! Poétique, politique, mystique, hystérique et forcené. Qu’importe! C’est beau!
Au milieu des échafaudages en perpétuel mouvement imaginés par Pierre André Weitz, entre une mère vampire effroyablement épatante (Mireille Herbstmeyer) et des pères névrotiquement absents, on découvre que la plus grande liberté est dans l’obéissance, la néantisation de soi et le tout dans le rien. Beckettien, Olivier Py ?!
Je ne peux pas oublier de signaler les interprétations remarquables:
– Philippe Girard, tour à tour metteur en scène, auteur, père exalté, père désespéré, père déshonoré, père oublié, et pour finir père « recommencé »
– Eddie Chignara pour Frédéric Mitterrand
– Et sur un autre registre Jean-Damien Barbin, véritable métronome du spectacle. Drôle et espiègle; sa finesse comique est irrésistible quand il nous dit qu’il faut -cesser de combler les trous des rues, du ciel ou du cœur! (Par tout ce que l’on connaît comme prothèses -magnésium, ostéopathie, etc…) -accepter fondamentalement le manque; autrement dit -l’impatience. C’est Vital!
C’est ce qu’apprendra le beau et naïf Orlando (Matthieu Dessertine) dont la mère finira par lui asséner « qu’être au monde, c’est être en deuil…qu’il faut apprendre à être sans père » et que finalement « nous sommes seuls, sans réponse, et il faut entrer en scène »!
S’il est un message à retenir de cette pièce aussi joyeuse que désespérée; c’est sans doute « qu’à la fin, quand toutes les vérités nous ont trahis, il reste le théâtre. »
VITRIOLI – De l’auteur grec Yannis Mavritsakis – Mise en scène : Olivier Py
La pièce témoigne de ce que c’est qu’être un jeune athénien aujourd’hui.
Spectacle violent, noir, cri de désespoir d’une génération perdue.
Tout commence par une scène paroxystique de désenvoutement.Le même acteur joue le prêtre et le médecin. Au cœur d’une famille malade, l’inceste, la haine, la destruction sont au travail: Manipulé, maltraité, incapable de se révolter, le jeune héros se laisse rouler dans la boue noire. Olivier Py ancre Vitrioli dans une tragédie d’aujourd’hui tout en bâtissant ce huis clos familial sur des vestiges de tragédie grecque:
– la mère, à l’amour dévorant et incestueux, renie son fils à la première scène mais également sur le fondement des tragédies d’aujourd’hui:
– Le père est absent, son substitut travaille dans un abattoir tout en adorant les animaux.
– Monde qui s’effondre. Le spectacle est la métaphore de le Grèce actuelle.
Dans une scénographie bi-frontale -les spectateurs sont de part et d’autre du « ring », sur terre brune de Pierre André Weitz, c’est un combat avec l’âge qui puise au fonds tragique ses humeurs et ses personnages.
Les sept interprètes rompus au jeu classique des grands poètes fondateurs sont impressionnants dans la violence expressive, l’engagement des corps jusqu’à la nudité. Humains impuissants à vivre dans une pièce qui donne à voir la crise, l’effondrement.
Spectacle épuisant à suivre pour le spectateur pour de multiples raisons: violence des scènes, des paroles, rythme trop rapide des sur- titrages.
La pièce de Vitrioli est plus noire que celle des anciens. Son pessimisme est à la mesure de sa lucidité dans une absence totale de cynisme et de posture moralisatrice. Inquiétude d’une jeunesse totalement dé spiritualisée. Miroir très lourd pour le spectateur confronté de façon violente à la mise en lumière du salut qui ne vient de nulle part. Vérité crue, marquée du sceau du désenchantement: vivre ainsi sans réponse est l’ultime message.
Donc tout va bien! « La beauté sera convulsive ou ne sera pas » disait Georges Bataille.
Il en est plus que jamais ainsi.