Pierre ASSOULINE : Sigmaringen (Ed Gallimard)
En Septembre 1944 le maréchal Pétain, son gouvernement fantoche et leur famille, sont transférés en Allemagne, dans le château des Hoenzollern, réquisitionné par Hitler .
Reçus par le majordome du prince chargé de l’organisation de tout ce petit monde, du bon fonctionnement de la nombreuse domesticité comme de la préservation du château , les nouveaux arrivants sont répartis en fonction de leur importance et de leurs affinités .
Certains se considèrent comme prisonniers voire comme otages, d’autres continuent à se croire importants et continuent à se livrer une lutte sordide pour un pouvoir illusoire.
La vie du château est racontée par le majordome, il a l’œil ouvert ainsi que les oreilles, est conscient de la dignité et de l’importance de sa mission, en homme détaché des contingences et indifférent aux miasmes de l’actualité politique.
Parallèlement, la petite ville proche du château voit arriver de nombreux réfugiés français que leur statut de « collabos » a incité à fuir devant l’avance inexorable des troupes alliées, parmi eux un certain Céline reconverti en médecin des pauvres !
Avec son talent habituel l’auteur dresse un tableau fascinant de la situation, il crée un huis-clos étouffant de rancœur dans un style clair, présente ces personnages réels dans toute leur vérité, fait ressortir la bassesse ou la dignité, la lucidité ou l’aveuglement, l’intelligence ou la bêtise des uns et des autres. On apprend beaucoup sur tous ces personnages qui ont été responsables d’une période peu reluisante de notre Histoire et aussi sur la gestion d’un château de cette importance. La pression monte avec les bombardements, l’approche des troupes alliées, la présence de la gestapo et les soupçons d’espionnage ….
L’auteur nous fait revivre cette période avec passion, c’est un roman bien sûr et même un très bon roman mais qui s’appuie sur une réalité historique très précise.
Julian BARNES : Quand tout est déjà arrivé (Ed Mercure de France)
traduit de l’anglais par Pierre Aoustin.
Il suffit de trois chapitres dûment intitulés pour comprendre le livre que Julian Barnes vient d’écrire.
Ainsi « le péché d’élévation » est le chapitre où Félix Tournachon, plus connu sous le nom de Nadar, se demande quelle est la meilleure hauteur pour apprécier, aimer le monde et ceux qui l’habitent, pressent que le plus lourd serait en aéronautique l’avenir du vol humain, et diable roux, éternel amoureux de sa femme s’élève pour mieux photographier notre terre.
« A hauteur d’homme »résume la chute de Fred Burnaby, colonel anglais qui après avoir bourlingué à travers tout l’empire britannique, tombe éperdument amoureux de Sarah Bernardht. Malheureusement la chute est vertigineuse pour ce sympathique colonel qui ne se relèvera pas des futures trahisons de la divine comédienne; s’élever en montgolfière ne suffit pas, l’atterrissage n’est pas sans douleur.
Dans le troisième chapitre, » la perte en profondeur », L’auteur met son cœur à nu après la mort de sa femme. Un amour fusionnel détruit en trois semaines après le diagnostic d’une tumeur au cerveau. Pas le temps d’apprivoiser l’inéluctable, il est anéanti. Il va décrire ses faiblesses nouvelles, son rapport avec le monde qui se transforme. Malgré l’absence il poursuit ses conversations avec sa femme, détecte ses sourires, son humour; sa radieuse curiosité lui manque. Il n’y a plus d’écho! Ilrelève lesmaladresses de ses amis qu’il met mal à l’aise. Il ne peut supporter la foule d’où il se sent exclu encore plus seul. Pourquoi arriverait-il quelque chose quand tout est déjà arrivé?
Alors il se contente de vivre comme elle aurait aimé qu’il continue à vivre. La vie se déroulera à nouveau à hauteur d’homme.
L’émotion gagne au fil des pages, distrayantes pour Nadar et l’idylle de Sarah Bernardht et son colonel anglais, mais poignantes dans cette exploration du veuvage et de l’égocentrisme du chagrin.
Philippe BESSON : La maison atlantique (Ed Julliard)
Après son bac, le narrateur est obligé de partir en vacances avec son père qu’il déteste, dans leur maison sur l’Atlantique, alors qu’il aurait voulu suivre ses copains dans le Midi. De son point de vue, son père est responsable du suicide de sa mère et, trop occupé par son travail et ses conquêtes féminines, il ne s’est jamais occupé de son fils. Il est décidé faire la tête et à ne pas céder aux tentatives de dialogue.
L’arrivée d’un jeune couple va interrompre le face-à-face père fils, le père renouant avec son besoin de séduction. Le lecteur sent le tension monter, et suit le déroulement du drame annoncé dès les premières pages du roman.
Les phrases sont courtes, incisives, les chapitres aussi. Ce fait-divers prendrait quelques lignes dans le journal local et Philippe Esson n’en écrira guère plus.
Roman glacé et glacial
A noter: la lecture de ce livre sera différente selon les épreuves vécues ou non par le lecteur. Mais admirons l’honnêteté de l’auteur qui avec des mots simples et touchants lui ouvre son cœur.
Guillaume HENRY : Les chevaux du vide (Ed le Rocher)
L’auteur, spécialiste du cheval et de l’équitation, est ici le personnage principal de ce roman. La couverture du livre est une calligraphie d’un maitre Zen qui explicite son récit
Pierre, le héros, être assez ordinaire, s’éprend d’une jeune femme qui l’entraine à sa suite dans le monde d’un haras parisien où il s’initie avec beaucoup de mal à l’équitation et traverse des situations assez rocambolesques. A la suite d’un accident de voiture avec sa compagne il se croit mort et se réveille dans le coma ou plutôt nous le retrouvons dans le coma. Il va donc nous faire vivre son coma à travers des aventures vécues mais enfouies dans son subconscient et d’évènements qui le dépassent. Il revit sa vie d’avant, ses déboires, ses échecs à travers ses rapports avec son cheval. Il finira par se réveiller de son coma en pensant que c’est ce cheval qui lui a permis de chevaucher le vide.
Roman étrange pour les non-initiés, nullement dramatique malgré le contexte et complètement farfelu parfois. On baigne dans l’incroyable et le surnaturel car rien ne choque l’auteur.
Ecriture assez banale mais roman intéressant par la parfaite connaissance de l’animal.
Dominique FERNANDEZ : On a sauvé le monde (Ed Grasset)
Deux jeunes étudiants français se retrouvent à Rome en 1930 à l’Institut d’Art, l’un étudie l’œuvre du peintre Poussin, l’autre, fils de Russes blancs émigrés, s’intéresse à Vouet. Ils sont tous deux homosexuels et antifascistes à une époque où il ne fait pas bon être l’un ou l’autre . Tentés par l’idéologie communiste par opposition à la politique du Duce, ils vont espionner pour l’Union Soviétique et s’installer à Moscou. Malgré leur enthousiasme pour les efforts que fait l’URSS pour mettre la culture en général et la peinture en particulier au service des masses populaires, ils ne tarderont pas à découvrir les horreurs du système et à en être victimes
Dans ce roman passionnant, Dominique Fernandez développe trois thèmes majeurs : peinture, homosexualité et politique
Le lecteur bénéficie de l’omniprésence de ses connaissances sur la peinture du XVIIème siècle, sur les variations et différences entre peinture française et italienne, peinture de l’instant chez Guercino, contre peinture de l’intemporel chez Poussin. La peinture soviétique du XIXème puis du XXème siècles, est décrite comme réaliste et socialiste, l’art russe nous apparaît comme narratif et pédagogique
L’homosexualité telle qu’elle est perçue à l’époque, oblige les jeunes gens à cacher leur nature profonde face à l’ostracisme général assorti d’éventuelles sanctions. A noter qu’il est plus question d’amour que de sexe .
Quant à la politique, le parallèle entre les méthodes fascistes et staliniennes, les surveillances policières les arrestations arbitraires, le climat délétère qui en résulte, la pénurie et la misère de ceux qui n’appartiennent pas à la classe dirigeante sont décrits avec autant de lucidité que de sincérité
Avec ce très beau livre, le lecteur prend la mesure d’une époque où fascisme et stalinisme faisaient la loi, une leçon d’histoire doublée de connaissance des arts.
De l’authentique Dominique Fernandez.
Marc KRYNGIEL : Maudit Best Seller (Ed Le Seuil)
Ce quatrième roman de Marc Kryngiel, nous invite à pénétrer dans les coulisses du monde de l’édition. Une surprise pour le lecteur qui aurait tendance à idéaliser cet environnement de culture et de création.
Le héros, Cyril Gramenk, trente ans, auteur en devenir, entretient d’excellents rapports avec son éditeur Robert Frossant. Ce dernier l’assure de son talent et l’encourage à rédiger, même si les livres déjà parus ne rencontrent que très peu de succès. Ceci pourrait être de bonne augure.
Pourtant, la vie personnelle de l’écrivain qui nous est présenté est décourageante : il ne trouve pas auprès de sa femme une sécurité affective et sexuelle équilibrante, il est toujours en manque d’argent. Il avoue lui-même « dans la fiction j’arrivais à m’en sortir mais dans le réel c’était une autre paire de manches » Une atmosphère peu propice à favoriser son génie créateur !
S’ensuit alors une série d’évènements qui vont bousculer le cours des choses. En manque d’idées Cyril Gramenk va s’approprier un manuscrit qui lui avait été confié par un certain Alexandre Martin. Le récit est autobiographique : c’est l’histoire d’un viol : « Je fais n’importe quoi ».
A peine publié, et contrairement à toute attente, le livre est un succès. Mais les ennuis commencent…L’antihéros se complait alors dans des situations navrantes, c’est une spirale infernale de quiproquos, une dégringolade entretenue par l’immaturité du personnage.
Pour le lecteur, si les situations peuvent paraître cocasses, elles sont tout de même prévisibles et l’enchaînement des catastrophes lui laisse un goût amer.
Trop, c’est trop ; même le ton enjoué et l’écriture vive et légère n’y feront rien.
Drôle pour certains, peut être !
Valentin MUSSO : Sans Faille (Ed Le Seuil)
Le roman s’ouvre sur un court chapitre, sorte de « spin off », c’est-à-dire de scène se déroulant avec les mêmes personnages dans un univers de fiction différent. En fait nous ne savons pas qui sont les personnages, nous ne le découvrirons qu’à la fin.
Théo, trentenaire sexy, banquier, retrouve par hasard Romuald, un ami perdu de vue depuis plusieurs années. Celui-ci, un gamin des cités, qui s’est fait tout seul, affiche sa réussite. Il invite ses amis dans son chalet dans les Pyrénées afin de faire une randonnée en montagne. Se joint à eux un couple d’amis, David et Juliette. Mais les randonneurs sont peu aguerris et Romuald a oublié la carte. La montagne lui est-elle aussi familière qu’il l’a laissé croire ? Le groupe s’égare, ils vont coucher dans une grotte au lieu du refuge tant attendu.
Dans cette randonnée qui tourne au cauchemar, les doutes s’installent, les difficultés font ressurgir des rancœurs et le passé trouble de chacun. Quel secret lie Théo et Romuald ? De quoi est coupable Théo ? Celui-ci, de plus en plus affaibli commence à avoir des doutes, manque d’organisation ou préméditation ? Et c’est le drame…
Dans ce thriller, l’auteur fait la peinture d’une génération dorée rongée par la réussite et la revanche sociale. Une histoire d’amitié jalonnée de jalousies, d’envies, d’attentes pour les uns et de manquements pour les autres. Connaît-on vraiment ses amis ? Interrogation sur la nécessité du pardon ou de la vengeance.
Ce roman fascinant et terrifiant à la fois, fait habilement monter la pression. L’auteur nous fait vivre ces moments avec une émotion intense par de fréquents retours en arrière pour finir de nous déstabiliser. Roman puissant et bien écrit qui en fait un véritable « page-turner ».
Zoé VALDES : La Chasseuse d’Astres ( Ed Jean Claude Lattès- Littérature étrangère)
Déroutant parfois parce qu’il mêle les destins de deux femmes artistes, engagées, assumant leur liberté, mais séparées par un siècle de lutte et de conquêtes, le dernier livre de Zoé Valdès est cependant riche d’enseignement.
Tout commence par une vision sur une plage d’Acapulco : Zamia, écrivaine cubaine, aperçoit une jeune femme qui se définira comme une « chasseuse d’astres ». L’allusion au tableau de Remedios Varo, est le point de départ de ce roman, prétexte à une biographie comparée de l’artiste mexicaine et de la narratrice. Ainsi dans le texte, »Je » sera Zamia et « Elle » définit Remedios.
L’histoire de cette peintre surréaliste d’origine espagnole, émigrée au Mexique, morte encore jeune (55 ans), nous est alors révélée, sous forme d’un catalogue de faits historiques ou divers, de rencontres, de visions et prémonitions. Remedios Varo est née en Espagne au début du XXème siècle, elle fuit à Paris au début de la guerre civile puis à Mexico pendant l’occupation allemande. L’auteure chargée de cette biographie illustre les périodes tourmentées de l’Espagne, de la France, de Cuba et analyse l’œuvre de Remedios. Elle décrit les tableaux, les replace dans leur contexte. Nous sommes entraînés dans le mode de vie de l’irréalité et pénétrons l’avant-garde artistique des années 30. L’Espagne découvre le mouvement logicophobiste où les représentations sont plus sensorielles que compréhensibles, la France, le mouvement dada. Nous croisons d’autres peintres, – Salvador Dali est citév-, des écrivains, des poètes : André Breton, Eluard… la vie surréaliste est faite de liberté, de quêtes amoureuses, de désir.
Zamia se retrouve dans cette logique où le subconscient parle avant la cohérence. L’histoire de son héroïne est mêlée à la sienne. Elle dit : « Tandis que j’écrivais sur son œuvre, je récupérais mon propre passé ». Elle aussi, mariée à Pablo, un mari violent, diplomate, salarié de l’Unesco cherche à s’affranchir de ses entraves, pour peindre, écrire, gagner sa vie – elle ose poser nue – et tomber amoureuse !
Le récit de ces deux écorchées vives est parfois si proche que le lecteur aura du mal à attribuer à l’une ou à l’autre un destin ; il éprouve souvent un sentiment de grande confusion Qui est qui, qui fait quoi ? Mais l’écriture est enthousiaste et l’enseignement riche. Une raison véritable pour en finir sa lecture.