Andrée Bonifay, c’est une boule d’énergie qui ne reste pas cinq minutes en place, qui a mille idées à la seconde, qui est une femme multitâches, qui passe son temps à créer, animer, s’occuper de différentes animations, peindre ; femme on ne peut plus passionnée, volubile, défendant aussi bien les gens dans le besoin que la chanson française qui est sa passion.
Passion aussi pour son petit cousin, auteur, compositeur de près de trois mille chansons et dont elle porte le nom : Fernand Bonifay.
De Johnny Hallyday à Dalida, de Pétula Clark à Michèle Torr, d’Annie Cordy à Bourvil, de Luis Mariano à Georges Guétary, de Georges Brassens à Maurice Chevalier, de Sacha Distel à Henri Salvador, de Frank Alamo à Richard Anthony, de Gloria Lasso à Sidney Bechet… Bon on arrête là car on ne peut pas citer tous les artiste qui l’on chanté sur plusieurs génération.
« Souvenirs, souvenirs », « Maman la plus belle du monde », « Je me suis souvent demandé », « 24.000 baisers », « Jambalaya », « Romantica », « Petite fleur »… Là encore je m’arrête car la liste des succès est longue.
Qu’il soit auteur, compositeur ou les deux, la vie de Fernand Bonifay est émaillée de ce qu’on n’appelait pas encore des tubes mais des succès.
Ce seynois né en 1920 et décédé en 1993, est encore vivant dans l’esprit des gens d’un « âge certain », ses chansons vivaces et Andrée en est l’artisan, tant elle se démène pour qu’il soit toujours présent dans la chanson française car les chansons sont toujours là, longtemps, longtemps après que l’artiste ait disparu. Et elle le fait savoir.
Son appartement est rempli de photos, de disques, de partitions, d’articles de presse, d’écrits d’artistes, de quoi constituer un musée.
Andrée a pris en main l’association « Les amis de Fernand Bonifay », à la suite de Jacques Suzanne qui l’a créé et elle y anime des conférences, des rencontres, des soirées dansantes et fait venir de jeunes chanteurs d’aujourd’hui pour interpréter les chansons de son cousin, avec des orchestrations qui en font des chansons intemporelles. Elle en a même fait un CD qui prouve l’intemporalité de ces chansons remises au goût du jour.
Elle méritait bien un portrait, même si, depuis les décennies qu’on se connaît, j’ai déjà eu l’occasion de le faire.
« C’est vrai que j’ai très peu connu Fernand. Je suis peut-être celle de la famille qui l’a le moins rencontré…. Mais qui le connaît le mieux et qui en parle le plus !
Pourquoi ?
Je me suis prise de passion pour lui, pour son répertoire. Lorsque j’étais petite, mon père chantait ses chansons. Il se cachait de mes grands-parents pour les chanter Mais déjà, j’aimais ses chansons. Il faut savoir que les Bonifay, c’est une grande famille très nombreuse et éclatée, il y avait toujours des histoires de famille. Sa tante Jacqueline avait un peu la main mise sur lui, du coup j’ai entendu parler de lui par hasard, lorsque je travaillais au service des eaux : un jour il appelle le service pour un problème, il se présente : « Je suis Mr Bonifay et j’ai un problème ». Je lui réponds « Je suis Andrée Bonifay, je suis votre cousine et je vais essayer de résoudre votre problème ! ». C’est ainsi qu’on s’est connu. Nous avons eu le temps de nous rencontrer quelquefois puis il est tombé malade et il a disparu.
Du coup, j’ai commencé à découvrir ses chansons, je me suis prise de passion.
Jusqu’à créer l’association des Amis de Fernand Bonifay ? Non, c’est Jacques Suzanne qui a créé l’association en 2003, que j’ai reprise en 2011 lorsqu’il s’est arrêté. On avait déjà fait l’inauguration du chemin en 2001 et grâce à l’association, j’ai fait des connaissances qui m’ont permis de découvrir des côtés du personnage que je ne connaissais pas, comme d’apprendre qu’il avait un diplôme d’aviateur que j’ai retrouvé sur Ibay !
A l’époque, tu n’avais rien de lui ?
Que quelques photos et des coupures de journaux afin de le découvrir sa vie d’artiste. Peu à peu, en cherchant, je trouvais des photos, des interviewes, entre autre celle de Jacqueline Lenoir où il raconte pourquoi il est né à Paris.
Il n’est donc pas né à la Seyne ?
Non. Son père était cheminot, il voyageait souvent et il était à Paris lorsqu’il est né. Mais la maison familiale était à la Seyne. On l’a d’ailleurs mis en internat et il était déjà un peu rebelle… Tu vois de qui je tiens ! D’ailleurs Jacques Suzanne me fait un immense plaisir lorsqu’il me dit : « Tu es aussi casse c….s » que ton cousin ! Comme lui, je suis perfectionniste à l’extrême. Lorsque j’organise quelque chose, il faut que ce soit toujours au carré… Même si ça me stresse !
Donc, tu découvres Fernand et tu commences à collectionner…
…Tout ce que je trouve sur lui, je commence à découvrir ses chansons. Il faut dire qu’il y en a plus de 2.300 dont 120 Succès. Internet m’a beaucoup aidé. J’ai récupéré des tonnes de partitions, d’articles, de documents, de courriers. On m’en a beaucoup donné aussi
Tu savais qui chantait quoi ?
Pas forcément car il y a des artistes que je ne connaissais pas comme Yvette Giraud qui chantait « Je me sens si bien ». Mais ma chanson préférée est « Je me suis souvent demandé » que chantait Richard Anthony. Dalida a beaucoup chanté de chansons de Fernand, « Romantica », « Je pars », « Tu n’as pas très bon caractère »… Michèle Torr a fait une merveilleuse interprétation de « Jimbalaya » qu’ont aussi chanté Mireille Mathieu, Hugues Aufray, Eddy Mitchell, Lucienne Delyle… Nombre de chansons ont été reprises par plusieurs chanteurs et chanteuses. Comme « Maman, la plus belle du monde »… Roberto Alagna, Dalida, Henri Salvador, Mathieu Sampéré, Luis Mariano, André Claveau, Vincent Niclo, Karen Cheryl, Tino Rossi, Michèle Torr… Et j’en passe.
Ils savent que ce sont des chansons ou des paroles de Fernand ?
Pour certains, je ne crois pas. Tu sais les auteurs et compositeurs sont des artistes de l’ombre. On dit que c’est la chanson de tel chanteur, rarement de celui qui l’a écrite ou composée. Ce sont ceux que l’on oublie le plus vite. On se souvient de la chanson, de celui ou celle qui la chante mais pas de leurs créateurs.
Fernand a commencé d’écrire à quelle époque ?
Très jeune, à l’école mais il a vraiment commencé à écrire à 15/16 ans, dans les années d’après-guerre et il a continué jusqu’à sa mort.
Tu as une photo de Fernand avec Brassens. Etaient-ils amis où ont-ils travaillé ensemble ?
Ils ont écrit « sur mon phono ». A la base, je crois qu’elle était écrite pour Bourvil qui l’a chantée. Chez Bourvil le titre est « Mon vieux phono ». Mais ce sont les mêmes paroles. Pour Bourvil il a aussi écrit « T’épier »… Tu vois le jeu de mots ?! Il adorait les jeux de mots et a été à bonne école car il a fait de l’art dramatique avec Raymond Devos.
Alors, tu as réalisé un CD avec la jeune génération !
Jacques Suzanne était encore président de l’association et lorsque j’ai annoncé que je voulais faire un CD. Personne n’a cru cela possible ! Je suis allée voir Fred Ambroggi de la Fabrique Sonore qui m’a dit qu’il allait m’aider, j’ai rencontré de jeunes chanteurs comme Laurent Lenne, Jennifer Marchiona, Cyril Wajnberg, Gilles Gaignaire et quelques autres artistes de la région et le CD est sorti sous le titre « 20 ans après »
Tu as dû avoir nombre d’apprentis chanteurs pour le disque.
Oui, j’en ai même eu un qui se prenait pour Mike Brant, il avait une assez belle voix mais il chantait faux et est arrivé tout de blanc vêtu… La chanson était un carnage ! Il s’est présenté à « The voice », bien sûr il n’a pas été retenu et… il s’est pendu dans la loge !!!
Aujourd’hui, donc, tu continues ?
Dans la mesure de mes moyens, le Covid a bousculé pas mal de choses, la salle Guillaume Apollinaire est fermée, louer une salle – et il y en a peu ! – devient très cher mais bon, je continue tant que je peux faire des choses. J’ai beaucoup mis de ma poche mais je me faisais plaisir. Et surtout, j’ai fait connaître Fernand que personne ne connaissait dans sa propre ville. Pour moi, c’est une belle satisfaction. Mon rêve serait que la Seyne fasse quelque chose… C’est peut-être naïf, par contre, je ne crois pas que ça intéresse beaucoup la ville. Qu’est-ce que je vais faire de tous ces documents ? Je ne sais pas…
Tant que je suis là, ça va… Mais après ?
A qui vont les droits d’auteur de Fernand ?
Ils tournent pendant 70 ans après la mort de l’auteur et ceux de Fernand vont à… sa compagne qu’on a découverte ! Déjà personne ne savait qu’il avait été marié, entretemps il avait divorcé et s’était mis en ménage avec une autre femme qui a hérité de tous ses biens et de ses droits d’auteur. Toute la famille a été en procès pour détournement de l’héritage.
Moi, je ne l’ai jamais rencontrée, elle ne m’a jamais fait d’histoire… et pour cause, puisque chaque fois que je fais quelque chose, c’est elle qui encaisse !
Ce que j’ai su plus tard c’est qu’au départ l’association avait été créée pour le procès. J’ai tout de suite mis le holà car ce qui m’intéressait c’était de faire connaître le patrimoine de Fernand, pas d’entrer dans ces combines.
Ce qui me fait plaisir, c’est d’avoir pu nommer une rue à la Seyne et une à Six-Fours, entre Jacques Brel et Edith Piaf et de faire connaître son œuvre. »
Propos recueillis par Jacques Brachet
Photos Alain Lafon et collection personnelle d’Andrée Bonifay
Les Amis de Fernand Bonifay – 06 60 39 43 33