Vous prenez le col tortueux de l’Escrinet et tout à coup, une pancarte on ne peut plus discrète : « Sculpteur ». On descend un petit sentier pierreux et l’on tombe sur une vieille bergerie d’où l’on a une vue incroyable.
Avant d’entrer, on entend des bruits de marteau et l’on se retrouve dans un immense lieu fait de bric et de broc, de ferrailles et de vieux objets rouillés. Et à genoux, un homme masqué soude dans un bruit d’enfer et d’explosions d’étincelles.
Jean-Louis Chipon est en train de s’occuper d’une chèvre couchée sur le flanc.
Car ce monsieur au regard bleu et au sourire avenant, crée des sculptures en fer dans la solitude de ce lieu envahi de fer.
Des animaux, beaucoup d’animaux, chèvres, moutons, poules, coqs, béliers et quelquefois un humain pour tenir compagnie à son cheptel.
Cet homme solitaire et talentueux, à l’imagination débordante, nous consacre un moment pour parler de son œuvre originale qui a envahi ronds-points, collines, jardins.
Pierre-Louis, parlez-nous de la genèse de cette passion et de cet art
Ce n’est pas mon métier au départ. J’étais agriculteur et éleveur de chèvres dans ce lieu même et là où l’on est c’était le bâtiment des chèvres !
C’est en 1986 que je m’installe en Ardèche et en 2000 j’arrête l’élevage de chèvres pour ne faire que de la sculpture.
Comment est venue cette passion ?
J’ai commencé à sculpter en m’occupant des chèvres. J’ai d’abord fait une chèvre que j’ai installée sur le piton au-dessus-de la route. Les gens ont vu la chèvre, ils en ont parlé, ils venaient acheter mes fromages et petit à petit, pour m’acheter des sculptures. Du coup, cette activité a grandi jusqu’à ce que j’arrête l’élevage.
Difficile de faire les deux à la fois !
Au départ c’est ce que je faisais, ça m’allait bien, c’était complémentaire. L’élevage m’obligeait à rester sur place, avec les animaux, je ne pouvais pas me déplacer et j’avais du temps libre. Mais à un moment, il a fallu choisir car mon activité de sculpteur était devenue plus importante que l’élevage. C’est le centre des impôts qui m’a obligé de choisir entre le statut d’agriculteur ou celui d’artiste. Deux statuts, c’était compliqué. Sans compter que l’élevage ne me permettait pas de me déplacer, de faire des expos.
Vous m’avez dit vous être installé en Ardèche. Alors, d’où venez-vous ?
Je suis de Bourgoin-Jallieu en Isère. Quand on connait Bourgoin, on n’a pas envie d’y rester. J’y ai vécu ma jeunesse mais je détestais cet endroit. C’était alors un endroit froid, peut-être aujourd’hui ça l’était beaucoup moins. C’était pluie et brouillard tout le temps, on ne voyait jamais le ciel bleu comme ici. Sans compter que l’autoroute Lyon-Grenoble a été construite juste à côté de notre maison et traverse la ville.
J’ai été au lycée agricole où j’ai rencontré un copain ardéchois qui m’a fait connaître cette région pour faire de la randonnée à vélo et là, coup de foudre.
A ma première visite, nous avons fait le col de l’Escrinet où nous avons dormi au hameau au-dessus. Le hasard a fait que j’ai trouvé une ferme à cet endroit.
Alors, cette sculpture particulière vous est venue comment ?
Par hasard. J’avais besoin d’un poste à souder pour fabriquer et réparer mon matériel. Je n’étais pas doué pour faire des choses techniques car je n’ai pas le compas dans l’œil. J’ai trouvé plus sympa de créer des sculptures. Et ma première chèvre a été la chèvre de l’Escrinet que j’ai mis sur le rocher en 1986. A l’époque c’était chez moi et c’était surtout pour faire la publicité pour mes fromages. En 92, une allemande qui venait d’acheter un mas m’a proposé de m’acheter la chèvre. Elle l’a emmené et ça a fait un pataquès auquel je ne m’attendais pas du tout : la chèvre a disparu, on a volé la chèvre… les infos en ont parlé, France 3 s’y est mis et il y a même eu un article dans le Monde !
Ca a bien sûr beaucoup fait parler de moi, on m’a réclamé une autre chèvre, et mon activité de sculpture a beaucoup augmenté à partir de 92.
Et du coup la ferraille a envahi votre lieu !
Je ne suis pas toujours obligé d’aller la chercher. Chez les fermiers il y a beaucoup de ferraille qui s’entasse et du coup les gens me l’amènent. Il y a des moments où je commence à en avoir trop car tout ne m’intéresse pas. J’achète aussi dans les vides greniers.
Cette ferraille, est-ce elle qui vous donne l’idée d’une sculpture ou avez-vous déjà l’idée de ce que vous voulez faire ?
C’est variable, il n’y a pas de règle, globalement c’est plutôt moi qui ai une idée et qui cherche ce que je vais utiliser. Mais certaines formes me donnent des idées. Ce sont les socs de charrue qui m’ont donné l’idée d’en faire des ailes de rapace.
On trouve beaucoup de vos œuvres sur les ronds-points. Vous travaillez avec qui pour les installer ?
Pour les chèvres ce sont celles qui symbolisent le fameux fromage Picodon.
Et tout ça a été organisé par le syndicat du Picodon qui gère cette appellation et qui est financé par l’Europe. Il a de gros moyens de promotion même s’il ne peut pas faire de publicité. Il a fallu trouver ce système de créer la route du Picodon. C’est ainsi que mes chèvres symbolisent ce fromage sur l’Ardèche et la Drome. Il y a donc nombre de chèvres sur les ronds-points de la région.
Et En dehors de ces commandes ?
Beaucoup de particuliers m’en achètent. Il y a moitié de particuliers, moitié d’organismes. Les particuliers sont des gens de la Drome et de l’Ardèche, qui ont des terrains où installer ces sculptures. Beaucoup de communes et de départements m’en achètent. J’ai aussi fait la route de la Clairette de Die dans la Drome.
Vous travaillez tout seul ?
Oui, toujours tout seul. Je suis incapable de travailler avec quelqu’un. La solitude ne me pèse pas, j’ai besoin de travailler à mon rythme. J’ai essayé quelquefois mais lorsqu’il y a quelqu’un près de moi, ça me perturbe, ça crée des interférences qui me gênent. Je travaille en toute liberté.
Du coup, vous ne passerez pas le flambeau à quelqu’un d’autre ?
Non. On m’a déjà demandé mais ce n’est pas mon truc. Après, je ne suis pas un solitaire, j’ai d’autres activités de loisirs, je sors souvent d’ici, rassurez-vous !
Propos recueillis par Jacques Brachet
Photos Monique Scaletta et propriété du sculpteur
Pierre-Louis Chipon – Col de l’Escrinet
06 30 04 39 69 – chiponpierrelouis@gmail.com