
C’est un plaisir que de retrouver la réalisatrice Laure Pradal, qui vient régulièrement au Six N’Etoiles, invitée par Pascale Parodi, présidente de l’association « Lumières du Sud ».
En plus du fait que nous sommes compatriotes « Ardéchois cœur fidèle », à chaque fois elle nous présente un documentaire plein de vie et d’humanité, d’émotions ou de rires, sur les gens de l’ombre et des sujets de société brulants ou plus légers.
En 2009, elle nous proposait « Village vertical », l’histoire de la Tour d’Assas de Montpellier, la plus haute tour de la région où s’entassaient nombre d’émigrés, de sans-papiers souvent, de déracinés qui vivaient en autarcie comme ils pouvaient, s’entraidant, entendant souvent cette phrase qui fait froid dans le dos : « Les Arabes entre eux ».
Cette année, elle revient sur la tour, quinze ans après donc, avec « La tour fantôme ».
C’est la suite du premier documentaire dont elle en a fait qu’un, sous le titre à nouveau du « Village vertical ».
C’est vrai qu’on s’y perdait un peu et sa venue au Six N’Etoile était le prétexte de faire le point avec elle :
« Laure, au départ, je n’avais pas compris pourquoi vous reveniez sur ce documentaire qui date de 15 ans avec un nouveau titre puis la reprise du premier titre…
Pour le second, je l’avais appelé « La tour fantôme » puis en fait c’était plus parlant de revenir au premier titre qui me paraissait plus simple et plus parlant. Le public de Montpellier avait suivi le premier documentaire et donc avaient suivi « La tour fantôme ». Mais je me suis dit que pour les festivals ou les lieux dans lesquels j’allais les présenter, ce serait plus simple de n’en présenter qu’un, afin que les spectateurs voient l’ensemble des deux. Le second a existé parce que le premier existait et j’ai trouvé plus judicieux d’en faire un seul film, dans la mesure où le public n’avait pas vu le premier.
Ainsi on peut voir dans la continuité ce qui s’est passé en quinze ans…
Oui, ça a quelquefois été difficile de retrouver tous les protagonistes. Par exemple, je n’ai retrouvé que deux des enfants. Certains personnages ont disparu, d’autres ne sont pas venus au rendez-vous, certains sont en prison, d’autres encore sont décédés, sans compter qu’il y a eu le Covid..
Ça a été le parcours du combattant !
(Elle rit) Oui, ça n’a pas toujours été facile.
Dans le premier doc les enfants justement disaient : « C’est pas une cité, c’est un quartier » mais ça reste une cité quand même ?
Oui, c’est la plus grosse tour de Montpellier et de sa région. Déjà, il y a vingt ans, il était question de la détruire, dès sa construction car il avait été constaté que la fondation n’était pas terrible. Du coup sont aussitôt nées des légendes, des rumeurs que la tour penchait !
Par contre, cette tour, tout en étant inhumaine, possèdaient beaucoup d’humanité…
Bien sûr, car tous se connaissaient et s’épaulaient dans cette détresse, où ils vivent à part, entre eux. D’ailleurs, certaines femmes qui sont parties vivre dans des immeubles de Montpellier pour que les enfants aillent à l’école et soient mêlés à d’autres enfants, avouent qu’elles ont perdu cette entraide, cette solidarité qu’elles vivaient dans cette tour.
Mais d’un autre côté, en restant ainsi entre eux, les choses ne peuvent pas avancer, il est difficile pour eux de s’intégrer. Mais ils venaient tous du Maroc pour la plupart, ils se connaissaient et reformaient un clan, une famille. C’est un peu comme nous, lorsque nous partons nous installer dans un autre pays. On a le réflexe de chercher des gens qui nous ressemblent, qui parlent et vivent comme nous.
Alors, cette tour aujourd’hui ?
En terminant mon tournage, j’ai filmé la tour où il n’y a plus qu’une sorte de façade assez fantomatique. D’où le titre du film. Il a été relogé quelque 800 personnes, soit dans dans des villages alentour, soit au centre de Montpellier. Mais beaucoup de personnes âgées ont voulu rester dans le quartier
Vous avez filmé beaucoup de marocains…
Oui, c’étaient 95% de marocains qui vivaient là.
Beaucoup étaient français mais ils ont ce dilemme d’être considérés comme maghrébins en France et comme français lorsqu’ils retournent au Maroc
Effectivement. C’était il y a quinze ans et ça n’a pas changé. Ils sont toujours entre deux en permanence. Pour certains, leurs grands-parents étaient en France. J’ai rencontré une femme qui habitait à Lodève, au-dessus de Montpellier, qui n’avait pas connu ce problème et a découvert cette discrimination en se mariant et en faisant connaissance avec sa belle- famille.
Est-ce qu’il y en a qui sont repartis au Maroc ?
Je pense qu’il y en a très peu car là-bas ils sont considérés comme des étrangers. Ceux qui repartent, ce sont les plus âgés qui veulent terminer leur vie dans leur pays. Mais en même temps c’est compliqué car toute leur famille est en France.
Je suis en train de tourner un film sur un psychologue à Nîmes. Il est d’origine algérienne et il reçoit des primo-arrivant marocains qui sont passés par l’Italie, l’Espagne et arrivés en France, ils le regrettent. Ils disent qu’ils n’avaient pas d’avenir au Maroc mais ils se retrouvent en France à cinq dans un minuscule appartement, nombre d’étudiants sont sans papiers. En plus, ils parlent italien et marocain. C’est compliqué pour eux. Ils pensent qu’en France c’est l’Eldorado, mais ce n’est pas le cas.

Lors de votre passage au Six N’Etoiles pour présenter « Des livres et des baguettes » vous aviez montré cette jeune franco-algérienne qui avait une voix d’or. Qu’est-elle devenue ?
Entretemps j’ai fait un film sur elle et après ça elle est partie faire carrière en Arabie Saoudite mais elle n’a pas fait le métier de chanteuse d’opéra qu’elle voulait faire. Elle est devenue coach pour des chanteurs. C’est dommage. Elle essaye toujours de percer dans l’opéra mais ça semble difficile. Déjà est compliqué pour tout le monde mais pour elle il y a quelques obstacles en plus. C’est aussi un peu la course contre la montre car elle a déjà 35 ans.
Alors, vos projets aujourd’hui ?
Comme je vous l’ai dit, je tourne ce film avec un psychologue dont le thème est : comment les problèmes sociétaux peuvent influer sur le psychique des gens. Je filme dans le cabinet du psychologue, les patients de dos ou de trois quart. Mais le film est centré sur le psychologue et j’entends quelquefois des histoires incroyables. Il lui faut dénouer des intrigues presque plus policières que psychiques.
J’ai un autre projet : filmer un archéologue qui a la cinquantaine et veut adopter un migrant albinos roux, ce qui pose d’énormes problèmes, d’autant qu’en Afrique cet enfant risque sa vie, les albinos étant sensés porter malheur… Il a eu un parcours incroyable.
Je prépare aussi un court métrage autour de Gaza avec une plasticienne qui dessine un story-board au pastel qu’on filme par en-dessus. C’est très beau ce qu’elle fait. Et moi je reprends des témoignages pris sur Internet que l’on fera lire par des acteurs et actrices palestiniens.
Et l’Ardèche dans tout ça ?
J’avais fait, il y a quelque temps, un film institutionnel sur Olivier de Serres mais je n’habite plus beaucoup en Ardèche… Même s’il y a beaucoup de belles histoires à raconter ! Propos recueillis par Jacques Brachet
Photos Alain Lafon