Voici 11 ans que Macha Makeïeff œuvre avec talent au Théâtre de la Criée.
Comédienne, metteuse en scène, elle a dirigé ce théâtre avec une sérénité apparente, son sourire et son beau regard bleu. Et elle y a fait du beau travail en créant des spectacles, en recevant artistes et compagnies, en faisant rayonner le lieu mais aussi le spectacle vivant tout autour de Marseille. Entre autre au Liberté, souvent, où elle a travaillé de connivence avec Charles Berling.
L’heure a sonné pour elle de dire au revoir à ce théâtre qu’elle a aimé et qu’elle aimera toujours.
Et voici qu’arrive pour lui succéder, un magnifique homme de théâtre, de cinéma, de télévision, un beau comédien nommé Robin Renucci.
Passionné dès son plus jeune âge par le théâtre, curieusement, c’est le cinéma qui l’appelle d’abord et pas n’importe qui : Deville, Tachella, Corneau, Hossein…
Mais s’il continue sa trajectoire au cinéma et à la télévision où on le verra dans des séries comme « Chefs », « Léonardo » cette année, « Un village français » qui fut un énorme succès et où il réalisera deux films : « La femme d’un seul homme » en 97 et « Sempre vivi » en 2007, le théâtre va très vite l’accaparer, de Planchon à Vitez, de Claudel à Bluwal, de Schiaretti à Lipszy avec qui il a des liens fidèles.
Et alors que c’est Marcel Maréchal qui a ouvert la Criée en 1981 durant 14 ans, aujourd’hui Robin il y devient le cinquième directeur, après avoir dirigé les Tréteaux de France de 2011 à aujourd’hui, ayant succédé à… Marcel Maréchal ! La boucle est bouclée.
Avec Robin, c’est une longue amitié puisque nous nous sommes rencontrés pour la première fois au Festival du film italien de Nice… Il y a plus de trente ans ! Aussi c’est avec plaisir que je le vois se poser à la Criée, où nous continuerons nos rendez-vous.
Premier rendez-vous marseillais ce 31 mai où il est en train de prendre ses marques.
« Robin, comment et pourquoi te retrouves-tu directeur de ce grand vaisseau ?
C’est une trajectoire. Je ne sais pas si c’est le hasard ou pas mais durant 12 ans j’ai été directeur du Centre Dramatique des Tréteaux de France où j’avais pris la suite de Marcel Maréchal. Je finis mon histoire avec les Tréteaux le 30 juin où j’étais dans une itinérance, où j’allais vers le public. Ça a été une belle mission car le fait d’aller vers les gens m’a beaucoup plu. Aujourd’hui j’aspire peut-être à me poser tout en continuant d’aller vers le public. C’est une nouvelle histoire qui demande à s’accomplir.
Pour répondre à ta question, j’ai été choisi sur une lettre candidatée. Ça a été un long chemin car 26 personnes se présentaient. Puis il en est resté six, trois hommes, trois femmes et après décision de la ville, du département, de la région, de l’état. J’ai été choisi.
Tu arrives donc ici mais la prochaine programmation n’est pas la tienne.
Non, c’est celle de Macha qui m’offrira quelques fenêtres durant la saison. Du 3 au 8 janvier je présenterai « Oblomov » d’Ivan Gontcharov que j’ai mis en scène et que tu as pu voir au Liberté à Toulon », en mars je proposerai « La tendresse », pièce que j’ai coproduite avec la metteuse en scène Julie Béres et « Phèdre » de Racine que j’ai mis en scène. En juin, je présenterai un spectacle que j’avais monté à Avignon « Enfance à l’œuvre » avec des textes de Romain Gary, Henri Michaux, Marcel Proust, Arthur Rimbaud.
Alors aujourd’hui tu t’installes à Marseille ?
(Il rit) Oui, je vais y habiter, c’est pour moi un accomplissement, un aboutissement. A l’inverse d’artistes, je quitte Paris. Tu sais, aujourd’hui ma carrière est faite et à la Criée, à Marseille, mon but est de travailler à la transmission avec de jeunes comédiens et Dieu sait s’il y en a dans la région, des jeunes compagnies et les troupes locales, les acteurs locaux, les écoles, les universités, les théâtres de la région… Mon leit motiv : création, transmission, formation, éducation populaire. Proposer la pratique à la jeunesse qui est notre avenir. Le but n’est pas de faire des artistes de tout le monde mais de les aider à s’épanouir.
Je vais aussi beaucoup m’entourer de jeunes à tous les postes : les auteurs avec Alice Zeniter, François Cervantes, les metteurs en scène Corine Vignaux et Simon Abkarian… la parité ! Je vais aussi travailler avec deux collectifs : le NTP (Nouveau Théâtre Populaire) et le collectif 49701.
Je serai également entouré de cinq penseurs : Barbara Cassin, philosophe et académicienne,
Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste, Laurent Gori, professeur de psychologie, Grégoire Ingold, comédien et metteur en scène, Marie-Christine Bordeaux, maître de conférence .
Toulon : Macha au Conservatoire TPM, Tobin au festival de Musique
C’est du lourd !
Oui, ce sont de gros projets, un énorme travail avec le recteur en direction des jeunes, de l’enfance à l’université. Un grand volet éducatif et populaire qui me tient à cœur. L’art du théâtre apprend à vivre et cela s’adresse aux élèves mais aussi aux enseignants. L’éducation artistique est un outil de citoyenneté qui nous force à regarder, à penser, à débattre et j’ai envie de travailler avec différents corps : le théâtre bien sûr mais aussi l’Education Nationale, la santé, le corps enseignant étant essentiel. Travailler, donc, avec les écoles mais aussi les hôpitaux, le monde du travail, les maisons de quartiers (il y en a 111 à Marseille !), les centres sociaux, les médiathèques. Œuvre, pratique, pensée, ce sont les trois expériences fondamentales.
Pour mener tout cela à bien, il te faut du temps !
J’en aurai. J’ai été nommé pour quatre ans renouvelables et j’espère bien aller le plus loin possible, si je donne satisfaction !
Tu as eu quelques mots sur le président Macron…
(Il rit) je te rassure, je n’ai pas de conflit avec lui ! Mais de temps en temps, il faut aiguillonner les politiques, rester vigilants, les forcer à regarder et leur rappeler justement que le théâtre est un outil de citoyenneté et la nécessité que l’Etat révise sa politique culturelle, ce qu’il a l’air aujourd’hui de vouloir faire. C’est je crois, ce que nous attendons de lui et lui de nous ».
Macha Makeïeff nous rejoins, toujours très discrète, préparant l’un de ses derniers spectacles.
« Alors Macha, que dire de ces « Années Criée » ?
Que dire sinon que je n’aime pas regarder en arrière mais que les événements font que je ne peux pas penser à ces onze ans qui viennent de passer.
Je peux dire que cette expérience m’a transformee, indiscutablement. C’est une grande expérience, qui était nouvelle pour moi, que d’accompagner des artistes, de vivre l’effervescence d’une telle maison, d’avoir une préoccupation du public, de chaque instant, de travailler dans une totale collégialité. Ça a été pour moi une émancipation artistique.
Vous êtes née à Marseille ?
Oui et j’ai quitté ma ville alors que j’avais 18 ans. Y revenir et la retrouver furent un grand choc à la fois d’exaltation et d’arrachement car j’avais entretemps fait ma vie ailleurs. D’ailleurs, cette exaltation et cet arrachement sont revenus, au moment du départ. Tel est mon destin.
Et votre destin aujourd’hui ?
Il est multiple puisque j’ai créé une compagnie « Mademoiselle » à Aix-en Provence depuis 2010 et je vais continuer à m’en occuper, je vais avoir plus de temps à consacrer aux arts plastiques, à la lecture et l’écriture, je vais me partager entre ici et Paris où je vis avec ma famille, en décembre je présenterai mon « Tartuffe » et si « Dieu le veut » comme on dit, je monterai en 2024 un « Don Juan ».
Que vous présenterez à la Criée ?
Pourquoi pas ?
Que voulez-vous dire à Robin ?
Tout d’abord je lui souhaite bonne chance et surtout d’être aussi heureux que moi.
Vous savez, j’ai quand même mis deux ans à me faire à ce théâtre. Au début ça a été assez violent mais peu à peu j’ai pris mes marques. Il a seulement fallu un peu de temps.
Le 13 juin, jour de la présentation de la prochaine saison et de la passation de pouvoir, ce sera certainement un moment étrange. J’essayerai de rester stoïque mais onze années ne s’effacent pas. Et ne s’effaceront pas ».
Propos recueillis par Jacques Brachet
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