En 1988,un film nous faisait découvrir quatre hommes : Luc Besson, Jean-Marc Barr, Jean Réno et Jacques Mayol grâce à ce film devenu aujourd’hui mythique : « Le grand Bleu ».
Il raconte l’histoire de cet homme incroyable que fut Jacques Mayol, qui détenait le record d’apnée à 100 mètres en 1976 (Puis 103 mètres en 1963) et fut nommé « L’homme dauphin ».
Trente ans après, voici que le réalisateur Lefteris Charitos lui rend hommage avec ce docu-biopic : « L’homme dauphin » dont les commentaires en voix off sont dits par celui-là même qui incarna Jacques Mayol à l’écran : Jean-Marc Barr.
La boucle est donc bouclée.
Ce film est un mélange d’archives et de témoignages de gens qui ont travaillé avec lui, de sa fille et de son fils, d’Enzo Maiorco dit Molinari, qui fut son grand adversaire à celui qui irait au plus profond, et nous montre quel être exceptionnel était Mayol, qui n’avait que trois passions : la mer, les dauphins et les femmes.
Homme exceptionnel mais homme complexe aussi car ne vivant que pour ses passions, oubliant femme et enfants, n’ayant aucune attache, peu d’amis car de ceux-là, il s’en servait pour vivre bien souvent à leurs crochets ou les utilisant, jouant les stars avec son physique à la Clark Gable et finalement terminant sa vie seul dans sa maison de l’île d’Elbe où il se pendit en 2001, à l’âge de 71 ans. D’ailleurs, au pied de son refuge où il vécut durant 30 ans, une pierre commémorative a été gravée dans la mer Tyrrhenienne.
Parcours de légende, parcours qui finit mal mais Jacques Mayol, entré dans la légende grâce à ce film de Besson qui, dit-on, lui fit perdre un peu les pédales et qui reste aujourd’hui l’image de l’aventurier de cette époque flamboyante, lui qui repoussa les limites physiologiques de l’homme.
Ce film retrace toute cette vie vouée à la mer, avec de magnifiques documents, car il faisait tout filmer de ses exploits et le témoignage de ces scientifiques du monde entier avec qui il travailla sans jamais s’attacher, qui le vénéraient malgré tout.
Ayant perdu Gerda qui aurait pu être la femme de sa vie mais qui fut assassinée dans un supermarché, il confessa à sa fille, à la fin de sa vie, cette phrase terrible : « Je regrette de n’avoir pu fonder une famille », alors qu’il avait deux enfants.
En fait, sa famille, c’étaient les dauphins avec qui il avait des rapports très particuliers, peut-être la seule véritable attache qu’il eut dans sa vie.
Jean-Marc Barr, qui garde de beaux souvenirs du tournage du « Grand Bleu » qui le lança comme comédien, est venu présenter ce film au Six N’étoiles de Six-Fours avec beaucoup d’émotion et de plaisir.
Du jeune garçon timide que j’ai connu voici 30 ans, je retrouve avec plaisir ce regard rieur, ce sourire lumineux, cette gentillesse et cette simplicité qu’il a gardés.
C’est à l’Hôtel Rives d’Or aux Sablettes, face à la mer(of course), que nous conversons sur cette aventure et sur tout ce qu’il a fait depuis cette année 88 où le public le découvrit.
Jean-Marc, comment t’es-tu retrouvé sur ce film ?
C’est le metteur en scène qui, pour les besoins du film, est venu me voir à Paris pour m’interviewer. Deux mois plus tard, avec le producteur, il me demandait si je voulais, en voix off, dire des extraits du livre de Mayol « Homo delphinus »
Qu’est-ce que ça fait de se « replonger » dans « Le Grand bleu » 30 ans après ?
Ça fait remonter des souvenirs de tournage, de rencontres. Il faut te dire que c’est un film que je n’ai jamais pris au sérieux. Ca a été un beau cadeau pour moi puisque ça m’a fait connaître mais ça n’était pas du tout le cinéma que je voulais faire, je le savais déjà. D’ailleurs, après le tournage, je suis allé trouver Lars von Trier pour tourner « Europa » et l’on m’a appris le succès du film qui m’a étonné. Mais, alors que je parle anglais depuis mon enfance, je n’ai jamais voulu entrer dans le cinéma « capitaliste américain » qui fait rarement des films pour l’art. Je préfère le cinéma indépendant et j’avais envie de choisir ma carrière et d’aller vers un cinéma plus artistique, plus intellectuel. Je savais que ce ne serait pas en Amérique que je pourrais le faire, mais en Europe. Même si je ne gagnais pas de sommes folles.
Après le succès du film, c’était risqué !
Peut-être parce que, le film étant sorti en anglais, j’avais des proposition mais j’ai gardé l’idée que j’avais car je savais que, si j’allais dans cette direction, ça durerait deux ou trois ans et ça se serait arrêté. J’ai donc préférer tout de suite dévier et je me suis baladé partout en Europe pour faire le cinéma que je voulais faire.
C’est un cinéma plus intimiste
Oui, je le sais mais je ne fais pas de cinéma pour gagner de l’argent, du moins pour toucher des cachets mirobolants. Je fais un film pour ce qu’il m’apporte intellectuellement et pour l’amour de l’art, pour faire ce que je considère comme une œuvre. Je n’ai jamais eu de rêve de star. Et c’est grâce à ces films que j’ai choisis que j’ai acquis, je l’espère, un certain talent d’acteur.
Revenons au « Grand Bleu ». Quels souvenirs en gardes-tu ?
Le souvenir d’une belle aventure, celle, entre autre, d’avoir rencontré Jacques Mayol avec qui j’ai passé de beaux moments, malgré l’immense ego qu’il pouvait avoir et avec qui j’ai eu des relations jusqu’à la fin de sa vie. Nous nous sommes beaucoup appelés. Deux mois avant sa mort il m’avait confié son mal être. J’ai été très triste d’apprendre sa mort mais pas étonné.
A quoi cela était dû ?
C’était un homme seul car il n’a toujours vécu que pour sa passion, délaissant femme, enfants. Il n’avait pas d’amis mais des gens avec qui il travaillait, des partenaires avec qui il ne se liait pas et qu’il gardait tant qu’il en avait besoin. Lors de la sortie du film, si ça l’a fait connaître, il était quelque part jaloux que ce soit moi que l’on regarde plus que lui. D’autant que Luc Besson m’avait choisi alors que, physiquement, on était loin de se ressembler. Il a eu du mal à le digérer.
N’était-il pas un incompris ?
Peut-être mais certainement par sa faute car il ne faisait aucun effort vers les autres. Il vivait pour sa passion, il ne se compliquait pas la vie pour les autres? Du coup, on l’admirait beaucoup mais on ne le comprenait pas. J’ai été très touché en visionnant le film, des larmes des Japonais avec qui il a travaillé car ils le considéraient comme un vrai héros et il les a inspirés et poussés à aller plus loin et susciter des vocations.
Il t’a également donné le goût de cette pratique : l’apnée ?
Certainement et j’en fais toujours. Être en apnée c’est être en symbiose avec sa propre insignifiance et nous amène vers la sagesse. Être en contact avec la mer est quelque chose d’à la fois sensuel et spirituel. C’est magique car on est dans l’amour, la beauté.C’était déjà le message du film et c’est cent fois plus important aujourd’hui. C’est en quelque sorte une petite mort puisqu’on ne respire plus. D’ailleurs la fin du film reste mystérieuse, chacun peut l’interpréter à sa manière. En même temps, elle ressemble à la mort de Mayol.
Et toi alors, que deviens-tu ?
Je joue au théâtre, je tourne, je réalise… lorsque je le peux car aujourd’hui c’est devenu difficile. J’ai réalisé six films avec Pascal Arnold mais ça fait six ans qu’on rame pour réaliser un film parce que nos sujets ne sont pas assez commerciaux, nous ne sommes pas assez formatés. Mais nous ne voulons pas faire de concessions. Alors, en attendant je joue ailleurs.
Il y a eu l’important rencontre avec Lars van Trier ?
Oui, avec qui j’ai fait cinq films. C’est le cinéma indépendant que j’aime. Lars est un grand réalisateur et j’aime tourner avec lui même s’il n’est pas le réalisateur le plus populaire. Mais c’est ce cinéma qui me donne envie de faire mon métier.
Tu te partages entre cinéma, télévision, théâtre…
Oui puisque, de 2011 0 2016 j’ai tourné dans la série télé « Deux flics sur les docks » avec Bruno Solo. J’ai tourné au cinéma un film en noir et blanc « Grain » de Semih Kapanoglou. Puis j’ai retrouvé mon ex femme Irina Decermic pour créer dans son pays, à Belgrade, un spectacle tiré de la nouvelle de Tplstoï « La sonate à Kreutzer » où elle joue au piano du Beethoven avec Sonja Kalajic au violo. La pièce a été traduite et jouée à la Comédie de Picardie et que nous reprenons à la rentrée au Studio Hebertot à Paris. Je viens de tourner une série allemande pour Arte « Bad Banks » réalisée par Christian Schworchow…
Donc tu es un homme heureux ?
D’autant plus heureux que je viens d’être pour la première fois papa d’un petit Jude que j’ai eu avec la réalisatrice italienne Stella di Tocco et nous partageons notre vie entre la France et l’Italie ! »
Après ce bel entretien, Noémie Dumas, directrice du Six N’étoiles le recevait donc autour de deux visiteurs de marque : Gilles Grandguillotte, directeur administratif et financier de la société Paul Ricard et Nardo Vicente, biologiste, fondateur de la revue « Océanorama » de l’Institut océanographique Paul Ricard.
Propos recueillis par Jacques Brachet