VlineBUGGY/Claude FRANCOIS…
parce que c’était lui, parce que c’était moi

Sans titre - 1
Sur les Hauts de Cagnes (ph JB)

Durant mes pérégrinations journalistiques, je fais un jour connaissance avec Vline Buggy.
Auteur de chansons, productrice, Vline Buggy a de qui tenir puisqu’elle est le fille d’un grand monsieur de la chanson : Géo Koger qui a écrit des centaines de chansons, en particulier vingt ans en collaboration avec Vincent Scotto. On lui doit entre autres : «J’ai deux amours» pour Joséphine Baker, «Prosper» pour Maurice Chevalier, «Pigalle» pour Georges Ulmer, «Marinella» ou «Vieni vieni» pour Tino Rossi, «Je ne suis pas bien portant» pour Ouvrard (vous savez… J’ai la rate qui s’dilate…), «La java bleue» pour Fréhel…et bien d’autres pour Line Renaud, Yves Montand, Luis Mariano, Lucienne Delyle…
Digne fille de son père, elle écrira très vite des chansons avec sa sœur qui, hélas, gravement malade, disparaîtra avant qu’elle ne signe sa première chanson avec un certain Claude François. C’est la fameuse «Belles, belles, belles» qui va les propulser tous deux dans une carrière musicale prolifique et une complicité qu’ils auront, malgré quelques hauts et bas – mais avec Claude, c’était toujours ainsi ! – jusqu’à la disparition de celui-ci.
Je connais Vline depuis 1983, date à laquelle je la rencontre sur une tournée avec le chanteur qu’elle a remis au premier plan et pour lequel elle est devenue productrice tout en lui écrivant «Pour le plaisir » avec un certain Julien Lepers et bien d’autres chansons par la suite. C’est Herbert Léonard.
Durant la carrière de Claude, elle lui aura écrit 150 chansons mais aussi, 90 chansons pour Hugues Aufray, dont «Adieu Monsieur le professeur» et «Céline» toutes les premières chansons de Sardou («J’habite en France»,  les bals populaires», «Et mourir de plaisir»), «Biche ma biche» ou «File file file» pour Frank Alamo, «Le pénitencier» pour Johnny, «On laisse tous un jour» pour Fugain, «18 jours» pour Gréco, «Le portugais», « Tiroli tirola » pour Linda de Suza et des centaines d’autres. Elle s’est même payé le luxe de gagner le prix Eurovision en 73, avec «Tu te reconnaîtras» par Anne-Marie David et produira aussi Nathalie Lhermitte.
Bref, Vline est une artiste incontournables sur 50 ans de chansons. Une artiste de l’ombre que je voulais mettre en lumière. Ainsi la rencontrais-je lors de cette tournée mais voulant en savoir plus et faire un vrai portrait d’elle, elle m’invite alors chez elle, sur les Hauts de Cagnes, où je la retrouve, où je passerai une journée formidable en sa compagnie et réaliserai une série de trois émissions d’une heure, tant elle a marqué ces années dites  « yéyé » et les suivantes.
Je devais la retrouver en 92 à Toulon où je l’invitais pour fêter alors ses 30 ans de chanson en compagnie de Franck Fernandel dont le père avait chanté des chansons de son père à elle !
« Vline, être la fille de Géo Koger, est-ce que ça aide pour démarrer ?
Non, pas du tout pour entrer dans le métier car avec ma sœur nous avons écrit des dizaines de chansons sans succès… On voulait le père et pas les filles ! Ca aide surtout à avoir le goût de l’écriture, ce qui n’est déjà pas si mal ! D’autant qu’on avait des parents qui nous ont laissé faire ce que nous avions envie de faire.

225667 album jacques 39 - Copie
A la foire de Toulon – En tournée (Ph JB)

Alors, comment tout a-t-il commencé ?
Ma sœur était très malade et durant des années nous avons écrit des chansons dans les cliniques et les hôpitaux mais sans succès. Et puis un jour, voilà que les Chats Sauvages menés par Dick Rivers, nous chantent «C’est pas sérieux» et que ça devient un succès. On est dans l’air du temps mais hélas, ma sœur aura juste le temps de goûter à ce succès avant de disparaître. C’était vraiment mon premier enfant et je me suis alors accrochée à la chanson pour ne pas sombrer. Ça a été ma thérapie.
Je rencontre alors un éditeur, Rudy Reville qui me propose, suite à ce succès, d’adapter en français des succès américains. A l’époque, peu de chansons étaient françaises. On faisait des adaptations. Je choisis celles qui me conviennent et je tombe entre autre sur «Made to love» des Everly Brothers et j’en écris les paroles françaises : «Rien, rien, rien que notre amour».
A quelques temps de là, un certain Claude François me téléphone :
«Bonjour, je suis Claude François, je dois enregistrer un disque et j’adore votre chanson . Le problème c’est que je n’en aime pas les paroles…
– Ca tombe mal, lui dis-je en riant, car je n’ai écrit que les paroles !
Silence, rires et puis : On peut se voir ce soir ? »
Et nous nous donnons rendez-vous chez moi. Il est d’ailleurs arrivé avec trois heures de retard. J’apprendrai très vite que c’est une habitude chez lui ! D’ailleurs, il me faisait prendre des crises pas possibles, dues à ces retards à répétition mais si un jour, c’est lui qui m’attendait dix minutes, c’était un drame. Il piquait des crises et m’engueulait copieusement !!!
Mais nous nous sommes mis à travailler et l’on ne s’est plus quittés durant cinq ans !
Finalement, Claude a été aussi important pour vous que ce que vous avez été importante pour lui !
Je crois que Claude portait déjà son succès en lui-même. Lorsqu’il est entré chez moi, je ne lui ai même pas demandé comment il chantait et je n’ai entendu sa voix chantée que lorsque le disque est sorti ! Je pense que lorsqu’on rencontrait Claude, on ne se posait pas de questions. Il était sûr de lui, de ce qu’il voulait faire. Il avait déjà des idées précises, très nettes C’était un personnage envoûtant.
Mais s’il a été important pour ma carrière future, à ce moment-là il a été très important par rapport à ma vie et mon moral. Il est entré dans ma vie comme un ouragan, un vent de folie. Ce personnage blond et bondissant a chassé mes idées noires. Je peux dire qu’il a bouleversé ma vie et m’y a redonné goût.
Cinq ans de «vie commune» et tout à coup la cassure. Pourquoi ?
Je crois d’abord que lorsqu’on écrit sans arrêt pour le même interprète, il arrive un moment où on a fait le tour de la question, où l’on a abordé tous les sujets. Avec Claude c’était une liaison amicale et professionnelle très envahissante et je crois qu’à un moment, j’ai eu envie de mettre un peu d’espace entre lui et moi. J’étais mariée avec un chirurgiens, j’avais des gosses et puis, je travaillais aussi avec d’autres artistes et ça, ça ne plaisait pas vraiment à Claude car il était jaloux et possessif…

cloclo
Toulon – le Mourillon (ph JB)

Vous aviez rencontré Hugues Aufray ?
Oui et en plus, grâce à Claude. J’étais en tournée dans le Nord avec lui et Hugues était en première partie. J’étais dans les coulisses avec lui et il me dit : «Tu devrais aller voir ce chanteur… Telle que je te connais, il va te plaire». Et il m’a effectivement plu car de ce jour, j’ai travaillé avec Hugues… et c’était plus reposant qu’avec Claude ! D’autant que ce que j’écrivais pour Hugues ne ressemblait pas du tout à ce que j’écrivais pour Claude et c’était très agréable pour moi.
Chacun vous commandait ses chansons ?
Oh pas du tout et je n’ai jamais eu à user de ce mot «commande» car pour moi écrire c’est un acte d’amour. Je n’ai jamais su écrire sur commande.
Non, j’écrivais, aussi bien avec l’un qu’avec l’autre, dans la foulée. Claude m’appelait : »J’ai une musique pour toi et une idée de chanso »» Une autre fois c’est moi qui arrivais avec une musique que m’avait confié un compositeur. On travaillait comme ça et ça se passait dans la joie avec, bien sûr, du côté Claude, des énervements car il était explosif et dans la douceur et la sérénité avec Hugues. J’avais des rapports très particuliers car Hugues n’a jamais pu me tutoyer. Il me disait : «Buggy, j’aimerais vous voir, j’ai un début de chanson et j’ai besoin de vous». On se voyait, on échangeait des idées. Cela durait deux heures ou une semaine et c’était formidable.
Ainsi sont nés «Le petit âne gris», «Adieu monsieur le professeur», «Céline»…
«Céline» était pour Claude au début ?
C’est à dire que j’avais alors écrit cette chanson avec Mort Schuman et que je l’ai donc tout naturellement proposée à Claude. Son producteur, qui était encore Paul Lederman, écoute la chanson et décrète que c’est une chanson très démodée, France Gall, avec qui était alors Claude, lui dit la même chose. Claude, qui est alors influençable, refuse la chanson que prend Hugues et qui en fait le succès que l’on sait. En fait, c’est une chanson et un sujet intemporels.
Claude en a été malade. Il était fou de rage ! Et durant quelques temps, il m’appelait en me demandant de lui écrire une chanson de la même veine. C’est ainsi qu’un jour j’ai écrit, avec Jacques Revaux «Olivier» et que je la lui ai proposée.
C’était une chanson qui me tenait à cœur car elle portait sur l’adoption : un père raconte à son fils qu’il a été adopté et ne l’en aime pas moins car les liens d’amour remplacent souvent les liens du sang. Je dédiais donc cette chansons à tous ceux qui font cet acte merveilleux, non pas de donner la vie mais de la redonner. Et Claude l’a chantée, hélas avec moins de succès que  » Céline »

v3
Avec Nenna, la cousine de Claude (Ph Corinne Ruffini)

Et c’est donc la rupture !
Oui, mais pas pour ça. J’avais eu un deuxième enfant, une fille prénommée… Claude… Cherchez pourquoi ! Il faut dire que mon mari adorait Claude. C’est lui qui l’a initié aux vins, aux cigares et si Claude n’y touchait pas, il aimait en faire profiter ses proches. Ils s’entendaient merveilleusement bien et c’est donc tout naturellement que nous avons prénommé notre fille Claude.
J’étais très fatiguée par la naissance de ma fille et Claude était toujours très exigeant. Un jour qu’il était particulièrement désagréable, comme il savait le faire lorsqu’il s’en donnait la peine, je lui ai jeté ses disques à la figure en lui criant : «Désormais, tes disques, tu les feras tout seul !».
Et je n’ai plus eu de ses nouvelles durant huit mois. J’avoue que j’étais très malheureuse de cet état de fait. J’avais beaucoup de peine, à tel point que je n’arrivais plus à écouter sa voix lorsque je l’entendais chanter une chanson que nous n’avions pas faite ensemble. C’était au-dessus de mes forces mais je tenais bon et je continuais à travailler avec Hugues et d’autres chanteurs, dont Sardou qui m’avait donné une impulsion nouvelle.
Et les retrouvailles ?
Un jour, j’ai sa secrétaire au téléphone. Elle appelait pour lui et voulait me le passer. Je lui ai répondu que je ne parlerais à Claude que lorsqu’il composerait lui-même le numéro et qu’il prendrait la peine de m’appeler, lui ! Je raccrochai.
Quelques jours plus tard, le téléphone sonne et j’entends : «Alors, toi, on peut dire que tu es un personnage impossible…» Ca a été une grande émotion, même s’il n’avait ni dit bonjour ni s’était excusé. Mais je lui rétorque : «Ben tu vois, tu n’est pas manchot, tu peux composer tout seul un numéro de téléphone !». Réponse de Claude : «On se voit quand ?!!».
Et c’était reparti !
Donc, nouvelle rencontre
Il me donne rendez-vous au bureau et j’avoue que j’y vais le cœur battant, comme une petite fille abandonnée où une amoureuse délaissée. Pour la réconciliation, je lui avais apporté une chanson qui pour moi, était très importante. Je l’avais écrite avec Yves Desca et Jean-Pierre Bourtayre. C’était «Avec la tête, avec le cœur».
Cette chanson a aussi une petite histoire.
Oui, dès qu’il l’a entendue il a voulu l’enregistrer. Je voulais alors lui présenter Jean-Pierre qu’il ne connaissait pas. Mais, allez savoir pourquoi, il ne voulait pas le rencontrer. Je lui ai alors dit : «Si tu refuses de le voir, je ne viens pas non plus». Je suis donc venue avec ce bonhomme rondouillard et timide qu’est Jean-Claude et j’ai dû le pousser pour le faire entrer dans le bureau de Claude. J’ai dû bien le pousser car ils ne se sont plus quittés durant dix ans !

Clo

Vos relations ont-elles repris comme avant ?
Non, pas vraiment car j’avais ma vie et ce n’était pas celle de Claude. On ne s’est donc jamais retrouvés comme avant mais de temps en temps je lui faisais une chansons, j’allais le voir l’été sur la Côte lorsqu’il passait près de chez nous et nous nous retrouvions quelquefois avec nos conjoints pour un dîner. Mais nous n’avons pas retrouvé la complicité des débuts.
Nous nous sommes vraiment retrouvés peu de temps avant sa mort.
Comment cela s’est-il passé ?
Un soir, en vacances dans le Sud, je vais le voir chanter à Grasse. Il y avait un moment que je ne l’avais plus vu sur scène et j’avoue l’avoir trouvé particulièrement mauvais.
De retour à Paris, je me décide à aller le voir pour lui en parler en me disant qui, si ce n’est pas moi qui le lui dit, personne n’osera le faire. Je prends donc mon courage à deux mains, j’attends que nous soyons seuls et je lui dis :
«Ecoute Claude, tu permets que je te dise quelque chose ?
– Oui, bien sûr… Je t’écoute
– Sur scène, je t’ai trouvé très mauvais…. »
Je m’attendais à tout, à une réaction violente, à ce qu’il me jette ou me fasse la gueule, mais pas du tout :
– Assieds-toi… Tu m’intéresses»
Je lui dit donc tout ce qui ne va pas, je lui parle de ses chemises trop serrées au cou et qui l’engoncent, de ses costumes qui le font ressembler à un dompteur ou un torero, à ce show trop rapide, inaudible, à ces engueulades sur scène avec son équipe, oubliant qu’il a un public à qui il tourne le dos……
Il écoute. Il ne dit rien.
Quelques jours plus tard il m’appelle pour me proposer trois jours de tournée avec lui. Mon mari s’insurge : «Ça ne va pas recommencer». Je le rassure. Ce ne sera que trois jours.
Et ce furent trois jours merveilleux.
Racontez…
Son chauffeur passe me prendre. Il est devant, moi derrière et il se passe 100 km avant qu’il ne m’adresse la parole. Il me regarde alors dans le rétroviseur :
«Ça fait une semaine que je pense à ce moment : que tu reviennes et qu’on se retrouve tous les deux pour qu’on reparle ensemble comme avant».
Bien sûr, ça fait chaud au cœur mais le premier soir je vois que sur scène rien n’a changé. Il est toujours très mauvais et comprend très vite ce que j’en pense. Le lendemain… il est splendide ! Il a corrigé tout ce que je lui ai dit et on sent qu’il prend un immense plaisir à jouer en toute complicité avec ses musiciens, ses danseuses… sorti de scène, il me tombe dans bras, heureux comme un enfant.
Et puis 15 jours se passent et il m’appelle en me disant que le chemisier, Henri le Corre, est chez lui et qu’il veut absolument mon avis sur les cols, les formes, les costumes. J’arrive, il est en slip et me demande de tout expliquer au couturier. Et là, bien sûr, je me suis faite un peu piéger car cette rencontre sous-entendait quelque chose.
Il me dit tout à coup : «Je suis en train de préparer un disque mais je n’arrive pas à trouver les chansons pour le boucler… Tu ne veux pas m’écrire des chansons ?
Je suis un peu ébahie, un peu en colère et je lui réponds : «Non Claude, tout ça c’est terminé. Je ne veux pas recommencer».
Mais lorsque Claude veut quelque chose, il est tenace, il vous talonne et sait être persuasif. Et bien sûr, j’ai craqué. Et me revoici face à lui avec mon bloc, mon petit crayon et le dictionnaire de rimes qu’il m’a lui-même offert voici longtemps…
Comme avant.
Ça a donné «Quelquefois», «C’est comme ça que l’on s’est aimé», entre autres.
C’était son avant-dernier album…
Je suis heureuse d’avoir eu cette chance avant qu’il ne disparaisse. J’aurais vraiment été malheureuse si l’on s’était quitté sur des silences, sur une séparation.
Aujourd’hui, c’est toujours pour moi beaucoup d’émotion d’écouter la voix de Claude. Je me dis toujours que ce n’est pas possible qu’il ne soit plus là.. Il est à la fois si loin et si présent….
Claude m’a beaucoup apporté. Dans tout ce que j’ai fait et ce que je fais aujourd’hui, il y a un peu de Claude. J’entends sa voix me dire, fais ça, ne fais pas ça, ça c’est bien, Buggy.
Il est toujours avec moi…»

V2
A Paris (Ph Corinne Ruffini)

 Elle y pense… mais n’oublie pas !
De Claude François à Michel Sardou, en passant par Hugues Aufray et Herbert Léonard, Vline est l’auteure qui a fait chanter tous les artistes et lorsqu’elle écrit son livre de souvenirs paru aux éditions L’Archipel, elle l’intitule « Claude François, j’y pense et puis j’oublie », titre d’une chanson qu’elle lui a écrite. Et pourtant elle n’oublie rien et de plus, c’est une femme fidèle que, grâce à ce livre, j’ai retrouvée avec plaisir… Nous sommes restés une heure au téléphone !
Mais ce livre est plus qu’un livre sur Claude car cette magnifique dame qui aura 90 ans l’an prochain et fêtera aussi ses 50 ans d’entrée à la SACEM, nous raconte en seconde partie, son enfance et son adolescence qui ont été marqués d’événements dont on a du mal à se relever, sous le titre « La chanson en héritage ». Cette chanson qui l’a sauvée de bien des drames et dont sa vie est marquée dès l’enfance. Un récit à la fois passionnant et bouleversant qui me la fait encore plus aimer.
Et ce qui est fou, me raconte-telle en riant, c’est qu’en quelques jours elle croule sous les demandes d’interviews, de reportages, se fait photographier comme une star à son grand étonnement, elle qui fut durant des décennies la femme de l’ombre !
« Il était temps », me dit-elle en riant de cette si jolie voix chantante.

Merci Vline, pour toutes ces belles chansons, qui nous ont fait danser, rêver, pleurer. Et merci pour votre amitié et votre fidélité.
Propos recueillis par Jacques Brachet