NOTES DE LECTURES
Par les Plumes d’Azur

Perez-Reverte © Jeosm PhotographyArturo PEREZ-REVERTE : Deux Hommes de Bien (Ed Seuil) 507 p.
traduction Gabriel Iaculli,
L’auteur Arturo Perez Reverte est membre de l’Académie royale d’Espagne. Il est surpris de trouver dans la bibliothèque de l’Académie les 28 volumes de l’édition originale de l’Encyclopédie de Diderot, d’Alembert et quelques autres. Livre qui sentait le soufre en France et qui était interdit en Espagne.
Il ne lui en faut pas plus pour investiguer (il est journaliste) et nous entraîner dans une aventure passionnante. Deux Académiciens, deux Hommes de Bien sont envoyés par leurs collègues à Paris afin d’acheter les 28 volumes.
Nous voilà en route pour la France par des chemins montants, sablonneux, malaisés, dans une voiture à cheval, avec des auberges mal famées, des relais coupe-gorge, des truands et des brigands, des escopettes et des tromblons, des belles dames à sauver, des discussions et de l’ennui, des puces et compagnie…
Nous sommes plongés dans un beau roman d’aventure avec les Hommes de Bien et ceux qui ne veulent pas qu’ils rapportent l’Encyclopédie en Espagne et qui ont dépêché à leurs trousses un tueur à gage !
Bien sûr comme il s’agit de philosophie, nos deux voyageurs conversent bellement de ce fameux siècle des Lumières, des monarques éclairés, de la démocratie, de la Liberté des peuples etc.
A Paris il leur faut chercher ces fameux volumes ; avec eux nous découvrons le Paris prérévolutionnaire, la misère et la richesse, les cafés littéraires et les salons. (Il y a même en prime la description de la bataille du Cap-Sicié, lorsque les Espagnols et les Français ont brisé le blocus de Toulon, et vaincu les Anglais le 22 février 1744 !)
Ouf ! Ils ont acheté les livres ! ils les ont rapporté à l’Académie Royale d’Espagne !
Mais si certains lecteurs apprécient que l’auteur se mette lui-même en scène et explique d’une part, toutes ses recherches et d’autre part, nous fait partager ses réflexions philosophiques en les mettant dans la bouche d’un personnage, d’autres lecteurs peuvent regretter de ne pas s’embarquer seul dans ce livre, et également que cet ouvrage, à connotations historiques soit écrit – ou traduit- au présent.
Alexandre Dumas multipliait les dialogues,
Arturo Perez-Reverte se met lui-même en scène. Dommage.
Un roman passionnant ! Extrêmement bien documenté !

bonnefoy2 Gassot VERGER Frederic 2017 photo Francesca Mantovani - +®ditions Gallimard 9320

Miguel BONNEFOY : Sucre noir (Ed Rivages) 207 pages
Dès les premières lignes, l’auteur s’amuse follement à planter un vaisseau pirate au sommet d’un arbre. Quelle fin horrible pour le terrible flibustier Henry Morgan qui après un ouragan meurt assis sur son tas d’or ! Ce trésor ne laisse pas indifférent Severo Bracamonte qui méthodiquement quadrille et creuse le sol sous les yeux soupçonneux de Serena qui tait depuis trop longtemps ses rêves en herborisant.
Mais toute chasse au trésor a une fin, il est temps de cultiver les bananes et la canne à sucre et de profiter de ce trésor bien réel, le rhum des Caraïbes.
L’auteur dresse un tableau bien réaliste et émouvant d’un pays aux ressources naturelles très riches et le compare à son pays d’origine le Venezuela pour lequel pétrole et déforestation ne sont plus que des mirages de richesse pour la population.
Cependant, laissez-vous enivrer par l’énormité du conte, les péripéties des personnages et la touffeur de la forêt équatoriale.
Jules GASSOT : un chien en ville – (Ed Rivages) 167 pages.
Douze nouvelles pour douze vies de chiens.
Bâtard ou chien à pedigree, seuls ou accompagnés de leur maître, ils arpentent les rues et les foyers de douze capitales du monde.
A travers leurs yeux nous apprenons à connaître la vie et les travers de leur maître. Tristes ou gais, souvent canailles, ils ont peine à nous convaincre de la véracité de leur point de vue. Souvent superficiels, un peu triviaux, on n’est pas subjugué par ce panorama canin vu un peu rapidement et pas très convaincant.
On aurait aimé que l’auteur se livre à un exercice de style : «à la manière de…» chaque chien ayant un vocabulaire différent et des expressions particulières.
Frédéric VERGER : Les rêveuses (Ed Gallimard) 444 pages)
Le jeune Peter Siderman, juif allemand de17 ans engagé dans l’armée française, parvient, au moment de la débâcle de mai 1940, à usurper l’identité d’un mort dont il ne sait rien. Fait prisonnier et protégé par sa nouvelle identité il se croit à l’abri lorsqu’il est informé que « par une faveur exceptionnelle, l’autorité militaire a accepté la requête de sa mère mourante et qu’on va immédiatement le ramener auprès d’elle».
Peter va donc rencontrer la famille d’Alexandre d’Anderlange : sa belle mère émigrée de Russie et deux jolies cousines ruinées qui mettent tous leurs charmes en avant pour dénicher un mari.
Non loin de là se dresse un couvent où il apprend que s’est réfugiée ou qu’on a enfermé Blanche, la troisième cousine, couvent qui abritait autrefois les sœurs  « rêveuses» dont les songes passaient pour des oracles et étaient vendus fort cher à de riches bourgeois comme Breton. Le couvent tombe en ruines et les prisonniers russes du camp voisin sont chargés de refaire le toit dans des conditions inhumaines d’autant que pour ce travail on n’a conservé que les invalides. Peter ou plutôt Alexandre décide de ramener Blanche dont il est tombé amoureux à travers les carnets d’Alexandre retrouvés dans sa chambre. Et pour sauver la jeune fille qu’il n’a vue qu’en rêve , il va se montrer héroïque
C’est un roman inclassable à la fois réaliste avec des images horribles ou triviales et oniriques par les songes magnifiques et hermétiques des nonnes. L’écriture somptueuse donne à l’horreur de la guerre et de la mort une beauté morbide et l’humour ’parfois féroce empêche de sombrer dans le mélodrame
En conclusion il faut lire ce roman pour suivre la métamorphose d’un garçon médiocre en vrai héros. Il faut le lire aussi pour le bonheur des images à savourer

FREGNI Ren+® 2017 photo Francesca Mantovani - +®ditions Gallimard 922 Hada le bris

René FREGNI : Les vivants au prix des morts (Ed Gallimard) 188 pages
On retrouve dans ce roman l’auteur que nous avons connu à Marseille où il animait des ateliers d’écriture à la prison des Baumettes et qui nous a fait partager ses émotions au fil de ses romans dont «La fiancée des corbeaux» qui nous l’a révélé. Il est toujours amoureux d’Isabelle la belle institutrice dont il partage la vie dans la belle Provence au nord de Marseille, tout près de Giono avec qui il partage l’amour de la terre, de la nature et de la magnifique lumière.
Sauf que l’imprévu va débarquer dans ce bonheur sans tache en la personne de «Kader Le roi de l’évasion» qu’il a connu précédemment dans un de ses ateliers d’écriture et qui, une fois de plus en cavale, va atterrir chez lui. René ne peut pas se dérober et l’accueille, oh ! juste le temps de se retourner. Mais l’inimaginable arrive qui va l’embarquer dans une histoire sans fin et qui met en danger Isabelle, les cigales et le parfum des lavandes.
Ce roman à fortes résonances personnelles, à la fois journal intime et véritable thriller entraine le lecteur dans un suspense permanent qui va crescendo. L’auteur nous berce par la douceur de ses mots et la beauté de ses paysages. Puis tout bascule, la peur et la violence remplacent le silence et la lumière.
Un suspense très réussi, à la fois réaliste et émouvant très bien écrit juste à notre porte.
Keisuke HADA : La vie du bon côté (Ed Philippe Piquier)  147 pages
Kento, 28 ans, vit encore chez sa mère, ainsi que son grand-père, qui ne cesse de se plaindre car il désire une mort digne et paisible. La mère travaille, rudoie son père et lui parle méchamment. Le fils cherche mollement du travail.
Kento réalise qu’il veut aider son grand-père à mourir dignement et décide de l’aider. Cette tentative d’euthanasie se transforme en une double renaissance à laquelle le grand-père et son petit- fils s’ouvrent. Kento se lance dans une reconstruction complète non seulement de son corps mais de son cerveau et accède à tous les désirs de son grand-père.
L’auteur s’interroge à travers cette relation de la façon de gérer cette longévité et nous rappelle que la dignité humaine n’a pas d’âge. Il dépeint la relation à la fois tendre et éprouvante entre un petit-fils et son grand-père.
Roman qui aborde un des problèmes les plus importants du Japon actuel : le vieillissement de la population et sa prise en charge, mais horriblement long et ennuyeux, teinté d’une pointe d’humour mais noyé dans ce bien triste quotidien
L’auteur né en 1985 reçoit pour son premier roman à 17 ans l’équivalent du Goncourt. Celui-ci est le dixième; le premier traduit en français
Michel LE BRIS : Kong (Ed Grasset) 937 pages
«Énorme» est le premier mot qui vient à l’esprit lorsqu’il s’agit de rendre compte du dernier ouvrage de Michel Le Bris.
Énorme fresque, énorme documentation, énorme aventure, énorme production, énorme rétrospective, le tout gravitant autour du plus grand des gorilles : King Kong.
Nous sommes à Vienne en 1919, l’Europe panse ses blessures. Dans ce qui reste de la ville occupée, deux jeunes gens se rencontrent à la gare.
Alors qu’Ernest Schoedsack dit Shorty photographe de guerre, guette l’arrivée d’un convoi de la Croix Rouge, un prisonnier tout juste libéré se présente à lui : Merian Cooper, du premier groupe de bombardiers, seul survivant de la bataille de Dun-sur-Meuse cherche un endroit où manger et dormir.
Ils se racontent la guerre, leurs vies se ressemblent.
C’est le début d’une longue amitié.
Plus tard, ils se retrouveront à Londres, aventuriers tous les deux, en quête de sensations fortes et d’un sens à donner à ce monde à reconstruire. Un projet va naître qui va les lier à jamais : avec des images, ils écriront comment se fait l’Histoire.
Ils diront l’absurdité de la guerre, la férocité des hommes, celle du monde. Ils imposeront un réalisme provoquant.
La première partie du roman raconte donc cette folle aventure faite d’équipées invraisemblables dans des lieux hostiles ou méconnus. Ce sera, l’Abyssinie, la Turquie, l’Iran, le Siam, les iles de la Sonde avec des images choc, cultivant férocité, atrocité et véracité. Les deux explorateurs emmagasinent les images.
Merian Cooper devenu réalisateur assure que la fiction sera plus puissante encore que le documentaire ; ainsi nait l’histoire du gorille géant. King Kong s’imposera sur le toit de l’Empire State Building.
Des retours périodiques à New York rendent compte du succès de l’entreprise.
Jamais auparavant on avait osé autant de réalisme, mais le monde a changé. Hollywood innove avec les décors, les truquages. La Paramount cautionne les réalisations des deux amis. C’est  « le film le plus stupéfiant de l’histoire du cinéma, une révolution technique et industrielle et une histoire époustouflante »
La deuxième partie du livre, raconte la société, les années folles, les progrès technologiques avec la naissance de l’aviation civile, la conquête du ciel et l’essor de la Pan Am, de la production cinématographique, la magie du cinéma avec les studios d’Hollywood.
L’aventure devient historique, politique, économique. Moins enivrante, cette partie retrace cependant une époque de pionniers que nous n’avons pas connue.
La fresque se termine en mars 1933 avec la projection ovationnée du film des deux amis alors que le président Roosevelt vient d’échapper à un attentat et qu’en Europe, l’Allemagne annonce l’écrasante victoire du parti du chancelier Hitler aux élections.
Écrit dans une langue juste et efficace avec quelques jolies envolées (on citera :  il s’était blotti dans la respiration tranquille de la nuit») un vocabulaire toujours renouvelé, jamais le texte ne lasse dans cette biographie romancée d’une super production.
Un bel hommage au monde du cinéma.