Écouter chanter Jean-François Bernardini et I Muvrini est déjà un plaisir musical et un grand moment d’émotion.
Écouter parler Jean-François Bernardini est un immense moment d’émotion, de sagesse, d’humanité, de joie.
Nous nous connaissons depuis près de vingt ans et le plaisir de la rencontre est intact, toujours renouvelé.
Plaisir retrouvé à Aix-en-Provence pour la première interview de la tournée-promo qu’il démarre avec leur tout nouveau disque intitulé « Luciole » (Sony Music). Un disque exceptionnel qui prône la paix, la liberté, la fraternité, l’amour avec des accents évidemment venus de son île natale, mêlés à du gospel et des mélodies arabisantes. Un disque un peu différent de ceux qu’ils nous ont donné à écouter. Un disque universel qui apporte la foi en l’humain, sinon à l’homme et à la fois un cri d’alerte, de non-violence et l’espoir de sauver le monde, s’il en est encore temps.
Jean-François, d’abord pourquoi le titre « Luciole » ?
Parce qu’une luciole est le seul être vivant qui éclaire sans brûler. C’est donc un exemple extraordinaire qui dit à sa manière : apprenons à faire la lumière, à la partager sans crainte. On veut t’apprendre à ne pas briller, il y a trop de gens aujourd’hui qui veulent te voler la lumière.
On a quelquefois du mal à reconnaître ta voix, dans certaines chansons !
(Il rit). C’est normal car lorsque je chante en corse, il y a une certaine façon de le faire. Par exemple en Corse, le son « U » n’existe pas. Et puis, tu ne peux pas chanter de la même façon du français, de l’arabe, avec Lena Chamamyan ou du gospel, avec « Gospel pour 100 voix »..
Pour chaque chanson, il y a un thème, une écriture, un rythme, une tonalité… Tu ne joues pas avec un violon comme avec une guitare. D’une certaine manière, à chaque fois tu te réinventes, tu t’exposes. Nous devons apprendre à nous réinventer afin d’avancer, de ne pas tourner en rond.
Comment qualifierais-tu ce disque ?
Le contenu est fait à la fois de tendresse et de colère au sens politique, noble du terme.
Il me semble assez mystique.
Il y a toujours d mysticisme dans la musique car elle vient du ciel pour aller vers la terre. Je viens aussi du monde de la polyphonie qui est un chant sacré. Le sacré est en nous, est omniprésent. Ces sources sont précieuses, elles nous invitent à monter sur la colline pour voir plus haut, plus loin.
Serait-ce aussi un disque engagé ?
Je dirais que c’est un disque… engageant ! J’ai toujours été engagé dans le sens de « concerné ». Je préfère cet adjectif. Durant quinze jours, j’ai parcouru les lycées de France. J’étais d’ailleurs à Hyères avec 700 élèves, pour leur parler de la non-violence. Grâce à eux, j’en suis ressorti milliardaire tant ils m’ont apporté car je sens que je réponds à une urgence.
Je ne suis pas seulement un chanteur mais un faiseur. C’est ça mon engagement et c’est totalement bénévole. Un artiste, ou il crée de la lumière ou il n’est rien. Après, ce n’est pas à moi de décider.
Tu chantes donc « Ma sœur musulmane » avec Lena Chamamyan. Bel hymne à l’amour.
Lena, c’est la plus belle voix de l’Orient.
Ça a été une belle rencontre grâce à une journaliste d’Arte, Sophie Rozenzweig, qui savait que je cherchais une voix pour cette chanson. En 2016, en concert à Strasbourg, elle me l’a présentée. Je lui ait fait écouter la chanson. Elle a été étonnée, touchée et quelques jours après nous l’enregistrions.
Sa voix est sublime, ça a été un moment de bonheur extraordinaire. C’est vrai, c’est une sorte d’hymne à l’amour, à la communion, à la vie, un pont qui relie les rivages de « La madre universale »
L’amour… un grand mot !
Un gros mot !
Le mal contamine le monde, on le voit dans le comportement des hommes. Il n’y a que des héros négatifs à la Une. Amour devient presque un gros mot, il semble louche. Et pourtant il y a les guerres, la famine et bien d’autres choses et c’est là que la non-violence est nécessaire. Il faut semer des graines ensemble mais ce qui manque aujourd’hui, ce sont les semeurs. C’est pour en trouver que je fais le tour des écoles, non pas en chantant mais en parlant, en échangeant. Il faut trouver les solutions, avancer pas à pas en essayant de décontaminer ce monde de crocodiles et afin que les jeunes, aidés par leurs enseignants, contaminent les adultes avec ces idées.
Le rôle d’un artiste, aujourd’hui, c’est ça.
« Ma sœur musulmane » et donc le premier single de l’album, suivi d’un clip. Ca a l’air de fonctionner ?
Sur scène, ça fonctionne, elle est accueille bras et cœur ouverts. Reste à savoir si les médias suivront.
Pourquoi ne suivraient-ils pas ?
Parce qu’elle va indisposer nombre de programmateurs français. Cette chanson est un défi. J’espère seulement que certains penseront qu’elle vaut la peine qu’on l’entende.
C’est un peu une chanson-vaccin contre les peurs qu’on nous inflige. Dans la chanson, je dis « Allahou akbar », ce qui est très fort et panique les gens à juste titre lorsqu’on voit comment certains l’utilisent aujourd’hui. Et pourtant, 99% des musulmans le prononcent plusieurs fois par jour à d’autres fins, à des fins de paix.
Les médias en font peut-être un peu trop à ce sujet ?
La violence fait vendre. Avec la violence tu vends tout ce que tu veux aujourd’hui. La peur fait vendre et elle est extraordinaire pour diviser un peuple. Nous sommes tous saturés de cette surmédiatisation. Les belles choses, on n’en parle jamais car elles ne vendent pas.
Que faut-il faire ?
Il faut que les justes s’unissent aux justes, sinon nous sommes en danger. Nous avons la chance de ne pas être en dictature, donc on peut le faire. Au moins le tenter. La non-violence va aussi de pair avec l’écologie qu’on détruit aujourd’hui. On ne devrait plus appeler les ouragans, qui sont de plus en plus nombreux, que « Donald », lorsqu’on voit ce qu’il veut en faire.
Que penses-tu du problème de la Catalogne, qui se rapproche quelque peu de ce qu’a vécu la Corse et le vit encore ?
(Un grand silence) Les Catalans, comme les Corses, ne l’oublions pas, sont des peuples qui ont été humiliés dans leur Histoire. Ils vivent avec ce traumatisme, c’est fondamental de le reconnaître. Ils ont su se reconstruire et ce n’est pas en les réprimant parce qu’ils votent, que ça s’arrangera. Au contraire ça ne peut que renforcer la violence et le divorce.
Par ailleurs, être indépendant, est-ce la solution ? Je ne vois pas comment un drapeau peut les aider, d’autant qu’ils n’auront pas plus de pouvoir. Ce sont les multinationales qui gèrent le monde.
Les Catalans sont un peuple qu’on a voulu détruire, comme les Corses. Mais si l’on veut s’en sortir on ne peut le faire qu’ensemble, France/Corse, Catalogne/Espagne.
L’humain est aveuglé par le pouvoir et l’argent et ce n’est pas dans la séparation qu’on trouvera le bonheur. »
Le bonheur, la paix… Ce disque est un bel exemple, un bel hymne. Un hymne aussi à la diversité linguistique.
C’est un magnifique témoignage que nous apportent Jean-François et ses Mouflons.
Un grand message d’humanité.
Propos recueillis par Jacques Brachet
Photo de JFA : Christian Servandier
I Muvrini en tournée, à Marseille au Silo le 8 mars 20h30