Sélection officielle
Dans une compétition officielle, dans l’ensemble décevante cette année, quelques films ont toutefois retenu notre attention.
Au lieu de réaliser un énième documentaire ou un film réaliste larmoyant sur les réfugiés syriens, le hongrois Konél Mundruczo ose avec Jupiter’s Moon (La lune de Jupiter) un film de genre avec des migrants. Souvent centré sur son seul protagoniste, comme Le fils de Saul, Jupiter’s Moon est alourdi par les (trop?) nombreuses références christiques, mais a le mérite de l’originalité.
Cheminement d’une femme dont le mari et l’enfant ont été victimes d’un crime raciste, Aus Dem Nichts (In the fade) de Fatih Akin a valu à son actrice Diane Kruger le prix d’interprétation féminine. Il laisse nonobstant le spectateur dubitatif sur son message. Justifie-t-il la vengeance dans un pays où, la plupart du temps, les lois existent et fonctionnent ?
Krotkaya (Une femme douce) de l’ukrainien Sergei Loznitsa offre une descente aux enfers dans une Russie intemporelle. A la croisée de Dostoïevski et de Kafka, une femme impassible traverse corruption, prostitution, drogue jusqu’à la scène onirique fellinienne rassemblant les personnages du road movie.
Okja de Bong Joon Ho, avec Tilda Swindon est l’un des deux films Netflix en compétition officielle. Si ce film d’aventure fantastique défendant la cause des animaux s’adresse aux enfants (comme ses protagonistes, un animal de synthèse et une enfant le laissent entendre), il est souvent trop dur pour un jeune public. Son principal mérite est de décentrer le regard américain vers un autre pays, la Corée du Sud où se déroule la première partie du film, et d’être en partie sous-titré. La fidélité de la traduction en est d’ailleurs le message principal (« La traduction est sacrée »), devise que l’un des personnages (qui a fauté) se fait tatouer sur le bras. C’est en cela qu’Okja est un pur produit Netflix.
Les débats ont beaucoup porté cette année à Cannes sur l’inclusion de deux films produits par Netflix dans la compétition officielle. Le président du Jury Pedro Almodovar déclarait en début de Festival ne pas vouloir décerner la Palme à un film qui ne sortirait pas en salle. D’une part, ce n’est pas le rôle du Président du Jury de commenter sur l’inclusion ou pas de films dans la compétition. D’autre part, il ne peut pas révéler le contenu des débats du Jury. S’il ne veut pas leur donner la Palme, qu’il ne le fasse pas, c’est tout. Si Netflix a accepté que ces films sortent de façon limitée dans trois pays (dont la France ne fait pas partie), il semble toutefois que cette première et la projection de séries télévisées certes prestigieuses comme « Twin Peaks » de David Lynch et « Top of the Lake » de Jane Campion laissent présager une nouvelle ère pour le Festival de Cannes.
Posoki – Avant que nous disparaissions
Sélections parallèles
A la Quinzaine des réalisateurs, L’intrusa de Leonardo di Costanzo est centré sur une ancienne ferme dans une banlieue de Naples aux prises avec la Camorra. Géré par la seule non-napolitaine du film, ce lieu est un espace de liberté pour les enfants. Ils y créent, s’y amusent en liberté et y font la fête, jusqu’à ce que le monde des adultes viennent les diviser.
L’un des films les plus singuliers de la Semaine internationale de la critique est Téhéran Taboo d’Ali Soozandeh. Dans ce film d’animation de production allemande et autrichienne, plusieurs femmes iraniennes de milieux différents se croisent et se recroisent. Face à l’impossibilité de filmer en Iran, le cinéaste filme ses acteurs sur fond vert en Allemagne, puis les redessine par la suite dans ce qu’on nomme la rotoscopie. L’ensemble offre le tableau d’une société hypocrite où règnent corruption, prostitution, drogue et où le destin des hommes n’est pas plus à envier que celui des femmes.
C’est dans la sélection « Un certain regard » que nous avons trouvé cette année le plus de pépites. Dans Lu guio wei lai (Passage par le futur) de la chinoise Li Ruijun, une jeune fille dont deux parents sont renvoyés se prête à des expériences pharmaceutiques.
Le film, très lent, oppose le Nord et le Sud, la ville et la campagne, où la famille finit par se réfugier.
Pas moins de trois titres pour le film de l’argentin Santiago Mitre: Cordillera en espagnol, El presidiente en français (!) et The Summit en anglais. Peut-on tourner une film argentin sans Ricardo Darín ? Le film démarre comme une bonne série américaine sur le pouvoir politique : West Wing, House of Cards, Homeland, Scandal… Les présidents latino-américains se rencontrent dans un hôtel à la montagne autour d’un accord pétrolier contre les Etats-Unis. Isolés dans la cordillère des Andes enneigée, ils se jaugent, se rencontrent pour comploter en marge ou coucher… La tension est palpable alors que nous suivons un président argentin entaché de scandale. Ricardo Darín ne manque pas de modèles dans l’histoire récente et moins récente de son pays. Les luttes de pouvoir dans les réunions plénières et en marge du sommet font monter la tension, puis le film s’arrête pour laisser place à un face à face psycho-fantastique du président avec sa fille et l’intérêt du spectateur ne suit pas. Dommage.
La novia del desertio
La Ricardo Darín chilienne, Paulina Garcia, qui joue la présidente chilienne de La cordillera, ne quitte pas l’écran de ce road movie au féminin, La novia del desierto (La fiancée du désert) des argentines Cecilia Atàn et Valeria Pivato. Une employée de maison quitte la famille avec laquelle elle a passé presque toute sa vie pour aller travailler dans le nord du pays. Une série d’événements l’empêche d’atteindre sa destination, dont la rencontre avec l’amour. Un film subtil, tout en tendresse et délicatesse. A ne pas manquer.
Toute la force de Sanpo suru shinryakusha (Avant que nous disparaissions) de Kiyoshi Kurosawa réside dans le scénario, les quelques effets spéciaux étant datés et totalement inutiles. Dans ce film de science-fiction philosophique, les extraterrestres prennent possession de trois corps sur terre pour voler les concepts des êtres humains avant l’invasion, invasion qui échouera grâce au concept d’amour.
Notre préféré cette année est le bulgare Posoki (Directions). La Bulgarie était absente de Cannes depuis les années 80, peut-être à cause de sa production clairsemée. Comme la plupart des films en compétition cette année, le cinquième film de Stephan Komandarev parle de pauvreté, émigration, corruption dans un pays sinistré, mais c’est la forme qui est remarquable. Posoki respecte l’unité de temps et de lieu : la capitale Sofia est arpentée par six taxis pendant une longue nuit. Le premier chauffeur de taxi tue un homme politique véreux et se tire une balle dans la tête. A la manière de La ronde de Max Ophuls ou du Cercle de Jafar Panahi, on passe ensuite d’un taxi à l’autre à mesure qu’ils se croisent en écoutant sur les ondes les commentaires que suscitent cet acte désespéré. Chaque scène est poignante et admirablement bien écrite. Dans ce road movie motivé par la mort, dominent pourtant l’humour et l’humanité des personnages, qui ne perdent pas espoir. Si le pays va mal, il n’en est pas de même de son cinéma.
Le festival a été agrémenté de deux superbes concerts gratuits sur la plage Macé. Mathieu Chedid a présenté son nouvel album M-Lamomali avec les grands musiciens maliens Toumani et Sidiki Diabaté, la chanteuse Fatoumata Diawara et l’Afro Pop Ochestra.
Le ciné-concert avec projection du dernier film de Tony Gatlif Djam a été précédé d’un concert de rebetiko grec.
Si la sélection officielle 2017 a été jugée dans l’ensemble décevante, on a pu voir par ailleurs des documentaires de grande qualité comme Visages Villages d’Agnès Varda avec le photographe JR et 12 jours de Raymond Depardon sur les hôpitaux psychiatriques.
A quand des documentaires dans la compétition officielle ?
Myrto Konstantarakos