NOTES de LECTURES
Par les Plumes d’Azur

Besson © Maxime Reychman AVT_Claire-Gallois_7286

Philippe BESSON : Arrête avec tes mensonges (Ed Julliard) 162 pages
Magnifique et bouleversant, le dernier livre de Philippe Besson est le récit d’une belle rencontre. Un roman autobiographique, une affaire de sentiments, la relation d’un premier amour.
A l’issue d’une signature, l’auteur/ narrateur Philippe Besson, devenu écrivain, reconnait une silhouette, un visage… Une vision de choc qui le projette vingt trois ans en arrière
Lui, c’est Thomas Andrieux, également élève du Lycée de Barbezieux, pour qui il avait éprouvé un sentiment immédiat et qui l’a troublé à jamais.
Flash back : nous sommes en 1984, l’un est fils d’instituteur, élève studieux mais timide et dévoreur de littérature ; l’autre est fils d’agriculteur, ténébreux, sauvage et mystérieux.
Dans la cour du lycée l’attirance est sans équivoque bien que tout les oppose.
S’ensuivent des étreintes clandestines où les deux adolescents découvrent avec émerveillement la possession de l’autre et la jouissance des corps.
L’écriture est sobre et précise et les sentiments décrits avec justesse.
Après les premiers émois cependant, viendront le manque, le chagrin, le doute, et l’absence suite à la rupture.
Car l’histoire se termine tragiquement.
L’un aura vécu son amour homosexuel avec vérité, comme un choix ; l’autre dans la clandestinité et le déni en mentant pour garder sa place.
Une option douloureuse à l’échelle de la vie.
A lire pour sa grande sincérité.

Claire Gallois : Et si tu n’existais pas( Ed Stock) 151 pages
Quelle enfance que celle de cette petite reine comme l’appelait « Yaya » sa nourrice bretonne qui l’a recueillie à deux mois alors que sa mère l’abandonnait en l’oubliant pendant six ans.
Six ans de bonheur fusionnel, d’attention et de mille souvenirs partagés par les deux femmes au fin fond de la Creuse où elles vivaient. Un bonheur parfait interrompu soudain par l’arrivée en trombe de la mère originelle dans sa superbe auto venue la récupérer et l’insérer dans sa famille réelle de petits bourgeois parisiens. Dur de s’immiscer dans ce cercle hors norme où nul ne l’attendait et qui fait d’elle une rebelle en recherche de sa Yaya d’amour. Un mélo direz-vous ? Pas du tout. Un vrai bonheur d’amour, de recherche, de complicité pour sa nourrice perdue au sein d’une famille refusée.
Pas mal dérangeant non pas par l’histoire elle-même mais par la façon de la traiter en petites phrases courtes et vives, bondissant du passé au présent, mettant le lecteur à rude épreuve. Mais que d’amour, de finesse, de justesse dans l’analyse des sentiments de l’enfant abandonnée heureuse dans son abandon. Roman délicat et sensible sans pathos qui touche et bouscule sans cesse le lecteur !

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Laurent GAUDE : Ecoutez nos défaites (Ed Actes Sud) 261 pages
Adam Graïeb agent de renseignements français gagné par une grande lassitude est chargé de retrouver à Beyrouth un ancien membre des commandos d’élite américain soupçonné de trafics. A Zurich Assam croise Mariam une jeune archéologue irakienne chargée de retrouver les objets volés dans le saccage des musées du Moyen Orient. Leur rencontre d’une nuit éveille en eux plus que quelques heures d’amour. Bataille, victoires, défaites, c’est un retour sur une réflexion au sujet de la conquête des pays et des peuples au nom de qui, au nom de quoi sinon le résultat : des milliers de morts et de destructions.
En passant tour à tour D’Hannibal et ses éléphants vers Rome, au Général Grant et la guerre de sécession ou encore Haïlé Sélassier face à l’envahisseur fasciste on constate l’envers des victoires. :  des successions de morts, de mères en pleurs et de territoires ravagés.
Ces destins exceptionnels s’entrecroisent avec maestria sous la plume de Laurent Gaudé pour écraser la folie des hommes et célèbrent l’émotion ,l’art, la beauté. Splendide, émouvant mais désolant.

Marc LAMBRON : Quarante ans (Ed Grasset) 478 pages
Marc Lambron, éminent auteur couronné de succès après un parcours brillant : énarque, conseiller d’état et maintenant académicien publie le journal qu’il tenait en 1997 alors qu’il avait quarante ans et qu’il sortait son livre « 1941 » très controversé à l’époque.
Tenu au jour le jour, il brosse en fin psychologue, le portrait de ses contemporains tous hyperconnus et qui faisaient la une de tous les potins mondains. L’occasion pour nous de suivre leurs parcours savoureux ou leur retombée dans l’oubli depuis. Il s’attache à nous décrire les turpitudes soulevées par la parution de son dernier roman »1941 » au moment du procès Papon et nous fait assister aux affres d’un auteur attendant les résultats du Goncourt et qu’il n’aura pas. C’est l’occasion aussi pour lui d’évoquer avec beaucoup de tendresse ses liens familiaux avec son père mourant et son attachement à sa mère et à sa bonne ville de Lyon, ainsi qu’à ses deux petites filles.
Long roman certes, surtout autour de ses déboires au moment des sorties littéraires mais très agréable pour ses portraits et ses « tweets » dirions-nous aujourd’hui sur les « people » qui faisaient la une de cette année 1997. Très bon roman.

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Mathias MALZIEU : Journal d’un vampire en pyjama de (Ed Albin Michel) 234 pages.
Journal intime, presque quotidien, tenu durant un an, contre une maladie du sang rare et la mort personnifiée par « Dame Oclès ».
Mathias est un artiste touche à tout, prodigieusement doué, plein d’énergie et d’imagination. Au sortir d’une tournée, un malaise le conduit aux urgences où on découvre une « panne sèche de la moelle osseuse qui déraille ». D’où transfusion de sang permanente pour survivre. Traitement inefficace. Il faut attendre un donneur, fort rare, pour greffer du sang de cordon placentaire congelé. Ne pas déprimer est un jeu compliqué quand on est condamné à tourner en rond dans une chambre stérile. Sa résistance sera l’autodérision, l’humour, la poésie et surtout l’écriture, élément important de sa thérapie ainsi qu’une bonne dose de fantaisie créative. Mais « Dame Oclès », ombre constante, est toujours là qui attend son heure ; il la rudoie avec beaucoup de drôlerie. Il est magnifiquement épaulé par le corps médical (les infirmières), la famille et sa petite amie, tous soutiens indéfectibles.
C’est une chronique, grave et légère à la fois, de la maladie au quotidien. Mêlant beaucoup d’humour à la poésie le  chanteur Dionysos invite le lecteur dans son univers, ô combien créatif et drôle, transmettant au lecteur son énergie revigorante.

Saïdeh PAKRAVAN : Le principe du désir (Ed Belfond) 428 pages.
Nous sommes à New York, dans une galerie d’art lors d’un vernissage.
On y trouve  Sarah Bly. Elle est peintre, elle est douée, elle est jolie.
On y croise :Thaddeus Clark. Il est collectionneur et mécène, il est riche et beau…c’est le coup de foudre !
Navrante de banalité, de superficialité et de clichés cette intrusion dans le monde de l’art contemporain est de nature à lasser le lecteur.
Et pourtant !
Selon ce qu’elle a dénommé « le principe du désir »,  Sarah Bly, l’héroïne, va nous entraîner autour de sa folle construction d’un « fuis moi, je te suis, suis moi, je te fui »».
L’artiste, jeune femme moderne, tout juste sortie d’une aventure peu reluisante avec un aventurier égoïste et capricieux refuse de vivre son histoire sereinement. Elle feint l’indifférence comme une stratégie pour garder l’homme de sa vie.
Les conseils d’Edward, le psychothérapeute ami ou de Siobhan, la tante complaisante, n’y changeront rien et le couple de rêve finira par chanceler.
Le principe d’autodestruction s’arrêtera cependant lorsque chacun des protagonistes laissera passer un peu d’humanité dans son comportement ; Lui, en avouant une faute de jeunesse, elle en faisant le bilan de ses navrantes aventures.
Et tout est bien qui finit bien.
Bien écrit, bien documenté, mais tout est trop bien !
La désillusion demeure donc pour le lecteur même si les références constantes aux artistes contemporains et à la culture artistique le rassurent.

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Alexandre ROMANES : Les corbeaux sont les gitans du ciel (Éd de l’Archipel) 280 pages
« Les corbeaux sont les gitans du ciel » !
Semblable à un anathème, le titre de ce recueil de souvenirs, rédigé par un authentique tsigane prévient le lecteur : les tribus nomades aux lois et au mode de vie unique dérangent.
L’auteur, Alexandre Romanès devenu écrivain et poète, qui a fréquenté Jean Genet et qui cite Ernest Jünger est en réalité un homme de cirque.
Issus d’une famille de Rom venus d’Italie dans les années cinquante, apparentés aux Bouglione, les Romanès se racontent.
Successivement équilibriste, funambule, dresseur de fauves, l’homme évoque son quotidien, ses rencontres. Sa femme Délia et lui sont à l’origine du premier cirque tsigane d’Europe.
Les anecdotes foisonnent (cent seize rubriques exactement), racontées avec pudeur, et bien qu’elles soient parfois d’une banalité navrante, où l’on fait preuve de discrimination positive, le lecteur se montre impatient de pénétrer ce monde de traditions et d’itinérances.
Décrite par petites touches et programmée autours de maximes et proverbes, la vie des gitans, empreinte d’un sentiment d’injustice n’en demeure pas moins une ode à la liberté.
Nous retiendrons de cette lecture, l’histoire de l’évolution de la culture du cirque et des tsiganes et feront nôtres certains de leurs adages comme ce « Ne te moque jamais des riches, ça pourrait t’arriver ! »
Sympathique au final, même si corbeaux il y a.

Eric-Emmanuel SCHMITT : L’homme qui voyait à travers les visages
(Ed Albin Miche) 420 pages
Augustin le narrateur, vingt-cinq ans, abandonné de la vie, orphelin élevé par des familles d’accueil, qui vient d’atterrir comme stagiaire dans un journal local de Charleroi, est brusquement mis en vedette. Un attentat vient de se produire devant lui ! Un jeune Beur se fait sauter parmi l’assistance qui sort de l’église autour d’un cercueil. Choqué mais non blessé il devient le héros du jour et de son patron qui compte bien sur lui pour alimenter les colonnes de son journal. Or si Augustin a bien vu la scène il a aussi vu l’invisible, c’est à dire le petit personnage qui suivait le terroriste.
En fait il est coutumier pour lui de percevoir des silhouettes. des anges, des esprits, des fantômes ? Nul ne sait.
Commence alors une longue quête de renseignements afin de remonter la filière de Daesh et des tentatives d’explications.
Qui a tué ? le terroriste ? ou Dieu par sa main ? la religion qui engendre la violence ? Nous allons alors assister à de longues suppositions, à de longs débats sur Dieu et la violence dans lesquelles E.E Schmitt développe ses idées et ses réflexions. à propos de la croyance et des religions
Ce roman possède de multiples facettes où se mêlent les techniques de recherches policières, l’étude des caractères des protagonistes et jusqu’à la mise en scène de l’auteur par lui-même qui devient alors personnage de son roman. Et surtout une réflexion philosophique sur Dieu, la violence, la mort.
Du surprenant mais pas tant que ça chez cet auteur aux multiples facettes qui n’est pas que romancier mais aussi philosophe.
Un peu longuet;

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Laurent SEKSIK : Romain Gary s’en va-t-en guerre ( Ed Flammarion)
Laurent Seksik tente ici de percer le secret d’un destin aux contours souvent mystifiés . Avant de s’inventer Emile Ajar, Romain Gary, auteur au parcours incroyable, s’était inventé un père, un célèbre acteur russe . Ici l’auteur met en scène un père beaucoup plus vraisemblable, modeste fourreur, séparé de Nina la mère de Romain, vivant avec une autre femme dont il attend un autre enfant. Romain vit très mal cette situation familiale , c’est la fin de son enfance, son entrée dans l’âge adulte .
Nous sommes en 1943, Wilno (actuel Vilnius , capitale de la Lituanie) est occupé par les Allemands dont la grande occupation est l’anéantissement du ghetto juif Le jeune garçon trouvera une issue dans la fuite avec sa mère , mais ne se consolera jamais du déni de reconnaissance du père .
Une blessure qui aura peut-être fait de lui un très grand écrivain
Encore un très beau livre de 228 pages sur cet auteur magique !

Aki SHIMAZAKI : Sensui (Ed Actes Sud) 159 pages
Gôro, chef d’entreprise ramène tout à lui.
C’est l’homme parfait, héritier d’une société prospère, une femme docile, deux enfants, un garçon et une fille et deux maitresses. Son bureau est couvert de photographies qui le montrent vaniteux auprès d’hommes d’affaires ou de stars. C’est « monsieur selfie ».
Mais brusquement, l’édifice factice de sa vie craque. Cet homme, véritable despote qui aura abusé de tous, est désormais seul, abandonné de tout le mone.
Ses souvenirs d’enfance l’aideront-ils à s’humaniser ?
Roman sur l’égoïsme, le nombrilisme, que l’auteur décrit en phrases courtes à la première personne. Déjà dans ses romans précédents Aki Shimazaki observait avec justesse la nature humaine ; c’est élégant et plein de vérité.
Le glossaire est vraiment nécessaire à qui ne connait pas le japonais.