NOTES DE LECTURES
Par les Plumes d’Azur

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Gui BOLEY : fils du feu (Ed Grasset)
Ce premier roman dénote une grande maturité et une sureté aussi bien dans le style au vocabulaire riche et élaboré que dans le développement du récit, bien construit, poétique et passionnant du début à la fin.
L’auteur raconte une enfance peu courante entre un père forgeron et une mère qui refuse avec obstination la perte d’un deuxième enfant décédé. C’est une histoire triste puisqu’il s’agit d’une famille qui doit surmonter la mort d’un enfant mais le récit n’est jamais pesant, au contraire, c’est vivant, touchant, émouvant de sincérité et d’émotion.
Ce superbe récit hors du commun est poétique sans pathos, plein de tendresse, de pudeur, il est vivant, attractif et passionnant du début à la fin, saupoudré d’un brin d’humour.
Une vrai réussite pour un premier roman. Il mériterait un prix littéraire !

Jean Michel BRUN : Nouvelles Irréelles (Ed St Honoré)
La lecture de ce recueil de nouvelles, «publié à la demande», laisse perplexe
Il est, en effet, bien difficile d’entrer dans l’univers de Jean Michel Brun.
Ces quelques phrases prises au hasard dans le texte, donnent une idée du désarroi d’un lecteur potentiel. Qu’on en juge :
P 42 : « La distance au chant de la roue, dont elles escomptent leurs langages les font fuir dans la vraisemblance, d’une exceptionnelle mythologie des consciences de hasard en ressort ».
P 111 : « L’inquiétude, se transporte aux évictions d’un ultime message pour un espoir émouvant, où une tendresse silencieuse l’appelle au val matutinal et désert des rêves ».
Et encore, pour terminer, P 322 : « Aux confins d’une orée une vermeille, licorne dans l’éclat lunaire des troncs nus flagelle le mauve tapissé sous la bise, et un page cadavre impavide sa corne d’azur joutant contre les ténèbres… »
Puzzle de vocables, ponctuation débridée, galimatias ne font pas bon ménage lorsqu’il s’agit de littérature.

Violette   CABESOS : Portrait de groupe avec parapluie ( Ed Albin Michel)
Trois mamies de soixante-dix ans ou plus décident de démasquer un tueur original qui utilise ses victimes pour reconstituer des tableaux très connus du début du XXème siècle.
Ce roman à deux voix nous plonge avec délice dans la vie et l’œuvre des peintres de cette époque. D’une part, l’assassin explique son comportement et ses projets, d’autre part, une des mamies, véritable spécialiste de cette période, analyse et décrypte le comportement original de l’assassin. On va de de Picasso à Manet en passant par Braque ou Derain, dans un discours intéressant et plein d’humour. Les anecdotes se succèdent, les crimes aussi et les mamies se démènent comme l’inspecteur chargé de l’enquête. Jamais de temps mort
Ce polar original, érudit et cocasse, est un régal de lecture.

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Emmanuelle PIROTTE : De Profondis (Ed du Cherche Midi)
Nous sommes à Bruxelles dans le futur.
Une épidémie d’Ebola 3 sévit, semant le chaos dans la ville et sa région. Une gigantesque panne d’électricité aggrave le tout. Le monde est livré à la folie des hommes.
Les passions s’exacerbent, les trafics pullulent, les bandes rivales s’affrontent, la violence règne ; c’est Mad Max en Europe.
Parmi les personnages, le lecteur s’attache à la destinée d’une mère et sa fille. Roxanne jeune femme libre et insouciante est amenée à faire face à ses responsabilités lorsque son ex mari, atteint par le virus, lui confie la garde de leur fille Stella.
Les deux filles ne se connaissent pas, seul le destin vient de les réunir.
Et le miracle se produit.
Au fur et à mesure qu’elles affrontent l’adversité, un sentiment naît de leur complicité et c’est ensemble qu’elles trouveront une issue. Une ancienne maison de famille les abritera. Vivant en autarcie, elles trouveront la force de s’opposer à la violence ambiante. Il semblerait même que la bienveillance d’un fantôme les accompagne et les protège !
Futuriste, surréaliste, ce roman fait de séquences successives, au style volontairement noir et froid, peut anticiper et annoncer l’arrivée d’une ère nouvelle.
Pas très rassurant !

Jean-Christophe RUFIN : Check-Point (Ed Gallimard)
Un convoi humanitaire de deux camions part de Lyon pour l’ex-Yougoslavie déchirée par la partition entre serbes, bosniaques et croates, musulmans et chrétiens. Une jeune femme, Maud, cachée derrière de vilaines lunettes a passé son permis poids-lourds pour entrer dans l’association et se rendre indispensable. Ses compagnons de route sont un humanitaire amoureux d’elle, deux anciens casques bleus et un certain Vauthier au passé trouble, animé d’une haine encore inexpliquée envers les militaires. L’intimité des cabines permet les confidences, les caractères se précisent au fil des pages, et très vite le lecteur comprend que l’engagement de l’humanitaire conduit souvent à prendre des risques. En apprenant la présence d’explosifs cachés dans les caisses qui risquent d’être découverts lors des checkpoints, les humanitaires comprennent que si les associations cherchent à aider les victimes, les intérêts prioritaires des uns ne correspond pas forcément à l’engagement officiel.
Jean-Christophe Rufin s’est servi de son expérience personnelle de médecin humanitaire pour camper des personnages confrontés à la guerre, conscients de leur impuissance face au dérisoire et qui réalisent que dans l’action disparaît le sacro-saint principe de neutralité.
Roman peut-être trop caricatural mais agréable à lire, les personnages sont certainement tous dans leur rôle, indépendamment mais réunis dans la même aventure, cela semble « too much ».
La postface de quelques pages reste la partie la plus intéressante et la plus vraie. Elle concrétise l’action des associations humanitaires qui reçoivent de l’argent de l’Union Européenne. L’humanitaire a un côté abstrait et les gens à aider peuvent rester virtuels, mais n’oublions pas que dans toute guerre, il y a des bénéficiaires et des victimes.

Bertrand SCHMID : Saison des ruines (Ed L’Age d’Homme)
Petit dytique qui va s’étager sur quelques mois d’une année et où chaque chapitre va porter le nom d’un mois, en fait de Mai à Décembre. Ces chapitres vont devenir comme les mois de plus en plus courts.
D’un côté Michel, la cinquantaine bourrue, garde dans le Valais les vaches d’un paysan de la vallée, aidé d’un jeune apprenti de dix-sept ans, Jérémie, qu’il doit former.
Dans le même temps, Annie, quinze ans, qui habite un quartier sordide avec sa mère à Londres. Celle-ci ne fait aucun effort pour travailler et vit sans ressources incapable de l’élever.
Deux existences qui n’ont aucun lien, dont la dureté des conditions n’a d’égal que le fantasme d’une vie meilleure. Des deux côtés c’est la misère, l’incompréhension, la perte des repères, l’échec. Malgré le bon air il ne fait pas meilleur sur l’alpage que sur le bitume et dans les squats. Seul point commun l’atmosphère sombre qui entoure leur quotidien.
Dans ce roman noir, premier roman de l’auteur, à l’écriture fluide, sont peints dans ces deux histoires parallèles, des tableaux sombres de deux mondes où les événements s’acharnent, avec peut-être une petite lueur d’espoir matérialisée par la colère et la révolte.

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Isabelle SIAC : Le talent ou la vertu. (Ed Belfond)
Dans ce récit romancé et palpitant, l’auteure très documentée nous offre une réflexion sur tout ce que le théâtre réveille de passions alors que la France se déchire au cœur de la Révolution. Nous sommes en 1789 et c’est à travers la vie de François Talma, l’un des plus talentueux acteurs de la Comédie Française que l’on voit se rencontrer les plus grandes figures de la Révolution comme Danton, Robespierre ou le jeune Napoléon, un peu comme si on regardait l’histoire depuis les coulisses des théâtres nationaux. Les protagonistes s’aiment, se déchirent, se trahissent et le sang et la cruauté coulent partout
Le style est nerveux, précis, très enlevé, émaillé d’anecdotes qui rendent le récit vivant mais très touffu et parfois un peu trop documenté pour le néophyte.
Un excellent travail de divulgation romanesque

Thierry VILA : Le cri (Ed Grasset)
Une métisse embarque sur un navire renifleur de pétrole. l’équipage est entièrement masculin. Elle est reconnue comme un bon médecin mais dans certaines circonstances, elle ne peut s’empêcher de pousser un cri …
Ce livre est inattendu, original et curieux . Le caractère hors du commun de cette femme médecin s’oppose au comportement banal de la plupart des marins incapables de comprendre ou d’accepter ce qui les dépasse. L’auteur maîtrise un suspense bien mené tout en donnant beaucoup de détails techniques sur ce bateau renifleur.
Lecture agréable pour ce thème original

Claudie HUNZINGER : L’Incandescente (Éd Grasset)
« L’Incandescente », c’est Marcelle, une jeune adolescente de seize ans, vive et libre, dont la personnalité fascine ses camarades.
Rédigé à partir de lettres appartenant à sa mère décédée et retrouvées dans un grenier, la narratrice reconstitue le passé d’une bande de filles qui entre seize et vingt deux ans ont échangé une correspondance fournie, racontant leurs joies, leurs émois, leurs projets, leurs déceptions.
La lecture des lettres aurait pu être fastidieuse pour le lecteur mais Claude Hunzinger a su habilement mêler narration et réflexion autour des personnages et leur époque.
Ainsi, la fille d’Emma écrira-t-elle le roman de Marcelle et ses deux ans de folie amoureuse avec sa compagne. Un homme, le père de la narratrice mettra un terme à cette idylle.
L’auteure va de découvertes en découvertes sur ses parents. Elle ne juge pas, elle apprend à les connaître.
Un texte fin et profond, avec un goût de réconciliation.

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Olga  LOSSKY : Le revers de la médaille (Ed Denoël)
Nous sommes en Hongrie dans les années 1930.
Issu d’une famille traditionnelle et bourgeoise, Pal étudiant portraitiste talentueux, espère remporter l’appel au projet  lancé par la monnaie de Budapest. Au moment des résultats, stupéfaction!…!
Déçu et blessé il va s’expatrier sur les injonctions de sa famille devant un danger naissant en Hongrie vis-à-vis des juifs. Réfugié en Europe il brille au firmament des arts tant à Londres qu’à Rome où il s’est fait une belle notoriété. Marié à une jeune anglaise de vingt ans sa cadette, comprenant son génie, elle sera le pivot de sa vie..
Mais ce « fougueux créateur vit dans sa « bulle ». Taciturne, il refuse sa tristesse qui le mine car il a un espoir insensé :  retrouver sa famille toujours en vie, laissée à Budapest. Ne ménageant pas ses efforts et avec beaucoup de discrétion, son épouse arrivera à ses fins. Il s’ouvrira au monde à la fin de sa vie en prenant conscience de l’importance de la transmission. Grâce à l’abnégation et à l’amour de son épouse
Roman émouvant sans pathos, raconté d’une écriture fluide, retraçant le destin d’un homme d’exception face à ses douleurs avec tous les affres de la création d’un médailliste dont l’art est peu connu. Intérêt historique aussi peu connu puisqu’on découvre la Hongrie de 1938 à l’après guerre, avec le sauvetage des juifs des actes horribles des croix fléchées.
Le lecteur rencontrera donc de l’Histoire, de l’art et de l’humanité.
Très beau roman.

 Anne PERCIN : Sous la vague (Ed La brune au Rouergue)
La vie de Bernard Berger-Lafitte bascule le soir où, bien involontairement, son chauffeur Eddy cogne un jeun faon qu’il laisse pour mort dans la forêt. Héritier d’une magnifique propriété et producteur de cognac, Bernard vit seul. Divorcé et père d’une jeune fille très indépendante, sa vie, étrangement, se cale sur l’assurance de son chauffeur, homme tatoué, fumeur de hash et amateur éclairé de rap. Le tsunami et le drame de Fukushima entraîne la chute des cours du cognac, les japonais gros clients de la maison Berger Lafitte ne passent plus commande, il y a urgence à redresser la barre et à faire appel à des investisseurs étrangers, chose que Bernard ne se résoud pas à faire. C’est sans compter sur son ex-femme, toujours active dans la société, l’amant de sa fille, syndicaliste actif et prêt à faire grève, son cher et étrange chauffeur et Bambi le faon retrouvé, rétabli et rendu à la vie sauvage.
Un roman assez peu vraisemblable où les références maritimes justifient le titre « sous la vague », mais qui pèche par l’accumulation de caractères trop caricaturaux.

Céline MINARD : le grand jeu (Ed Payot et Rivages)
Une alpiniste de haut niveau se lance dans une expérience tant physique qu’intellectuelle en s’isolant dans un refuge High Tech accroché à la paroi de la montagne, afin de se mesurer à la nature hostile et à l’isolement pense-t-on. Le lecteur reste assez ignorant quant à la personnalité de la jeune alpiniste mais va la suivre dans sa quête d’absolu à travers ses performances et ses parcours comme de son implantation dans la nature où elle survit par ses propres moyens.
La deuxième partie plus déroutante reste une rencontre avec un étrange être humain  mi chamane, mi nonne avec qui elle se mesurera et s’affrontera jusqu’au dépassement d’elle-même et lui permettra d’aller jusqu’au bout. Mais au bout de quoi ?
Il y a des moments forts de contemplation, de peurs, de réflexion devant cette nature sublime, reposante ou déchainée. Malgré de superbes descriptions de montagne, le vocabulaire de l’escalade n’est pas à la portée de tout un chacun.
Pas de sentiment dans ce roman, pas d’émotion si ce n’est le danger des cimes. Le style précis, froid, dénué de tout sentiment colle bien à l’austérité du paysage. Double jeu : jeu de nature, jeu de recherche d’autrui, ou hors- jeu ?

Arnaud ROUSTAN : Violence du Moyen (Ed L’Age d’Homme)
Aymeric Corbot est rédacteur au « Bureau des Lettres Anonymes ». Son travail consiste à rédiger des lettres pour les clients qui ne savent pas écrire et qui veulent garder l’anonymat vis-à-vis de leurs destinataires.
Sébastien Boffret est l’un de ses clients. Sans emploi, la quarantaine, il s’est pris de passion pour Carole, sa voisine. La lettre anonyme lui permettra de rentrer en contact avec elle. Mais ce ne sont pas des lettres d’amour mais de harcèlement qu’il lui envoie. Il ignore que ses lettres ont éveillé l’intérêt de celle-ci, et qu’il a peut-être une chance. Il la viole et écope de vingt-cinq ans de prison. Commence un échange épistolaire entre les deux hommes, une amitié se lie. Ils se ressemblent, ils sont tous les deux « moyens »
Malgré un style fluide et une idée originale, l’auteur donne une vision des femmes détestable, ce qui en rend la lecture difficile. Une succession d’horreurs, tels que le viol, les idées de meurtre… Dans ce roman tous les hommes ont un problème avec les femmes et par leur solitude une difficile communication entre eux.

 Jean-Baptiste EZANNO : Aux deuils de l’âme (Ed L’âge d’homme)
Un très long roman policier où évoluent trois personnages : Jonathan agent immobilier que le lecteur découvre assez vite être le tueur en série, Solange jeune femme déterminée à venger sa sœur assassinée par Jonathan et la jeune Albane, dix sept ans, innocente, parcourant à toute heure du jour ou de la nuit des kilomètres hors de son quartier trop huppé.
L’auteur divulgue assez vite les faits et se perd en interminables dialogues élaborés et si loin de la vraisemblance que le lecteur subit plus qu’il ne lit les trop nombreuses pages de ce roman. Il est à noter que les seules parenthèses constitueraient à elles seules un roman !
On peut accepter la perversité d’un tueur, l’innocence de Solage et d’Albane mais comment adhérer aux échanges verbeux et philosophiques qui n’en finissent pas et dépassent tout ce qu’on peut imaginer comme conversations entre deux amies !
Il faut vraiment beaucoup de ténacité pour arriver à la dernière page !