Il était une fois Léo, juif polonais qui, dans les années 30,amoureux d’Alma, jeune juive également, lui promet, contre vents et marées, de l’aimer toujours alors qu’elle part se réfugier à New-York et que, sans argent, il la rejoindra dès que possible.
Entre temps, il écrit un roman pour cette jeune fille « L’Histoire de l’Amour », pour la femme, dit-il, la plus aimée du monde. Roman qu’il confiera à un ami au cas où il lui arriverait malheur.
L’histoire se poursuivra donc en Amérique mais pas comme il l’avait imaginé, retrouvant Alma mariée avec deux enfants, dont l’aîné est le sien, et son livre disparaîtra avant de reparaître signé de son ami.
C’est une sorte de saga entre deux pays, mais loin d’être linéaire, elle entremêle présent et passé avec nombre de flash-back, jusqu’à la rencontre finale.
Le vieux Léo est magistralement interprété par Sir Dereck Jcobi, à la fois drôle, attendrissant, fataliste, amoureux fou, pouvant devenir méchant et sarcastique, aux côtés d’un truculent Eliott Gould. Mais c’est un personnage oh combien attachant et le film est bouleversant, jouant à la fois sur l’humour yiddish, la dérision, l’émotion. Superbement maîtrisé par Radu Mihaileanu, qui nous a déjà offert de magnifiques moments de cinéma avec « Le concert », « La source des femmes », « Vas, vis et deviens »… et qui est bardé de prix et de récompenses, dont trois Césars.
C’est un beau cadeau que nous ont fait Noémie Dumas et Jérôme Quaretti, gérants du Sx N’Etoiles de Si-Fours, en invitant ce grand réalisateur, aussi simple et volubile, qui a un parcours hors normes, de sa naissance en Roumanie à son arrivée en France en passant par Israël.
« Au début du film, l’on est un peu dans le flou artistique, entre tous ces personnages et les flash back, on a du mal à s’y retrouver !
(Il rit) C’est fait exprès et encore, j’ai simplifié l’histoire du livre qui était encore plus compliquée ! Je l’ai reconstruite à ma manière et dans un ordre différent. Je me suis occupé des effets avant de m’occuper des causes. Je voulais que le spectateur se pose des questions pour avoir ensuite la satisfaction de s’y retrouver. Le montage a aussi été conçu par blocs, des blocs qu’on ne pouvait pas séparer. J’ai imbriqué toutes les histoires, mélangeant passé et présent car elles sont toutes mystérieusement liées.
Adapter le roman de Nicole Krauss n’a pas dû être facile…
Effectivement l’écriture a été difficile car le livre est formidablement complexe et chargé de symboles. J’ai dû en simplifier la structure et j’ai voulu monter mon film comme une série télévisée d’aujourd’hui.
Pourquoi ?
Aujourd’hui, le public est habitué à ces séries TV qui ont le temps d’installer l’histoire, de développer les personnages. Ils ont appris à être patients afin de connaître la fin de l’histoire. J’ai été conquis par cette modernité.
Alors que votre film est une production française, les comédiens sont tous anglo-américains. Pourquoi ?
Pour plusieurs raisons. D’abord parce que l’histoire se passe en grande partie à New-York et que les personnages sont américains ou le deviennent. Et puis, parce que j’aurais eu plus de mal à trouver des comédiens français avec l’accent yiddish. Déjà que ça a été difficile de les trouver pour la version française !
Tous les comédiens sont remarquables.
J’ai eu la chance que Sir Dereck Jacobi accepte le rôle. C’est un immense comédien de théâtre shakespearien qui a très souvent refusé des rôles au cinéma, passionné qu’il est par le théâtre.
Ma première conversation avec Elliot Gould a été tellement chaleureuse… Que j’ai pensé que c’était trop beau pour être vrai et qu’il refuserait en se rendant compte qu’il n’avait pas le rôle principal ! Il a été superbe de simplicité. Sophie Nélisse, qui joue la jeune Alma n’avait que 16 ans lors du tournage. Elle a une finesse, une intelligence qui me fait penser à Meryl Streep. Je pense qu’elle fera une grande carrière. Elle joue merveilleusement cette adolescente qui a besoin d’amour tout en en ayant peur. Cette situation ambiguë est très caractéristique de la jeunesse d’aujourd’hui »
Ce film pourrait se sous-titrer : sacrifice et pardon car en fait, Léo s’est sacrifié toute sa vie, bravant les dangers pour retrouver celle qu’il aime et qu’il retrouve mariée avec deux enfants dont un de lui qu’elle lui demande de ne jamais approcher. Bafoué aussi par son ami qui lui a volé son livre et en a fait un succès. Mais en fin de compte, il finit par être fataliste, par pardonner et à croire en la vie qui lui reste à vivre, la rencontre avec la jeune Alma lui redonnant espoir.
C’est en cela que le film est bouleversant et que Sir Dereck Jacobi y est absolument magistral.
Portrait de Radu Mihaileanu
« Né en Roumanie, j’étais passionné par le théâtre et je n’avais jamais pensé au cinéma. J’écrivais des pièces et nous les jouions avec la compagnie que j’avais créée. Je vivais dans une atmosphère française, mon père étant entre autre ami de Malraux. Et je lisais « Pif le chien », seul journal français autorisé parce que communiste !
C’est pour cela que je voulais venir en France lorsque mon père s’est rendu compte que derrière les rois et les reines que je créais il y avait en filigrane le couple Ceausescu. Il savait qu’un jour ça tournerait mal pour moi. Comme je n’aurais jamais été autorisé à partir en France, je suis parti en Israël pour aller voir un grand père qui y vivait. De là… je me suis trompé d’avion et je me suis retrouvé en France !!!
J’ai été accueilli et protégé par le patron du Monde, qui était aussi un ami de mon père, et là, il fallait faire des études et je suis rentré pour trois ans à l’IDHEC (aujourd’hui la Fémis). C’est là que j’ai découvert le cinéma qui est devenu une passion »
Aujourd’hui mondialement reconnu, nombre de pays lui ont rendu hommage et lui ont remis prix et récompense. Ce nouveau et magnifique film ne devrait pas être en reste de récompenses !
Jacques Brachet