Toulon – Théâtre Liberté
Le dernier testament

 p1190869

Pour la reprise du théâtre en septembre le Liberté donnait « Le dernier testament » adapté du roman « Le dernier testament de Ben Zion Avrohom » de James Frey, et mis en scène par l’actrice réalisatrice Mélanie Laurent, dont c’est la première mise en scène théâtrale.
Cette pièce, éminemment d’actualité puisqu’elle traite de la religion, de l’intégrisme, de la croyance en dieu et en un messie ; cela par le biais de la vie d’un personnage étrange qui est perçu comme un messie, ou du moins par un personnage avec des pouvoirs bénéfiques sur les individus, par certains, ou comme un schizophrène par d’autres.
La pièce se déroule dans l’Amérique d’aujourd’hui traversée par la violence, la misère, le racisme, les inégalités. La vaste scène du liberté est fermée côté jardin et côté cour par une rangée de projecteurs sur pied. Au fond un rideau à lamelles qui peut devenir écran. La mise en scène va utiliser tous les moyens du théâtre d’aujourd’hui : effets de lumière, effets en 3D, vidéos, machineries, bande son très illustrative, jusqu’aux déplacements « à l’ancienne » de certains décors par les comédiens eux-mêmes. Tout cela parfaitement maîtrisé.
Dans le prologue un personnage définissant la signification de son nom, mélange de celte pour le prénom et de rwandais pour le patronyme, nous dit qu’il serait donc « Le chevalier blanc généreux qui n’a pas de haine », c’est en somme le portrait de Ben.
Le héros, Ben, est un jeune new-yorkais assez bizarre né à Brooklyn dans une famille juive, enfant battu par son père, il a un frère qui l’a chassé, et une sœur qui le retrouvera à l’hôpital. Il obtient un petit boulot de vigile sur un chantier ; il devient tout de suite la coqueluche des travailleurs par son comportement empathique. Une vitre de 5OO kg lui tombe dessus, et miracle il n’en meurt pas. Après un mois de coma il est « ressuscité ». Il est alors victimes de crises d’épilepsie pendant lesquelles il acquiert une foule de connaissance, dont la bible qu’il est capable de réciter si on lui dit un N° de page ou de verset, alors qu’il ne l’a jamais lue. Le voilà donc sacré Messie millénariste qui prophétise la fin du monde.
Il va alors s’installer dans un ghetto noir du Bronx, y faire le bien et tomber amoureux. On découvrira au fur et à mesure sa puissance sexuelle. Puis il vivra avec une bande patibulaire dans des souterrains, bande qui possède un arsenal militaire, ce qui lui vaudra de graves ennuis avec la justice. Son frère catholique intégriste paie la rançon ; retour à la maison, dans une scène magnifique à table (la Cène ?) le discours sur la croyance tourne mal, le frère somme Ben de faire un miracle, de changer l’eau en vin. Ben refuse et dit qu’il va faire un miracle qui ne va pas lui plaire. Par la force du regard il fait se lever son ami qui vient l’enlacer, l’embrasser sur la bouche et lui frotter le sexe. C’en est trop pour le frère qui fou de rage frappe Ben : quand il est seul l’ami se verse un verre d’eau…et c’est du vin. Finalement après bien d’autres aventures, Ben se retrouvera en hôpital psychiatrique ou on le lobotomisera. Il mourra, mais même sa mort n’est pas « normale »
C’est une fable qui soulève beaucoup de questions sur la condition humaine, et qui heureusement ne donne pas de réponses. La force de la pièce c’est qu’elle nous fait vivre ces dilemmes, qu’on trouve en nous l’écho de ce qui est vécu sur scène. Il y a des moments très prenants, qui sont du grand théâtre, comme la scène du repas, ou encore la scène entre Ben en prison (projeté en grand dans l’espace) et son geôlier (assis sur une chaise) qu’il parvient à rendre humain en lui rappelant son enfant mort. Par contre il y a parfois des redondances, soit avec la bande son : on est heureux, on entend des cloches ; on dit qu’il bouge la main, et on voit la main bouger. Peut-être aussi que les parties qui racontent l’histoire des personnages sont trop longues. Je pense qu’avec disons une demi-heure de moins la pièce aurait encore plus d’impact. Néanmoins cette première mise en scène de Mélanie Laurent est une belle réussite. Sa direction d’acteurs est parfaite, et ils sont sept. Elle a su s’entourer d’une équipe pointue qui sert la pièce absolument.
Mélanie Laurent a déclaré que la lecture du roman l’avait bouleversée et que « l’adapter a été une évidence. Et l’envie de l’adapter au théâtre plutôt qu’au cinéma une intuition : le cinéma contraint à une forme de réalisme, de représentation exhaustive et, dans ce cas, prolifique, tandis que le théâtre offre l’économie et la métaphore, le pouvoir de l’évocation. »

Serge Baudot

Notons que le premier Théma de la nouvelle saison sera « L’Art Brut » du 5 octobre au 26 novembre 2016 avec un vernissage le 4 octobre dans le hall du théâtre.
Renseignements : www.theatre-liberte.fr – tel : 04 98 00 56 76