Atmosphère bon enfant avec cette compagnie qui débarque au Fort de la Bayarde pour jouer « un Guitry ». Un peu inquiète tout de même car le vent souffle fort et l’on sait que les comédiens n’aiment pas beaucoup ça même si c’est souvent de circonstance lorsqu’on joue en plein air. Mais déjà, ils sont conquis par le site, même si Eole n’aura pas la délicatesse de s’arrêter pendant la représentation.
Le Guitry en question est « Une folie » et porte bien son nom. Mis en scène par Francis Huster, parrain de ce festival qui, deux jours plus tard sera sur cette même scène, il est porté par de beaux comédiens : Olivier Lejeune qui retrouve le site avec joie, Manuel Gélin (fils de Daniel), Lola Dewaere (fille de Patrick), Marianne Giraud, Alice Carel qui, elle aussi est venue avec Huster jouer Lorenzaccio dans le rôle titre. Eh oui, on se souvient que lorsque Musset a écrit cette pièce, Lorenzaccio fut interprété par une femme. Mais on se souvient plutôt de la création de Gérard Philipe. Huster avait voulu reprendre la tradition.
Qui dit Guitry dit humour, dit couchage, dit trio et c’est ce qu’on a pu voir avec l’originalité du maître génial puisque un psychiatre va recevoir séparément un couple dont chacun reproche les mêmes choses à l’autre : d’avoir un amant et une maîtresse, d’être suivi par un détective, de ne plus supporter son caractère… et de vouloir divorcer.
A l’époque où Guitry écrit la pièce, le divorce est loin d’être dans les mœurs même s’il en aura lui-même plusieurs fois usé !
Et il prouve donc dans cette pièce qu’il est bon de pouvoir se marier pour pouvoir se tromper et pouvoir divorcer. Tout simplement !
On ne peut pas dire que ce soit terriblement moral mais c’est terriblement drôle même si c’est quelquefois terriblement bavard.. Mais le texte est ciselé et surtout servi par de superbes comédiens qui ont eu la force de jouer avec le vent dont ils ont fait un partenaire, ce qui est très fort.
Si le fort affichait complet, le public quelque peu transi a chaleureusement applaudi la performance des artistes qui ont joué sous l’égide de Molière, le maître à tous, dont le buste chancela sur la table mais resta stoïque et les protégea.
On dira ce qu’on veut mais Guitry, ça reste furieusement moderne et nos comédiens furent parfaits.
Huster le magnifique
Et le parrain est arrivé… Francis Huster est aujourd’hui chez lui dans ce théâtre et ce festival et nous en montre, dès son arrivée, un flagrant exemple :
« Tu vois, j’ai les mains dans les poches… Et quand on est chez soi on a cette attitude… »
Ça vaut ce que ça vaut mais dit par Huster, ça a valeur de vérité !
Heureux de retrouver l’ami de quelques décennies, le repas, avec son équipe dont Steve Suissa, son ami et metteur en scène, c’est un moment de charme, de rires et l’on écoute l’intarissable Huster parlant sur le métier, les comédiens qu’il adore et fait de temps en temps des apartés inattendus comme : « Tu te rends compte, celui qui a trouvé que la terre était ronde et comment le faire comprendre aux gens ? » Ou encore, alignant sept prunes représentant les notes de musique : « Imagine le mec qui a créé six sons avec lesquels on écrit des milliers de musiques ! ».
Voilà, c’est Huster le magnifique comédien que l’on aime tout autant que l’homme qui est chaleureux, volubile et fidèle en amitié.
On l’écoute, on rit, on est surpris par les quelques projets de films ou de pièces de théâtre qu’il imagine en un seul repas, sous les regards de Steve qui, habitué du fait, reste souvent stoïque et prenant du recul avec ses idées baroques ou drôles mais toujours intéressantes.
Durant deux soirs à guichets fermés, Francis a joué, tout seul comme un grand et mis en scène par Steve, « Amok » de Stefan Zweig, pièce difficile et tragique s’il en est ,qu’aucun comédien ne pourrait à ce point interpréter, le regard halluciné, le texte arrivant par saccades, faisant monter une tension palpable par le silence et l’écoute de la salle.
Un homme rencontre un médecin sur un bateau les ramenant de Malaisie vers l’Europe. L’inconnu va lui raconter sa tragique histoire d’une rencontre avec femme mariée qui vient se faire avorter de son amant, ce qu’il refuse. Ayant des regrets, il se met à sa recherche et la retrouvera trop tard, baignant dans son sang, s’étant faite avorter, l’opération ayant tourné au tragique. Afin de ne pas être confronté au mari et à l’amant, il emporte le cercueil et après avoir narré son histoire, il se jettera à l’eau avec celui-ci.
Texte dur, histoire poignante dans laquelle Francis fait passer une émotion intense avec maestria.
Durant le repas, il me parlera de ses mois à venir qui sont toujours très chargés, l’ami étant un boulimique de travail. Il vient de terminer « Chacun sa vie », le film que Claude Lelouch vient de terminer à Beaune avec une pléiade de comédiens dont lui, qui interprète un avocat :
« Qu’on ne me dise pas que Lelouch improvise : j’ai dû apprendre par cœur ma plaidoirie pour un plan séquence de vingt minutes ! Ca n’est pas vraiment de l’improvisation ! »
Et puis, dès son retour à Paris, il attaquera les répétitions de la nouvelle pièce de Laurent Ruquier « A droite, à gauche », mise en scène évidemment par Steve Suissa, dans laquelle il partage la vedette avec Régis Laspalès, au Théâtre Antoine.
« Le sujet aborde le fait d’âtre de droite ou de gauche. Qu’est-ce qui fait qu’on choisit un bord ou l’autre ? Peut-on être riche, célèbre et de gauche ? Peut-on être ouvrier et voter à droite ? Y a-t-il en fait une différence entre l’un et l’autre ? C’est une confrontation entre deux personnages, deux idées ».
Francis et Steve ont donc clos ce beau festival avec panache et déjà, ils pensent à ce qu’ils proposeront pour celui de 2017…
D’autres belles soirées en perspective !
Jacques Brachet