69ème édition du Festival de Cannes

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La Palme d’or de la 69ème édition du Festival de Cannes va pour la deuxième fois à Ken Loach pour son Moi, Daniel Blake comme ses précédents films très engagé. « Un autre monde est possible, même nécessaire », a dit Ken Loach lors de la remise des prix. Nombreux étaient d’ailleurs cette année les films anticapitalistes, dont l’hilarant Toni Erdman de Maren Ade, en compétition officielle, et Captain Fantastic pour Un certain regard. Un feel good movie de l’américain Matt Ross où une famille de cinq enfants élevés dans les bois par un superbe Viggo Mortensen (nu !) se confronte à la société de consommation.
Toujours en compétition officielle, l’atypique Ma loute de Bruno Dumont a retenu notre attention. Un film cocasse et burlesque où domine la lutte des classes, avec, dans les rôles des nantis, un Fabrice Luchini méconnaissable, une très bonne Valeria Bruni-Tedeschi et une Juliette Binoche que l’on n’avait jamais vue dans un rôle comique. Les stars sont toutefois moins bonnes que les seconds rôles, véritables « types » qui ont réjoui les spectateurs. Dans un superbe paysage de plages du nord, dominent crissements et grincements de sable, de meubles qui se cassent, de vêtements dans lesquels les acteurs sont engoncés. Si dans la première moitié du film, les personnages passent leur temps à tomber, ils lévitent ensuite, tels Laura Betti dans Teorema de Pier Paolo Pasolini. Comme dans le Porcile de Pasolini également, une famille de cannibale décime les touristes.
A noter également, en séance spéciale, le superbe huitième film de Karim Dridi, Chouf, qui revient à Cannes vingt ans après Bye bye. Gomorra marseillais, « Chouf », « regarde » en arabe, se penche sur le trafic de drogue dans la banlieue nord de Marseille filmée en scope comme un western. Superbe casting dont tous, excepté Sofian Khammes du Conservatoire, jouent pour la première fois.
En séance de minuit, le film de zombies sud-coréen Sang-Ho Yeon, Train to Busan, a fait beaucoup de bruit sur la Croisette. Réalisé presque entièrement dans un train à grande vitesse, le film se focalise, comme c’est souvent le cas dans le genre, sur le comportement humain ou pas des « non-infectés ». Contrairement aux morts-vivants de The Walking Dead ou de ses spin-off, ceux-ci y sont très rapides, à la façon des vampires modernes.

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L’équipe de « Chouf » – Le Mal de Pierres
Le cinéma roumain à l’honneur
Le cinéma roumain était très présent cette année à Cannes avec deux films en compétition officielle : un au début, Sieranevada de Cristi Puiu, et un à la fin, Bacalauréat de Mungiu, Palme d’or en 2007. Dans Câini (Dogs) d’Un certain regard, Bogdan Mirica filme magnifiquement une campagne vide, comme un désert de western d’où émergent parfois policiers et mafieux. Malheureusement, le cinéma roumain reste dominé, depuis La reconstitution de 1968 de Lucian Pintilie, par de longs plans séquences dans lesquels les personnages sont parfois coupés par le cadre et ne font ni ne disent pas grand-chose…
La Quinzaine des réalisateurs
La quinzaine des réalisateurs a été ébranlée cette année par Anurag Kashyap, le Tarantino indien. Après les Gangs de Wasseypur partie I et partie II en 2012, Anurag Kashyap revient avec Raman Raghav 2.0 (Psycho Raman) qui, comme il est indiqué au début du film, « n’est pas » sur le tueur en série Raman Raghav, qui terrorisa Bombay dans les années soixante. La version moderne de cette fascination entre un inspecteur drogué et un psychopathe aux yeux dorés nous donne à voir les bidonvilles de Bombay à travers les poursuites effrénées sur musiques indiennes actuelles et traditionnelles.
C’est la première année qu’Israël a un pavillon au Village international et deux films israéliens étaient sélectionnés pour Un certain regard. Celui de la Quinzaine des réalisateurs, Une semaine et un jour, relate la journée d’un couple qui vient de perdre un fils après la semaine traditionnelle de deuil. Contrairement à ce que le sujet pourrait laisser croire, le premier film de l’Asaph Polonsky est plein d’humour et d’irrévérence.
Cherchez la femme
Cette année encore, peu de femmes réalisateurs dans la sélection officielle, 3 sur 21 films en compétition : la française Nicole Garcia (Mal de Pierres), l’allemande Maren Ade (Tony Erdman) et l’anglaise Andrea Arnold (Amercian honey), prix du Jury.
Hors compétition, Money Monster de Jodie Foster s’attaque justement à la présence des femmes derrière la caméra. Julia Roberts n’est pas choisie cette fois pour sa beauté, mais incarne la productrice d’une émission de télé sur la bourse. C’est elle qui dirige et rassure un George Clooney pris en otage, personnage lâche et peu sûr de lui.

George Clooney, Jodie Foster et Julia Roberts au photocall de "Money Monster" au 69ème Festival international du film de Cannes le 12 mai 2016. © Cyril Moreau / Olivier Borde / Bestimage

George Clooney, Jodie Foster et Julia Roberts au photocall de « Money Monster » au 69ème Festival international du film de Cannes le 12 mai 2016. © Cyril Moreau / Olivier Borde / Bestimage

Encore un plaidoyer contre le capitalisme donc, mais pas que. Jodie Foster, venue pour la première fois à Cannes il y a 40 ans avec Taxi driver, alterne scènes en studio et d’action, preuve qu’une femme gère un film à gros budget aussi bien que les réalisateurs.e Foster a également ouvert Talks Women in Motion, série d’entretiens cannois sur la place des femmes dans l’industrie lancée en 2015. Women in Motion a décerné cette année trois prix pour aider des projets de jeunes réalisatrices.
Dans la même veine, un documentaire de Cannes Classics a révélé un pan inconnu de l’histoire du cinéma. Et la femme créa Hollywood (Women who run Hollywwod) de Clara et Julia Kuperberg montre que les femmes ont eu des rôles clefs à Hollywood tant que le cinéma n’a pas été pris au sérieux, quand les films étaient montrés à l’entracte des variétés pendant que l’on balayait les salles. On oublie souvent que le premier film parlant a été réalisé par Alice Guy et le premier film en couleur par Lois Weber, qui a tourné plus de 300 films en 10 ans. Frances Marion écrivait des scénarios pour la star Mary Pickford et gagné deux Oscars. Depuis, il a fallu attendre 2010 pour qu’une femme, Kathryn Bigelow, remporte le premier Oscar de la réalisation.
L’histoire est écrite par les vainqueurs. Quand le cinéma a commencé à rapporter gros, les femmes ont disparu des commandes et des livres d’histoire. Lors de la projection du documentaire aux Etats-Unis, une cinquantaine d’étudiantes de cinéma se sont étonnées qu’on ne leur ait rien appris dans leurs écoles sur le rôle des femmes dans l’histoire du septième art.
Osons espérer que le Festival de Cannes donne l’exemple l’année prochaine en sélectionnant davantage de réalisatrices et peut-être même une douzième présidente du jury (sur 69 !)…

Myrto Konstantarakos