Toulon – Théâtre Liberté
« Du début à la Fin de Partie »
documentaire de Guillaume Lévis

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En ce mercredi 20 d’Avril le Théâtre Liberté présentait le documentaire de Guillaume Lévis tourné en 2008 pendant les répétitions de la pièce de Samuel Beckett « Fin de Partie » mise en scène par Charles Berling qui y tient également le rôle de Clov. Ce documentaire dure 85 minutes ce qui est un peu long, mais il est magnifiquement construit et nous donne à voir la fabrique d’une mise en scène depuis le choix des comédiens jusqu’à la Première, en passant par la construction des décors, et l’approfondissement des rôles.
« Fin de partie » est une pièce en un acte pour quatre personnages qui a été créée en 1957, d’abord écrite en français, Beckett (1906-1989) l’a traduite lui-même en anglais sous le titre « Endgame », qui en est la traduction littérale. Cette pièce a un début qui est presque une fin car la première réplique dite par Hamm est assez troublante : « Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir » ; on y trouve déjà l’humour et l’étrangeté du théâtre de Beckett.

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Hamm (Dominique Pinon), aveugle et paralysé, est tyrannique. Il se délecte des souffrances qu’il inflige à ceux qui l’entourent. Clov (Charles Berling) a été recueilli et élevé par Hamm. Il est devenu son souffre-douleur. Ses jambes le font souffrir et l’empêchent de s’asseoir. Nagg (Gilles Ségal) est le père de Hamm. Il est devenu cul-de-jatte suite à un accident. Il est condamné à l’immobilité. Nell (Dominique Marcas) est la mère de Hamm.
On a affaire avec deux couples diaboliques. Hamm et Clov dans un rapport maître valet infernal ; Nagg et Nell, vieillards qui finissent leur vie chacun dans une poubelle. C’est un huis clos où fusent les ordres contradictoires, où trois personnages ont presque tout abandonné devant la terreur exercée par Hamm. Mais rira bien qui rira le dernier.
Le film de Guillaume Lévis va suivre la fabrique de la pièce pendant huit mois. Son but c’est de montrer le travail titanesque nécessaire pour monter une pièce. Dès les premières scènes on assiste à la rencontre des acteurs pressentis pour une lecture à la table. Maurice Garrell est remarquable et très émouvant, mais il se trouvera trop vieux, surtout trop fatigué pour accepter le rôle. Ces scènes sont poignantes d’humanité. Puis une fois les comédiens choisis c’est le long processus d’intégration des rôles, leur approfondissement, les doutes, les certitudes, les remises en cause, les conflits tel celui entre Charles Berling et Dominique Pinon au sujet d’une lunette qui est une sorte de mise en abyme et devient du Beckett sur du Beckett : un grand moment de théâtre, qui montre la difficulté pour un metteur en scène d’obtenir ce qu’il veut de la part des comédiens. C’est la création du décor avec les décorateurs qui font des propositions avec des maquettes, jusqu’à la réalisation finale. Guillaume Lévis filme souvent en plan rapproché, et en gros plan sur les visages, ce qui nous offre une proximité, une intimité avec les comédiens, leur expression. Dominique Marcas offre un masque de vieille femme absolument bouleversant. On arrive enfin à la Première, c’est la fin du documentaire. On sait maintenant ce que c’est qu’une mise en scène au théâtre.
Le débat qui suivit avec Guillaume Lévis, assez timide et peu bavard, Charles Berling flamboyant et avide de faire partager tout ce qu’il a retrouvé à la vision du film, et le public, fut d’une haute teneur. Il permit d’approfondir tous les thèmes mis en jeu par le film.

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Guillaume Lévis dit qu’il eut très vite la confiance des comédiens, qui semblaient ne pas être gênés par la caméra. Charles Berling ajouta que bien sûr on l’oublie, mais on sait quand même qu’elle est là et qu’on est filmé…Un autre point important : la difficulté d’être à la fois metteur en scène et jouer dans la pièce, pour ce faire il avait besoin du regard d’une assistante.
Charles voue une grande admiration à Beckett, disant qu’il attire le public comme les grands maîtres de la peinture l’attire. Que sa biographie explique son théâtre, car tous ses personnages sont sortis du réel. Il nous rappela que Beckett avait cassé la théâtralité, les cadres du XIX° siècle car il avait compris que les comédiens étaient maintenant imprégnés d’images. Il souligna l’importance des didascalies, et que son décor les respectait absolument. Que chez Beckett les silences sont en quelque sorte écrits. Il redit sa fascination pour cette pièce et déclara qu’il avait beaucoup aimé ses interprètes mais qu’il gardait une insatisfaction qui le pousse à vouloir un jour remonter la pièce pour aller plus loin, avec le même décor car il le trouve parfait, et qu’alors il prendrait le rôle de Hamm, et avec humour qu’une troisième fois ce serait dans celui de Nagg.

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Le film est dédié à Jean-Louis Trintignant parce qu’il devait prendre le rôle de Clov, mais la maladie l’en a empêché.

Serge Baudot