Ariane ASCARIDE
De passion et d’humilité

A

Rencontrer Ariane Ascaride est toujours un grand plaisir car, en dehors du fait qu’elle est l’une de nos plus talentueuses comédiennes, c’est une femme avenante, d’une grande simplicité avec qui l’interview tourne très vite à la conversation amicale.
Venue jouer « Le dernier jour du jeûne » de Simon Abkabian, au Théâtre Liberté de Toulon, nous avons passé ensemble un joli moment ensoleillé.
Cette pièce est, à l’instar de Pagnol, ou de la Commedia dell’Arte une tragi-comédie qui se passe au soleil de la Méditerranée avec tout ce que cela implique de coups de tonnerre, de grandes joies, de petites tristesses., de rires, de drames.
Ce qui est étonnant c’est que la pièce glorifie la femme… et que c’est un homme, qui plus est méditerranéen, qui l’a écrite. Et c’est réjouissant. Ce que je dis à Ariane.

D

En riant elle me répond :
« Et quel sacré bonhomme ! A la fois auteur, metteur en scène, comédien, il nous offre à tous – et surtout à toutes ! – des rôles magnifiques. Cela vient du fait qu’il a été élevé dans un milieu de femmes. Il les connaît bien, il connaît leur force, il les respecte et les aime.
Parlez-moi de Simon Abkarian
J’adore travailler avec lui car nous parlons la même langue. Nous avons le même regard sur le monde, sur la vie. La même envie de nous adresser aux gens de leur faire partager des choses qui resteront dans leur tête.
Je trouve votre rôle un peu ambigu car c’est une femme grande gueule, pleine d’énergie, une « mamma » très méridionale mais quand même une femme qui se plie à son homme qu’elle aime.
Vous trouvez ? Je ne le trouve pas si ambigu que ça. D’abord, elle n’est pas si soumise car elle ose élever la voix, oh combien ! Et puis, en fait, même si elle parait ainsi, la femme feint souvent pour mieux faire ce qu’elle veut faire ! Dans le foyer, c’est elle qui tient les rênes, qui est le cœur de la famille. Et ça a toujours été.
La pièce joue donc sur les drames, les problèmes, vus sous le soleil, comme le faisait Pagnol !
Un critique a dit : « C’est Pagnol chez Homère » et je crois que c’est ça, la tragédie désamorcée par l’humour. Et ça, c’est très ancré chez nous et chez Simon car cela vient de son enfance au Liban où l’on vit la tragédie au quotidien, on se bat contre la réalité avec une certaine sérénité, un certain fatalisme, de l’humour aussi puisque Simon dit « Si on ne rit pas des choses, on ne peut pas les supporter » et c’est ce qui fait la force de l’humanité. Cette pièce joue sur les deux tableaux : le côté noir, le côté ensoleillé.
Judith Magre, qui joue votre sœur, est une femme tellement libérée qu’on la prend pour une folle. Elle y est époustouflante… à 90 ans !
Oui, et c’est un exemple pour nous tous. Elle est d’une modernité inimaginable et ce qu’elle envoie est incroyable. Elle nous épate tous et l’on a tous envie d’être comme elle à cet âge là !

C B
« Le dernier jour du jeûne » (Photos Antoine Agoudjan)

Alors Ariane, vous avez débuté avec votre époux, le réalisateur Robert Guédiguian…
Je vous arrête ! (rires) c’est tout le contraire : mon mari a commencé avec moi car, lorsque je l’ai rencontré, j’étais déjà comédienne, j’avais déjà fait du théâtre et du cinéma et lui… n’avait encore rien fait !
Mille excuses ! Mais après, vous avez été de tous ses films. Cela ne vous a-t-il pas coupé d’avec d’autres réalisateurs ?
Ce qu’on a vécu et ce qu’on vit encore avec Robert, est une belle et passionnante aventure, même si, quelquefois, cela a été difficile. Et ça le reste. Mais vous savez qu’en France, on aime cataloguer les artistes. La France est le pays des cases… C’était donc à moi de provoquer l’envie et le désir d’autres auteurs, d’autres réalisateurs.
Je ne regrette donc rien et même, je souhaite à toutes les comédiennes d’avoir le bonheur de jouer des rôles comme les écrit Robert. Surtout lorsqu’on commence à prendre de l’âge, les rôles ne sont pas si nombreux que ça.
Tout s’est déclenché avec « Marius et Jeannette » en 1998, qui vous a permis d’avoir le César.
Oui, et c’est un film de Robert ! C’est arrivé au bon moment ! Vous savez, dans ce métier, on ne sait jamais comment ça va se passer, si ça va durer. Le hasard, la chance, les circonstances… Pour moi, ça a été ce film.
Avec un César… Sans compter trois autres nominations !
Oui, c’est vrai mais vous savez, même si je ne le renie pas, même si j’avoue que ça m’a fait plaisir, ça n’a pas changé ma vie ni ma façon d’appréhender ce métier. Et même si cela a changé le regard du métier. Je ne m’attache pas à ça. Comme a dit Léonardo di Caprio à la remise des Oscar, c’est un métier éphémère et il faut en avoir la conscience et l’humilité.

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Ariane, son mari, avec Macha Makeiëff, directrice de la Criée à Marseille, qui avait organisé un hommage au couple.

Pour vous, ça reste un métier compliqué ?
Oui, c’est un métier difficile où il faut sans cesse se remettre en question. Et ce n’est pas parce qu’on a eu un succès, que tout est gagné.
Ce qui me fait peur aujourd’hui, c’est la fausse image que l’on donne aux jeunes artistes de ce métier. Ils pensent qu’après avoir fait trois mois d’une télé-réalité, ils sont devenus des stars. Ils ont leur cour, leur agent, leur avocat, la limousine, les grands hôtels… Ils croient que c’est arrivé et très souvent ils déchantent. Ce métier est difficile, compliqué, jamais gagné et il faut avoir une sacrée santé mentale pour durer… et endurer ! Ils ne sont pas prêts à ça et la chute est souvent terrible.
Qu’est-ce qui fait qu’on garde les pieds sur terre ?
Savoir se remettre en question, rester lucide et surtout un bel entourage qui n’est pas là pour vous envoyer des fleurs ni pour profiter de la situation.
Justement, vous avez formé une vraie famille, vous et votre époux.
Oui, c’est vrai que Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Jacques Boudet, Simon Abkarian font partie de notre famille. Nous avons toujours fonctionné comme ça. C’est très fusionnel entre nous et ça marche. Dans le prochain film que nous tournerons à la fin de l’année, les liens sont encore plus flagrant puisque nous allons jouer, Gérard, Jean-Pierre et moi des frères et sœur !
Lorsqu’on parle famille, il y a deux autres Ascaride : Gilles et Pierre, vos frères, avec qui vous avez travaillé.
J’ai mis Pierre en scène dans une pièce qu’il a écrite « Inutile de tuer son père, le monde s’en charge » en 2005. Et nous nous sommes retrouvés tous les trois sur scène pour une lecture d’un texte écrit par Serge Valletti « Moi, votre ami »….
Et une pièce tous les trois ?
Pourquoi pas ? Même si cela me paraît improbable vu le caractère fusionnel que nous avons tous les trois. On s’aime trop, on ne peut pas faire la part des choses; oublier qu’on est frères et sœur quand on joue ensemble me paraît impossible. Je crois que nous ne sommes pas assez vieux pour tenter la chose !

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Avec sa famille : Darroussin, Meylan, Abkarian et dans ce beau fil qu’est « Les héritiers »

Vous avez réalisé un film, mis en scène votre frère… Et l’écriture ?
J’écris. J’écris beaucoup même, et je suis aussi une grande lectrice. Mais écrire toute seule, je ne me sens pas légitime. Aussi, je travaille sur un scénario avec un écrivain, Kebir Mustapha Ammi, qui ne se sent pas plus légitime que moi pour écrire un scénario. Alors on s’épaule, on se donne mutuellement confiance. J’aime beaucoup cet échange de regards que nous avons l’un pour l’autre. L’histoire se passe dans un atelier de couture clandestin.
On verra où ça va nous mener… »

Propos recueillis par Jacques Brachet