Sergi LOPEZ, hasards et rencontres

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Il a une stature imposante qui contraste avec son regard rieur, ses yeux qui pétillent… et une volubilité toute méditerranéenne. Normal, Sergi Lopez est Catalan et en plus d’une approche on ne peut plus chaleureuse, il vous offre en étrenne, l’accent qui se promène du côté de l’Espagne.
Partis pour un moment d’interview au Théâtre Liberté où il se produisait avec la pièce qu’il a écrite avec son comparse Jorge Pico « 30/40 Livingstone », nous sommes restés une heure ensemble… et l’on aurait pu continuer sur la lancée !
« Sergi, parlez-nous d’abord de ce complice qu’est Jorge Pico…
Nous nous sommes rencontrés au Teatre del Tret, une école internationale en Espagne où des jeunes venaient de tous les pays. La langue nous a rapprochés. Puis chacun est reparti de son côté, lui avec la Cie de Philippe Gentil, moi faisant du cinéma.
Nous nous sommes retrouvés en France chez Jacques Lecoq qui a été notre maître.
Cette école espagnole, c’était une école de théâtre ?
Pas vraiment, plutôt une école d’interprétation, d’improvisation. Nous étions une cinquantaine venant du monde entier, d’où la difficulté de se comprendre ! Mais ça m’a illuminé et ça m’a fait croire que, même moi, j’étais capable d’inventer, d’avoir des idées. Ca m’a donné beaucoup de confiance en moi. Moi qui avais toujours peur qu’on me prenne pour « un faux », j’ai commencé à croire que c’était possible.
Alors la France : Comment et pourquoi ?
Comme souvent, les hasards de la vie. Jorge voulait aller en France mais moi, je n’avais pas d’argent. J’ai donc dû travailler durant deux ans et faire des économies. J’y suis arrivé en 1990 et j’ai rencontre Jacques Lecoqn, qui a été un maître pour moi, avec qui j’ai travaillé, et j’ai retrouvé Jorge. C’était gonflé de vouloir jouer en France car alors, je ne parlais pas un mot de Français ! Mon expérience en Espagne m’a aidé car on travaillait beaucoup sur le geste, le mouvement, le regard, l’expression, qui sont des langages universels.
Et le cinéma ?
Toujours le hasard puisque le réalisateur Manuel Poirier cherchait un comédien espagnol pour son film « La petite amie d’Antonio ». C’était en 92… C’est tombé sur moi et, malgré les difficultés pour comprendre l’histoire, les dialogues et parler Français, on y est arrivé, non sans peine et sans quiproquos car souvent je prenais un mot pour un autre… C’est difficile de jouer sans pouvoir s’accrocher à la langue, aux mots. Il faut alors être inventif. Avec Manuel ça a fonctionné et on travaille toujours ensemble.
Puis il y a eu « Harry, un ami qui vous veut du bien » avec le festival de Cannes et le César du meilleur comédien… français, en 2001 !
(Rires) Oui ! Pour les dialogues, c’était assez simple car je ne parlais pas beaucoup et j’avais beaucoup de gros plans. De plus, il y avait cette atmosphère pesante et ambiguë qui passait beaucoup par le regard. Je jouais beaucoup là-dessus. Le scénario était réglé comme une horloge suisse.
Quant aux César, en recevant le mot de la Ministre de la Culture, Catherine Tasca, j’ai évidemment été très étonné. Mais ça a été une fierté et une reconnaissance. Et ça a accentué ma confiance. Même si je n’étais pas super heureux, j’étais très fier.

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Dirty En amont
La petite amie d’Antonio – Harry, un ami qui vous veut du bien
Dirty Pretty Thing – En amont du fleuve

La liste des films que vous avez tournés en France est impressionnante !
Ca me fait rigoler car il n’y a rien d’impressionnant : dans certains film j’ai deux, trois scènes et j’avais autant de jours de tournage, comme dans « Potiche » de François Ozon. Mais c’est vrai, je suis au générique !
Justement, pour 2016, vous êtes au générique de trois films : grand rôle ou panouille ?
Pour « En amont du fleuve » de Marion Hänsel, je partage le premier rôle avec Olivier Gourmet qui joue mon fère. Un frère que je n’ai jamais rencontré.
Dans « Perfect day, un jour comme un autre » de Fernando Leon de Araona, je n’ai que deux scènes mais quelle expérience de jouer aux côtés de Benicio del Toro ! Il porte bien son nom car c’est un animal impressionnant.
« Orpheline » d’Arnaud des Pallières est un film très particulier de 90′ où je joue avec un gamin de 8 ans, qui a été tourné en cinq jours. Un film très onirique, poétique, assez surréaliste… qui passera sur une chaîne télé à minuit !
Vous avez tout de même tourné avec Stephen Frears !
Oui, « Dirty Pretty Things » en 2003. Hasard encore.
Je devais aller passer le casting et j’y vais en compagnie d’Amira Casar. Lorsque nous rencontrons Stephen Frears, je lui dit d’abord que je baragouine en Anglais et de plus, lorsqu’il me donne les dates de tournage, je suis déjà pris pour un film en Espagne. Je refuse donc le rôle qui doit se tourner en septembre à New-York… Et le 11 septembre 2001, il se passe ce que l’on sait. Du coup, le tournage est repoussé et en 2003… il m’appelle car il me veut toujours, malgré mon accent déplorable !
Finalement, le même handicap que vos débuts, avec la langue française !
Exactement ! D’autant plus handicapant que Stephen Frears arrivait tous les matins avec des dialogues qu’il avait changés dans la nuit ! J’avais donc un coach qui me soufflait les mots dans l’oreillette. Pour la première scène, il se faisait quand même un peu de soucis. Mais je l’ai dite parfaitement et il a été soulagé. Quant à mon accent, je l’ai et je le garde, en quelque langue que je joue !

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Alors, revenons à cette pièce « 30/40, Livingstone ».
C’est la deuxième pièce que j’écris avec Jorge. Dans la première, je jouais seul. Là, il joue
avec moi mais je parle tout le temps et lui ne dit pas un mot ! Nous l’avons joué en Catalan, en Anglais, en Français.
C’est une pièce très difficile à raconter, je crois qu’il faut la voir. C’est une sorte de mélopée surréaliste où se mélangent la vraie vie, le rêve, le passé. Je parle avec mon père qui est représenté par un fauteuil, avec un homme aux bois de cerf. dont on ne sait s’il est réel, si c’est un fantôme ou un fou, les souvenirs se mêlent au présent… C’est vrai qu’à raconter, ça ne dit pas grand chose mais c’est une comédie pleine d’humour où, comme à mon habitude, je parle beaucoup !
En fait, chaque spectateur peut se faire sa propre idée de la pièce, sa propre histoire. On est beaucoup dans l’imaginaire ».

En tout cas, c’est une belle performance scénique, tant par le talent de Sergi qui balance son texte sans temps mort que par celui de Jorge Pico qui saute, court, danse, mime avec une folle énergie.
Un grand moment, un moment original de théâtre !
Si vous avez raté la pièce, vous pouvez vous rattraper en allant à Marseille, Théâtre des Bernardines, du 15 au 19 mars.

Jacques Brachet