Il y a 20 ans, je découvrais les « robes-tableaux » d’Isabelle Agnel-Gouzy et j’écrivais son premier papier.
Vingt ans après, la boucle se boucle : je suis le premier à découvrir à ses côtés, son exposition rétrospective qui a investi la Villa Tamaris.
Une exposition incroyablement riche, qui retrace vingt-cinq années d’un travail original, d’un cheminement exceptionnel, d’une oeuvre passionnante construite jour après jour.
Professeur aux Beaux-Arts de la Seyne depuis plus de vingt ans, cette Toulonnaise n’a jamais cessé de chercher, ressentir, exprimer, évoluer avec ténacité, curiosité, excitation, s’essayant à de nombreuses disciplines, à nombre de supports, de la toile au tissus, du papier au bois,dle l’huile à l’encre et en créant entre autres des robes peintes uniques et superbes.
Tout a commencé en 1991, avec sa première exposition à Marseille, au sortir de son diplôme, suivie, en 1992 de sa première vraie exposition à l’Hôtel de Claviers à Brignoles, invitée par le Conseil Général.
C’est d’ailleurs le départ de cette rétrospective où, de salle en salle, chronologiquement, l’on va suivre son parcours, ses chemins de traverses, ses 25 ans de peinture à l’huile, ses 20 ans de peinture-couture.
La première salle couvre les années 91/92. Le démarrage. Les œuvres hélas sont assez dispersées parce que vendues et Isabelle ne sait par qui ! Restent les photos, les carnets de croquis et quelques œuvres mais c’est déjà intéressant puisque ce sont les prémices d’une œuvre véritable en devenir.
Le talent, la démarche sont là, avec l’habitude qu’elle a gardée de créer des séries de dix à quinze pièces. Et vingt ans après, elle utilise toujours cette formule écriture-graphisme-couleurs. C’est ce qu’elle nous dit en ayant retrouvé ces archives avec émotion.
« Je me rends compte que si j’ai heureusement évolué, je travaille toujours de la même façon. Je n’ai pas changé, j’ai toujours cette même liberté, je travaille toujours avec mon polaroïd à portée de main, même si cela fait sourire certains ! »
Dans la seconde salle, nous parcourons les années 93 à 98 dans laquelle il y a eu sa première exposition à la Villa Tamaris en 1995.
On y retrouve son travail sur le corps car elle revendique de faire une œuvre très sexuée. Le corps, le mouvement, son travail raconte une histoire. Avec un clin d’œil à Sophie Bonus, danseuse de flamenco, avec qui elle a alors travaillé.
1996, c’est aussi le début de sa collaboration avec Pébéo pour le premier défilé de ses robes. Des robes évidemment uniques puisque chacune est peinte à partir d’un premier travail sur la toile. On retrouve d’ailleurs sa robe créée en 2000 en hommage à l’œuvre de Sonia Delaunay.
Ses inspirations viennent de ces artistes qu’elle aime, dont elle a vu les expositions, mais de ses voyages aussi. Des œuvres gestuelles, pulsionnelles, dans quelque domaine que ce soit.
Dans la troisième salle justement, sont accolées ses essaiss sur bois, inspirés de ces pays lointains qu’elle a traversés et la robe dont on retrouve le thème de la peinture.
« Je peins… et ça devient quelque chose », nous dit-elle simplement.
Nous passons dans la quatrième salle et l’année 1997 où l’on se rend compte que son travail se poursuit dans la même direction tout en évoluant, avec ces toiles qui ne sont jamais montées sur châssis, ce qui lui donne cette liberté, jouant sur la verticalité qui fait toujours penser au corps, dans diverses mises en scène.
Et voilà que l’on traverse un long couloir et que la verticalité se transforme… en horizontalité !
« C’est nouveau pour moi et c’est un essai que je tente après avoir lu « Splendeurs et misères des courtisanes » de Balzac, ces courtisanes qui étaient toujours – et pour cause ! – à l’horizontale. Je ne sais d’ailleurs pas où ça va me mener… »
Nous voici en 2013 avec les réminiscences de l’exposition faite à St Mandrier. Des huiles sur papier pleines de force, d’énergie, de couleurs, dont ce fameux bleu qui est un peu le fil conducteur de son oeuvre. Et l’on découvre aussi ce qu’elle appelle son « exposition Pébéo » :
« C’est un travail sur toile mais sur châssis et cela m’a intéressé parce que c’était la première fois que j’étais prise dans un cadre, pour un travail resserré, par la force des choses, ce qui m’a fait avoir une gestuelle différente ».¨
A cette époque, elle découvre l’œuvre multiple du plasticien hongrois Simon Hantaï qui, entre autres, a créé ces toiles peintes sur lesquelles, pas encore sèches, il fait des nœuds, ce qui, une fois défaits, donne des impressions inattendues. Ce travail fait, Isabelle crée la robe qui garde ses froissures, ses plis et ces mélanges étonnants de couleurs et de taches.
L’on voit que les méandres des chemins qu’elle prend, amènent à chaque détour un travail nouveau, inattendu, toujours intéressant.
Et ce n’est pas fini puisque germe, dans son esprit fourmillant, une nouvelle idée. Tous ses carnets de croquis qu’elle garde précieusement, sont un malstrom de petits chefs d’œuvres qu’elle ne peut pas tous exploiter « en grand ». alors, elle a l’idée de les garder tels quels et d’imprimer sur une robe, ces feuilles multiples faites de croquis, de mots et de pensées écrits dans un coin, d’essais de couleur. Voilà donc qu’est née la « robe des 20 ans » et que c’est du plus bel effet !
Si elle travaille toujours sur le corps des femmes, la voici lancée sur deux idées : les jambes et le torse des hommes. Et cela nous réserve encore des surprises, d’abord parce que, pour la première fois, l’on découvre sur la toile… des jambes ! Je veux dire par là qu’avec une technique mixte elle nous propose des jambes figuratives dans tous leurs états, ce qui est nouveau pour elle. Pour les torses des hommes, elle fait des juxtapositions, des superpositions et de ce travail, elle crée… des foulards !
Que diriez-vous d’arborer un torse d’homme autour du cou ?!
Et c’est encore original et superbe.
On arrive à la fin du voyage dans le temps, de 25 ans de vie de femme et d’artiste, avec une espèce de rétrospective en miniature sur des grandes toiles de bâches où se retrouvent pêle-mêle ses toiles en miniature, ses dessins, ses croquis, ses écrits, les photos des mannequins qui ont porté ses robes et ont défilé avec…
Une oeuvre magistrale qui a envahi avec jubilation et un bonheur inégalable, la majeure partie de cet écrin superbe qu’est la Villa Tamaris qui met en valeur un talent à l’état pur.
Merci Isabelle, de m’avoir fait ce beau cadeau d’anniversaire – même si c’est le tien ! – de remonter le temps à tes côtés et de me faire redécouvrir ton travail dans l’intimité de l’installation de cette exposition.
Cela restera pour moi un moment inoubliable !
Jacques Brachet
Photos : Monique Brachet
Exposition à la Villa Tamaris – La Seyne-sur-mer
Du 6 février au 13 mars