Notes de lectures
par les Plumes d’Azur

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Nathalie AZOULAY : Titus n’aimait pas Bérénice (Ed POL)
Sous prétexte de parler de Titus et Bérénice, deux jeunes gens de notre époque qui affrontent une rupture, l’auteur explore la vie de Jean Racine. Elle nous plonge avec bonheur dans ce siècle brillant, son enfance à Port-Royal puis à Versailles où il devient un favori de Louis XIV, la magie de ses pièces de théâtre, la famille qu’il crée enfin après une vie assez agitée.
Elle analyse ses pièces pour nous parler de sa vie ou au contraire, nous parle de sa vie pour analyser ses pièces. Passant rapidement sur ses inévitables rivalités avec Corneille ou même Molière, elle retrace avec justesse cette période où rien n’était possible sans l’aval de la cour et nous plonge dans ses relations intimes avec son interprète préférée.
On découvre ces épisodes moins connus où il cesse d’écrire ses tragédies pour devenir historiographe du monarque, où il reste fidèle à Port-Royal malgré le roi. C’est donc une magnifique recherche de l’auteur sur la quête de l’alexandrin parfait, sur les passions et les méandres de l’amour et de la rupture, que l’on découvre dans ce roman de 314 pages, riche et enlevé. Très bien écrit, très érudit, ce parcours est un agréable voyage à travers les siècles.
C’est l’occasion de revisiter ce superbe tragédien et bien sûr de relire Bérénice !

Delphine de VIGAN : D’après une histoire vraie (Ed J.C.Lattès)
Terminer la lecture de ce huitième et tout dernier roman de Delphine de Vigan, c’est se remettre à respirer normalement après avoir été soumis à une pression tangible pendant presque cinq cents pages.
L’ambiance y est hitchcockienne, les références à Stephen King récurrentes, le tout sous couvert d’une amitié née de la rencontre de la narratrice/auteure et de L. son héroïne. Saura-t-on vraiment si l’histoire est authentique ?
Il sera difficile au lecteur de le discerner car le propos de l’auteur est aussi de flouter la frontière entre la fiction et la réalité. Troublant face à face où imaginaire et réel se répondent !
Écrire c’est aussi cela !
Dès les premières lignes, le cadre est fixé et semble vraisemblable : une écrivaine se dit épuisée, éreintée, fragilisée quelques mois après la parution de son roman. Elle ne peut plus se mettre à son bureau, ni prendre un stylo, ne supporte plus la vue de son ordinateur. Tout effort de rédaction lui paraît impossible.
C’est le moment propice que l’héroïne L.- elle-même écrivaine, « nègre » de personnalités en mal d’écriture et dont le nom ne sera jamais dévoilé- a choisi pour s’immiscer dans la vie de l’auteure. Histoire annoncée d’une manipulation !
Amitié partagée, fascination de l’une pour l’autre, indispensable connivence, leur relation se fait de plus en plus prégnante. L’envoûtement progressif atteindra un niveau de toxicité effrayant.
Le lecteur conscient voit le piège se mettre en place et désespère que les quelques clignotants annonceurs du danger n’alertent pas la proie.
Mais nous sommes dans un vrai roman, le revirement final va nous ravir. Qui a manipulé qui ? L’emprise mentale de l’une a finalement été propice à l’émergence d’une source d’inspiration nouvelle chez l’autre. La liaison dangereuse a comblé le vide.
Belle réussite donc, que ce roman dont l’écriture agréable et maîtrisée explore toute la gamme des émotions et des sentiments qui coulent dans les eaux troubles de l’âme humaine.
Fiction, auto fiction, biographie ou pas, bravo Delphine de Vigan.

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Felicitas HOPPE : La vie rêvée de Hoppe (Ed Piranha)
Traduit de l’Allemand par M. Ots
Ecrivaine très connue en Allemagne où elle a reçu de nombreux prix pour une œuvre très riche, Félicitas Hoppe veut rétablir une certaine vérité au sujet de ce personnage dont on la soupçonne d’être une imposture. Elle entreprend donc de reconstituer le véritable parcours de Hoppe, fillette douée d’une étonnante propension à l’affabulation jusqu’à une fin de carrière pas vraiment dévoilée.
C’est donc un incessant và et vient entre deux mondes, réel ou fantasmé dans lesquels l’auteur se déplace, prenant ses aises avec les contingences de la réalité.
Des neiges canadiennes où Hoppe a atterri après avoir été enlevée par un père totalement déjanté, et confiée à une famille qui l’élève dans le culte du hockey sur glace et où elle excelle a déjouer tous les traquenards que la vie lui fournit, toujours accompagnée de son incroyable sac à dos-sac à malice qui la conduira après maintes péripéties aux portes du désert australien où elle fera sa vie.
Une écriture foisonnante pour expliquer ces parcours fabuleux où l’on peine souvent à se reconnaître et à croire à ses histoires. Le mystère reste entier, on ne démêle pas plus la vérité du rêve lorsque la fin de livre arrive.
Délirant.

Simon LIBERATI : Eva (Ed Stock)
On aborde le roman par une pré-couverture d’une très jeune fille, très maquillée, fumant une cigarette l’air assez paumé. En fait il s’agit d’une photo de paparazzi d’Eva Ionesco, fille d’Irène Ionesco, photographe connue des années 70 à 80, qui a pris pour modèle sa fille dès son plus jeune âge en la mettant en scène de façon très équivoque, dans des poses très osées et très dénudées.
Celle-ci intentera des procès à sa mère pour l’avoir exploitée et jetée en pâture à un public trouble.
L’auteur nous projette dans ce monde intello-artistico mondain des années 80 où, entre beuveries, fumeries et drogue, il fait connaissance et épouse cette jeune paumée d’Eva dont il va éplucher la vie de galère en galère, de fête en fête.
Cette jeune lolita qu’il aime et qui le lui rend bien à sa façon, est le prétexte à se mettre en scène lui-même et à étaler ses états d’âme avec complaisance
Peu à dire de ce curieux roman plutôt nauséabond si ce n’est qu’il offre un aspect de la mémoire, du passé révolu et des stigmates qui persistent.
Même si on compatit à ce destin dramatisant on a du mal à s’y projeter.