TOULON – Bibliothèque centrale
Lecture théâtre de la compagnie du « Bruit des Hommes »

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La compagnie « Le Bruit des Hommes » présentait sa lecture-théâtre, c’est à dire une lecture mise en scène et jouée, intitulée « Les amours de la muse et de l’homme plume », à propos des lettres échangées entre Gustave Flaubert et Louise Colet.

Louise Colet naquit Révoli de Servannes à Aix en Provence en 1810 et mourut à Paris en 1876. Elle est connue d’abord par un scandale : En 1840 le journaliste Alphonse Karr révèle sa liaison adultère ; elle lui plante un couteau de cuisine dans le dos ; il s’en tire avec une égratignure et ne porte pas plainte. On voit là une femme de caractère ! Et dans ses écrits on peut y voir un engagement féministe. Elle sera plusieurs fois distinguée par des prix littéraires dont le Prix de l’Académie française pour « Le musée de Versailles » en 1839. Sa poésie est très datée, marquée bien sûr par le romantisme, et quelque peu ampoulée ; c’est une excellente versificatrice.
De nos jours elle est surtout connue pour son histoire d’amour avec Gustave Flaubert qu’elle rencontre chez le sculpteur Pradier, pour qui elle pose comme modèle. Elle était, paraît-il, très belle. S’ensuit un amour fou, absolu, qui va les dévorer. Elle sera un temps la muse de Flaubert. Elle était femme volage, comme on disait à l’époque; après Flaubert elle aura pas mal d’amants, et parmi les plus célèbres, Alfred de Vigny, Alfred de Musset, Victor Hugo, Abel Villemain; on reste dans la littérature !
A leur rencontre en 1846, Flaubert a 25 ans. A la mort de ses parents, ayant hérité d’une belle fortune, il quitte Paris et s’installe dans la maison familiale au Croisset en Normandie, où il commence à écrire « L’Education sentimentale ». D’où cette correspondance car Louise est à Paris.
Leur liaison va durer environ 10 ans puisque la dernière lettre, celle de la rupture définitive, date du 6 mars 1855.

C B

La compagnie « Le Bruit des Hommes » a donc judicieusement monté une lecture théâtre sur cette correspondance d’après « Louise et Gustave » de Philippe Jussiaux. Les lettres de Flaubert sont restées à la postérité mais la correspondance de Louise Colet a disparu, exceptés quelques fragments et trois lettres. Philipe Jussiaux reconstitue ces lettres disparues. Disons tout de suite qu’elles semblent réellement être de la plume de Louise Colet. Yves Borrini en a assuré la dramaturgie et la mise en espace.
Maryse Courbet et Yves Borrini s’emparent de cette correspondance avec un tel engagement, tant physique qu’intellectuel et sentimental, qu’on croit être en présence des deux écrivains.
La scène se passe au milieu des livres de la bibliothèque. D’un côté une sorte de bureau éclairé par des sculptures lumineuses d’ Ivan Mathis, de l’autre une chaise sur une sorte de podium, éclairée de la même façon. Pendant la première partie Maryse Courbet sur son podium lit des lettres aussi bien de Louise Colet que de Flaubert, les mettant dans un sac de cuir, aussitôt lues. Puis Yves Borrini prend le relai. Ensuite les lettres se répondront face à face, nous donnant ainsi à vivre cette passion, cet échange tumultueux. Yves utilisera le lieu, s’y déplaçant. Puis les personnages redeviendront assez statiques pour les lettres de la rupture. Ajoutons un travail de sons évocateurs mais très discret de Zidane Boussouf.

Le choix des missives est chronologique. Défilent l’échange des sentiments, l’érotisme, voire une certaine tendresse de la part de Louise, mais aussi les soucis d’écriture, l’angoisse de ne pas arriver à écrire ce qu’on veut, la peur de l’échec, du mauvais texte, de la critique, mais aussi la position de la femme (Maryse lira un poème de Louise Colet très révélateur), la politique, et puis la fin de l’amour du côté de Flaubert, la souffrance de Louise, et finalement la rupture, la dernière lettre.
Au fond on assiste à une véritable pièce de théâtre. Et à la toute fin du spectacle, belle idée des protagonistes : donner à quelques spectateurs un carton sur lequel est écrit une fin de lettre, pour que chacun la lise à tour de rôle, afin d’entrer un peu plus intimement dans la vie de ce couple littéraire, et surtout de rester dans l’histoire d’amour, sachant que Flaubert fut certainement le seul vrai et grand amour de Louise.

Serge Baudot