NOTES DE LECTURES
Par les Plumes d’Azur

Calberac Majdalani

Ivan CALBERAC : Venise n’est pas en Italie (Ed Flammarion)
Prix des Lecteurs du Var 2015
Il y a fort longtemps que je n’avais lu une si jolie histoire.
Celle d’un adolescent de 15 ans, Emile, qui va découvrir l’amour lors d’un road movie particulièrement éprouvant mais aussi fort original, à la fois drôle et touchant.
Il va, durant ce voyage vers Venisee, passer par des sentiments contraires de l’euphorie à la tristesse, de la joie à la peur. Mais il découvrira l’amour dans tous ses états.
Il est affublé d’une famille à la fois aimante mais souvent encombrante, qu’il aime mais dont il a souvent honte, qui a décrété qu’avec son physique ordinaire, il serait plus beau en blond. Il traîne cette blondeur surnaturelle comme un boulet avec toujours cette peur que l’on s’en aperçoive.
Enfant doué, intelligent, timide mais non sans humour, il a déjà beaucoup de recul sur la vie.
Sa vie, il la raconte dans ce journal qu’il tient au jour le jour.
Tombé amoureux d’une jeune musicienne, celle-ci l’invite à un concert qu’elle donnera à Venise. Mais ses parents décident de l’accompagner en caravane (qui leur sert aussi de maison en attendant que celle-ci soit construite).
Ainsi commence un périple qui va le faire grandir, assumer sa vie et lui ouvrir les yeux sur la nature humaine.
C’est écrit à la fois avec justesse, avec émotion, dans un style à la fois simple et subtil et pour son coup d’essai, ce jeune réalisateur qui a été primé à la Ciotat pour son film « Irène », primé en tant qu’auteur par le grand prix de l’Académie Française-Théâtre pour sa pièce « L’étudiante et M Henri » dont il a fait le film, vient d’obtenir le prix des lecteurs du Var pour ce roman… dont il va tirer un film !
Ivan Calbérac a tous les talents !
Charif MAJDALANI : Villa des Femmes (Ed du Seuil)
Prix Jean Giono 2015
Le 14 Octobre, à l’hôtel du Louvre à Paris, en présence de Sylvie Giono-Durbet, de Pierre Bergé et de quelques membres du jury, dont Paule Constant, Gilles Lapouge et Tahar Ben Jelloun entre autres, le prix a été décerné à Charif Majdalani pour son dernier livre « Villa des femmes ». C’est comme toujours Pierre Bergé qui a présenté l’écrivain et son livre
On se souvient que cet écrivain nous avait régalé en 2013 avec un livre magnifique « Le dernier seigneur de Marsad » Ce nouveau roman est aussi situé au Liban en pleine guerre civile et met en scène deux belles sœurs qui ne s’entendent pas très bien mais s’unissent pour sauver le domaine familial en ces périodes difficiles que vit leur pays .
Charif Majdalani a fait un discours élégant où l’œuvre de Giono tenait bien sûr une place importante. Le tout dans une ambiance conviviale où circulaient champagne, amuse-bouche et petits fours.

jarry Gautier

Isabelle JARRY : Magique aujourd’hui (Ed Gallimard)
Nous sommes vers la fin du XXIème siècle.
Tim est un jeune chercheur qui vit une relation d’amitié fusionnelle avec son robot, androïde ultra perfectionné. Le gouvernement l’envoie en cure de désintoxication c’est-à-dire de déconnection, en lui imposant un séjour à la campagne dans une famille d’accueil.
D’abord exaspéré par cette punition qu’il juge tout à fait injuste il va découvrir les joies de la nature et la possibilité de vivre sans être connecté en permanence. Quant au robot, livré à lui-même pour la première fois, il va s’essayer à l’autonomie en développant une forme. d’indépendance face à la convoitise d’autrui.
Beaucoup d’imagination dans cette fable douce amère, les personnages principaux, le chercheur et son androïde, sont sympathiques et souvent émouvants, les personnages secondaires bien campés et très réalistes. L’auteur se cantonne prudemment aux quelques humains qui gravitent autour des deux héros et ce qu’elle imagine parait tout à fait vraisemblable, épargnant au lecteur un haussement d’épaule quant au devenir de notre société quand tout sera informatisé à l’extrême …
Un humour prudent ne gâche rien à l’affaire dans ce roman d’anticipation bien rédigé.
Pascale GAUTIER : La clef sous la porte (Ed Joelle Losfeld)
Des quinquas ou pas loin revus par Pascale Gautier dans une bourgade du sud assez France profonde où se rejoignent toutes les caricatures et les clichés.
Il y a Augustin enfermé dans sa réussite matérielle, scotché devant sa télévision à vivre par procuration sa déconvenue face à une France hostile qu’il ne comprend plus, entouré d’une épouse stupide et volage et d’une ado imbuvable. Et puis il y a José petit prof de banlieue martyrisé par ses parents vieillissants et qui se servent de son célibat pour leur servir de bâton de vieillesse. Et enfin Agnès toujours amoureuse de qui il ne faut pas et seule, exploitée par ses frères et sœurs pour s’occuper de sa mère toujours mourante.
Sauf que… Un jour c’est le coup de pied dans la fourmilière et le grand ménage !
Tout cela un peu tristounet et convenu et réveillé par l’humour de l’auteur. De son œil tendre et caustique elle rhabille ses personnages et envoie valser les conventions à l’aide de remarques qui sonnent souvent comme la sagesse et remballe à l’emporte-pièce.
Un peu d’humour dans la brume du quotidien.

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Marie MARTIN : L’ombre de l’errant (Ed Elan Sud)
Un petit gitan de cinq ans s’avance dans les immondices jusqu’aux genoux pour trouver soit
un réveil matin foutu, soit deux fourchettes édentées soit peut-être une merveille…
A son grand étonnement c’est un nouveau né qu’il rapporte au camp qui décide, après conciliabules très partagés, de le garder. Bien que très choyé par cette famille d’adoption dont il épouse les us et coutumes un jour, il est volontairement oublié sur le marché, la faim ayant fait craquer la famille dont la survie va bien au-delà des sentiments.
Il a douze ans et commence le grand apprentissage de la vie , son seul examen réussi avec mention. Malgré les petits boulots, la vie de marin, les femmes qu’il aime et qu’il a aimées, les amis qui l’ont accompagné un moment, il essaie de faire ses propres choix. Néanmoins il se sent toujours au milieu de nulle part.
Il ira jusqu’à la mer, aux Saintes Maries, là où les gitans viennent honorer la vierge noire,
pour savoir, pour entendre une réponse à ce « comment on peut s’en sortir ».
Et il trouvera »sa » réponse.
A chacun la sienne!
La construction de ce livre est bien menée le rythme est rapide, l’écriture agréable est très belle. Ce dialogue entre deux voix: celle de l’érrant au présent qui cherche une réponse et celle de son ombre qui représente ses souvenirs d’enfance est très réussi.
C’est magnifique et cependant c’est une histoire qui aurait gagné à être narrée avec plus de force, d’énergie d’autant qu’elle est courte. Mais peut-être est-ce voulu par l’auteure
Laurent SEKSIK : L’exercice de la médecine (Ed Flammarion)
Très belle histoire d’une famille juive qui commence au temps des tsars et se poursuit de nos jours sous les traits de Léna Kotev, jeune cancérologue parisienne. Elle évoque dans ce roman son fabuleux arrière- grand-père qui a dédié sa vie aux soins des plus démunis sous un régime de répressions anti sémites qui verra sa perte ainsi que celle de sa famille. Par chance le fils de douze ans s’est enfuit à Berlin pour poursuivre ses études de médecine et que sa sœur Nathalia est placée dans une famille d’accueil. C’est donc Léna , l’arrière petite fille qui dénouera les fils de ce lourd passé de sacerdoce et de persécutions.
Récit émouvant de la survie face aux persécutions et de la foi en l’autre à travers la médecine. C’est parce qu’elle a su évoquer avec une grande sensibilité le partage et l’espoir que l’auteur déclenche une énorme empathie envers ces héros. Récit intéressant aussi par l’alternance des chapitres familiaux avec ceux d’actualité de Léna qui nous incitent à nous demander si nous sommes « prisonniers » ou « héritiers » de l’histoire familiale.

A Nathan

 Alice ZENITER : Juste avant l’oubli (Ed Flammarion )
L’héroïne de ce petit roman de 285 pages fait une thèse sur un auteur célèbre . Son compagnon, infirmier, l’accompagne à des journées littéraires organisées dans l’île où l’auteur a terminé sa vie .Le milieu universitaire et l’ambiance des participations aux colloques, sont bien décrits Elle est passionnée par les intervenants comme par les interventions tandis que lui est peu intéressé par les prestations qui se succèdent .Il va se lier avec le seul habitant de l’île, son gardien. C’est la fin d’un amour, fin qui comme souvent est plus difficile à vivre pour l’un que pour l’autre . Le livre nous plonge dans une ambiance ambiguë qui, si elle parait inattendue au départ, s’avère tout à fait plausible au fil des pages . Quant à l’histoire ce n’est jamais que celle d’une rupture dont on ne peut s’empêcher de penser qu’elle est inévitable compte tenu de la disparité intellectuelle des deux personnages.
Tobie NATHAN : Ce pays qui te ressemble (Ed Stock)
C’est dans le ghetto juif du Caire que commence l’histoire d’Esther et de Motty en 1952, c’est aussi l’histoire de l’amour fusionnel et interdit de Zohar leur fils et sa sœur de lait Masreya, mais également celle de Joé et de Nino Cohen. A travers ces jeunes gens c’est l’histoire du Caire du début du XX °siècle Joe, jeune homme de la haute société rêve de rejoindre Israël, et Nino Cohen, se convertit à l’islam, après avoir été enfermé et torturé dans les prisons gouvernementales.
Grâce à ces personnages on découvre l’Egypte qui se libère de la domination anglaise puis devient hostile à ces juifs égyptiens nés dans le ghetto dont la langue natale était l’arabe et qui doivent quitter l’Egypte pour devenir des apatrides
Mais ce roman est aussi un conte oriental avec des personnages féminins fascinants, sorcières et danseuses, ensorcelant les puissants comme le roi Farouk lui-même l’écriture est poétique quand l’auteur décrit ces femmes et elle devient truculente quand elle peint les juifs du ghetto et surtout leurs épouses qui se rient des préceptes du rabbin lorsqu’elles les trouvent absurdes.
C’est ce mélange de réalité et de fiction qui fait tout le charme de ce roman.