Notes de lectures, par les Plumes d’Azur

BARBERY Muriel photo Catherine H+®lie_Gallimard_2015-01_4625 BARICCO Alessandro photo C. H+®lie Gallimard COUL 7 07.07

Muriel  BARBERY :  la vie des Elfes (Ed Gallimard)    
Les forces du mal commandées par un Elfe perverti veulent la destruction de l’humanité.
Elles seront combattues par deux fillettes douées de pouvoirs surnaturels.
Elles ne se connaissent pas, l’une vit à Rome, jeune pianiste prodige, l’autre vit en pleine nature dans une ferme, elle parle aux animaux et aux  arbres.
On oscille entre un monde rural et un monde citadin décrit avec réalisme, et des évènements surnaturels qui surgissent sans qu’on sache trop bien pourquoi
Conte fantastique au rythme lent, au style travaillé, aux phrases longues qui rendent la lecture laborieuse .
Suivant qu’on se laisse emporter par l’indiscutable poésie du récit ou qu’on cherche à garder les pieds sur terre on appréciera ou non .
Livre étrange qui aura certainement des adeptes

Alessandro  BARICCO : Trois fois dès l’aube (Ed Gallimard)
traductrice: Lise CAILLAT
Construites comme une pièce de théâtre, dans un décor dépouillé, ces trois petites histoires se déroulent durant la nuit et s’achèvent à l’aube. La nuit c’est la rencontre, l’échange. L’aube, la renaissance, une nouvelle direction.
Trois histoires où le lecteur doit retrouver les personnages à différentes époques de leur vie. Ce sont des histoires indépendantes mais magiquement reliées entre elles par l’auteur. Les personnages sont attachants. Ils vont affronter un nouveau départ dans la vie en prenant chacun de gros risques sciemment.
Dans ce suspense à la lecture agréable, avec ses mystères, ses interrogations  et ses réflexions,  on sent que l’auteur s’est  amusé à écrire ces récits courts comme des nouvelles dans lesquelles le lecteur se laisse emporter par le chant des mots et la puissance du style .
Bien que petit c’est un excellent livre digne du grand auteur Baricco.

Beyer copyright DR Franklin and Beth Ann Fennelly. Photograph by Andy Anderson

Marie BEYER : L’enfer à bout touchant  (Ed les Nouveaux Romanciers)
Blanche, architecte d’intérieur, a accepté un contrat pour un projet hôtelier à Tahiti, et peu de temps après son arrivée elle reçoit par erreur un message anonyme qui la convie à un rendez-vous nocturne dans la vallée de La Fautava où elle découvre, terrorisée et impuissante, un rituel macabre. A partir de là,  Blanche, constamment angoissée dans ses rapports avec autrui, va mener avec l’aide d’un détective privé et d’un jeune polynésien en qui elle a confiance, un enquête qui la conduira  vers un trafic de « pakalolo » (cannabis). Son Paradis va très vite se transformer en enfer  mais au bout de l’horreur elle découvrira un terrible secret.
Le titre fait écho à celui du roman d’Henri Melville « Le Paradis à bout portant »
Ce  premier roman policier utilise bien tous les codes du genre avec une belle héroïne qui mène l’enquête, un vieux privé désabusé, des enlèvements, des morts brutales et des personnages qui se révèlent différents  de l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes. Sa lecture est facilitée par un glossaire des nombreux termes tahitiens en fin de livre.
Le roman échappe également à la couleur locale attendue par des descriptions  très originales des paysages et des us et coutumes qui créent une atmosphère séduisante et inquiétante à la fois.
Toutefois les derniers chapitres se révèlent un peu artificiels en abandonnant le genre policier pour faire découvrir à l’héroïne un passé auquel ni elle ni le lecteur ne s’attendaient.
En résumé un agréable premier roman qu’on lit avec plaisir.

Tom FRANKLIN  et  Beth Ann  FENNELL : Dans la colère du fleuve (Ed Albin Michel)
Nous sommes en pleine prohibition, dans une petite ville au bord du Mississippi .
Le fleuve menace de déborder emportant les digues qui protègent la région .
Deux agents fédéraux à la recherche de deux collègues disparus et d’éventuels bootleggers, trouvent un bébé abandonné auprès du cadavre de sa mère. L’un d’eux décide de le confier à une jeune femme qui vient de perdre le sien, sans savoir qu’elle est un des meilleurs bouilleurs de cru du coin !
Les évènements vont s’enchainer en pleine apocalypse, avec l’inondation, la panique qui s’installe, les passions exacerbées, les gentils et les méchants  .
Les auteurs utilisent cette crue mémorable pour écrire un roman sentimental et historique. On peut trouver cette romance truffée d’invraisemblances qui porteraient à rire ou à agacer le lecteur, ou on peut suivre avec plaisir ce petit monde bouleversé par la crue du fleuve et se laisser aller à rêver et à trouver cette histoire passionnante.

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Cédric GRAS : L’hiver aux trousses (Ed Stock)
Pour traverser l’Extrême-Orient russe du nord au sud en deux mois, découvrir la magnificence de la forêt automnale et la lumière si particulière de l’automne avant l’arrivée brutale de l’hiver, suivez le guide, Cédric Gras, écrivain-voyageur qui, plutôt que de terminer une thèse de doctorat préfère parcourir les immensités de Yakoutsk à Vladivostok.
C’est un carnet de bord, rédigé chaque jour, agrémenté de cartes indispensables au non-initié, où le lecteur rencontre les innombrables ethnies qui peuplent ou ont peuplé ces contrées lointaines. Les guerres entre russes, japonais et chinois ont façonné ce bout du monde, les intérêts commerciaux n’ont malheureusement pas surmonté les destructions consécutives à la dislocation de l’URSS, notamment concernant l’exploitation du gaz et du pétrole aux mains des puissances étrangères.
Cédric Gras côtoie une population minimum qu’aucune politique n’arrive à implanter durablement, son mode de déplacement, auto-stop, train, marche, lui permet de rendre compte du moral d’un peuple en difficulté mais toujours serviable. Grâce aux vers de Mallarmé, Kawabata, Anna Akhmatova, l’auteur transmet ses émotions face à l’automne, saison de transition vers un hiver implacable où tout se fige.
Ce livre présente une mine de renseignements sur ces oubliés du monde et donne une idée du travail à réaliser pour valoriser ces immensités face au géant chinois en constant développement.

Hervé HAMON : Pour l’amour du Capitaine (Ed Seuil)
Écrivain de marine, Hervé Hamon nous livre une fois encore, l’histoire d’une invraisemblable croisière suite – bien qu’il ne soit pas indispensable de le mentionner – à son premier roman d’aventure, intitulé « Paquebot ».
Nous retrouverons l’essentiel des personnages du premier tome mais l’ « Impérial Tsarina » relooké deviendra la « New Wave ». Une deuxième chance donnée à ce bateau au concept vieillissant, l’objectif du moment étant, pour l’armateur, d’attirer une clientèle soucieuse de la préservation de la planète
En somme « une croisière différente, sur un bateau différent, dans des eaux différentes, une croisière où l’on s’efforce d’aider les passagers à prendre conscience de l’enjeu écologique ».
Les croisiéristes, vieux, riches, fans de Disney, embarqueront à Miami pour naviguer le long des côtes chiliennes. Tous se laisseront séduire par les boiseries « renouvelables » de la carène, la fumée blanche du bateau, les conférences programmées autour de la nature en danger.
Il ne s’agira en fait que de supercheries et de folklore commercial servant à abriter le siège d’une banque offshore au profit d’un armateur gréco-russe. Mais Shrimp, le capitaine et Bebop, le mécanicien veillent !
Croisière improbable donc où le lecteur se laissera emporter dans un tourbillon de rebondissements des plus inattendus avec son lot de personnages décoiffant mais néanmoins attachants.
Un livre joyeux au « langage imprévisible », qui nous emmène, en vacances sur un paquebot de perdition, loin de nos lectures traditionnelles.

LEINE Kim mars 2015 photo Catherine H+®lie - +®ditions Gallimard 0808 REINHARDT Eric photo Catherine H+®lie_Gallimard_2014-04_8003

Kim LEINE: Les prophètes du fjord de l’éternité  (Ed Gallimard)
Gros roman de 558 pages, grand plongeon dans le Groenland du XVIII°siècle où les colonies, ici danoises, révèlent l’impact de la civilisation sur les autochtones qui seront les Inuits.
Marten Falek, jeune intellectuel qui se destinait à la médecine se retrouve pasteur pour ne pas désobéir à son père,  dans ces terres ingrates, afin d’évangéliser ces autochtones qu’il trouve obtus, impassibles, faux, sales et puants. De sa traversée sur ces mers hostiles jusqu’à son installation à la colonie dans un trou à rats où tout pue l’urine, il essaie de sauver des âmes mais perd peu à peu la sienne dans l’alcool, la misère, la fornication.
Grande épopée où la nature est partout présente, les personnages des écorchés vifs, les sentiments, primaires, le but essentiel de la vie étant de survivre.
Très bien construit, avec des retours dans le temps, des points de vue différents sur le même évènement, ce roman très fort éclaire cette époque d’une lumière inconnue. Cet auteur dont on n’a jamais entendu parlé et qui a été traduit partout dans le monde se révèle un conteur passionnant et éclaire cette partie du colonialisme d’un jour nouveau.
A lire lentement, avec du temps.

Eric REINHARDT : L’amour et les forêts  (Ed Gallimard)
Suite à un échange épistolaire, un écrivain rencontre une de ses lectrices, Bénédicte Ombredanne, jeune agrégée de lettres, mère de deux enfants, victime d’un homme tyrannique Le premier narrateur est visiblement Eric Reinhardt et le roman qui a changé la vie de Bénédicte est clairement « Cendrillon », le premier roman de l’auteur
Au bord du gouffre, elle évoque ses déchirures sentimentales, le harcèlement conjugal, les brimades, le chantage affectif qui vont l’amener à virer de bord après une rencontre sentimentale sur Meetic avec un homme exceptionnel qui vit dans la forêt (d’où le titre) et lui procurera une journée de bonheur.
C’est donc à la fois un roman sur la condition féminine mais aussi sur la littérature et « le bonheur de la lecture » capable de rendre le rêve plus vrai que la réalité comme le fait Bénédicte, semblant sortie tout droit d’un conte cruel de Villiers de L’Isle Adam.
Trois narrateurs : l’auteur, l’héroïne, sa jumelle  nous découvrent la personnalité  complexe de Bénédicte.
Un roman très bien écrit, avec de belles pages sur le pouvoir de la littérature, si bien qu’on ne sait plus si Bénédicte existe réellement ou si elle est un personnage du roman. L’’auteur se sent proche des écrivains de la première moitié du XIXème siècle et en particulier de Villiers de L’Isle Adam qu’il admire assez pour glisser dans le roman la nouvelle « L’inconnue » à laquelle s’identifie Benedicte, renforçant ainsi  la confusion entre réalité et fiction.
Un roman très brillant, avec une étude psychologique saisissante de l’enfermement dans la douleur, mais qui frôle parfois le pathos et qui parait souvent très outré. Le style très recherché pêche par l’abondance d’adjectifs qui rendent les phrases dithyrambiques.
En résumé, un roman dérangeant.