Clovis CORNILLAC :
un film, une pièce de théâtre, une salle de cinéma

A

Quoi de plus original qu’une histoire d’amour à travers un mur ?
J’explique : un ours solitaire, inventeur de jeux style « casse tête » ou « solitaire » vit dans un appartement qui n’est pas insonorisé.
Afin de ne pas être dérangé par un voisin, il a truffé l’appartement mitoyen de trucs insensés pour faire peur à l’éventuel locataire qui, à chaque fois, part sans demander son reste.
Mais voilà qu’une jeune pianiste promise à un bel avenir, découvre la machination et décide de rester.
Chacun va donc à sa façon, essayer de rendre la vie impossible à l’autre jusqu’à ce que, baissant les armes, un dialogue aveugle s’instaure entre « Machin » et « Machine »…
Cela donne « Un peu, beaucoup, aveuglément »,  une comédie romantique insensée, réjouissante malgré l’énormité de certains événements, avec des situations burlesques et jubilatoires jouées par un quatuor drolatique et plein de charme : Clovis Cornillac, Mélanie Bernier, Lilou Gogli et Philippe Duquesne et l’intrusion clin d’œil de Manu Payet.
Clovis et Lilou sont venus présenter ce film au Pathé Liberté de Toulon. Le soir même Clovis se retrouvait sur les planches pour jouer son énorme succès, la reprise de « La contrebasse » et trois jours après, on le retrouvait au Six n’étoiles de Six-Fours pour inaugurer l’une des trois  salles qui désormais portera son nom, après celle qui porte déjà le nom de Claude Lelouch.

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Toulon
Clovis, alors que le comédien est on ne peut plus gâté par le cinéma, la télévision et le théâtre, ce qui est rare de nos jours, pourquoi ces velléités de devenir réalisateur ?
Il y a déjà deux, trois ans que l’idée me trotte dans la tête. Je pense qu’aujourd’hui je suis mûr pour sauter le pas. Il fallait l’occasion et Lilou Fogli, qui est ma compagne, me l’a donnée.
Elle m’a parlé de cette histoire d’un couple séparé par un mur et dont les relations vont évoluer sans qu’ils ne se rencontrent, sans même connaître leurs prénom, se dénommant « Machin » et « Machine ».
J’ai trouvé l’idée assez habile et je l’ai incitée à développer. Durant un an, elle a écrit son scénario. J’ai voulu aussi m’inscrire dans ce projet et durant encore un an  de travail, de rencontres, d’échanges avec Tristan Schulmann et Matthieu Oullion qui sont venus nous rejoindre, nous y avons travaillé.
Le film était là, la première étape était franchie. Restait à trouver des producteurs et à tourner le film.
Vous multipliez les difficultés : comédien, scénariste, réalisateur… et même chanteur !
(Rires). En tant que chanteur, je ne pense pas faire de l’ombre à quiconque !
Par ailleurs, si l’on me connaît et me fait confiance comme acteur, on ne me connaît pas comme réalisateur. Devenant les deux, le films était bien moins cher et cela rassurait les investisseurs. Ca devenait une réalité économique. Et je voulais faire un beau film, qui ait de la classe, avec des moyens que je n’aurais pas eu si j’avais dû payer un réalisateur et un comédien.
Ce qui veut dire qu’au départ le rôle ne vous était pas dévolu ?
Pas du tout et heureusement car si l’on part sur l’idée d’écrire pour quelqu’un, on est toujours déçu à l’arrivée, soit parce qu’il n’est pas libre, soit parce qu’il n’aime pas le rôle, soit encore parce qu’il n’est en définitive pas le personnage. Il y a donc de grandes chances qu’on se plante. Mais une fois écrit, c’est Lilou qui a pensé que je pouvais être crédible dans le rôle, comme elle pouvait l’être dans celui de la sœur de Mélanie.
Quel effet cela fait-il de jouer avec un mur ?!
Eh bien en fait, bizarrement, cela m’a rassuré car, Mélanie jouant ses scènes seule, elle aussi, puisque nous avons peu de scènes ensemble même si nous sommes tous deux à l’écran, je pouvais totalement me concentrer sur elle. Après ça, jouant seul, je pouvais totalement me concentrer sur moi!
Ça m’a en fait simplifié la vie.

F

La musique est très éclectique, allant de Chopin à Aretha Franklin en passant par Serge Lama…
La musique a beaucoup d’importance pour moi. C’est le seul art immédiat et il est vecteur d’émotion incroyable. C’est la première source de communication. J’aime toutes les musiques, la variété, le classique, le jazz et dans ce film la musique est totalement bordélique… et elle me ressemble !
Dans quel état d’esprit étiez-vous lors du premier jour de tournage ?
Je n’avais aucune appréhension car j’ai derrière moi trente ans de métier et je savais que cette expérience pouvait m’éviter beaucoup d’écueils. En amont, j’ai travaillé en équipe réduite sur tous les postes durant deux mois à raison de quatorze heures par jour. Ce n’était pas le caprice d’un comédien qui veut devenir réalisateur mais une vraie démarche personnelle.
Je trouvais l’aventure excitante et elle l’a été. Tout le monde était habité et joyeux. Je n’ai jamais été aussi épanoui et heureux dans ma vie professionnelle. Jamais je ne me suis autant régalé.
Et aujourd’hui, à quelques jours de la sortie du film puisque c’est le 6 mai ?
Maintenant, ça ne m’appartient plus. C’est au public de donner sa sanction et c’est vrai que je suis fébrile et que… c’est l’angoisse absolue ! Mais si ça ne marche pas, je ne pourrai m’en prendre qu’à moi-même. Et si ça marche, je serai le plus heureux du monde !
Mais j’avoue que je suis un peu rassuré par cette tournée où, chaque soir, j’entends rire des salles entières. C’est un bon présage.
En parallèle avec la promo de ce film, vous jouez au théâtre… Il n’y a pas de problème de connexion, de concentration pour jouer ?
Non car je fais la promo dans la journée et le soir, il me suffit d’une demi-heure de concentration pour tout oublier et être totalement connecté sur la pièce.

La Contrebasse
Le théâtre Liberté de Toulon présentait en cette soirée d’avril « La Contrebasse » dans la version mise en scène (et lumières) par Daniel Benoin et jouée par Clovis Cornillac. Cette contrebasse écrite en 1981 par Patrick Süskind, qui est une pièce pour un seul personnage, plus la contrebasse, a été jouée par plusieurs comédiens dont le plus célèbre est le regretté Jacques Villeret. Ce soir nous allions voir Clovis Cornillac dans l’habit du contrebassiste.
Décors dépouillés de Jean-Pierre Laporte. En fond de scène une fenêtre, côté cour et côté jardin, des murs gris verts striés par des lignes qui marquent des portes. Derrière ces portes que le comédien ouvrira quand nécessaire se trouvent l’archet, la discothèque, la Hi-fi, le frigo, la table à repasser, le canapé, la cuisine, etc… Côté cour trône une contrebasse penchée sur son socle, sculpture hiératique, présence étrange, presque féminine, en attente de quelque chose.
Clovis Cornillac apparaît, trapu, forte présence physique, en vêtement décontracté d’intérieur. D’emblée il s’empare du texte et le vit tant avec la voix qu’avec le corps. Il joue à l’énergie, avec un rythme d’enfer ; il parcourt la scène en tous sens, l’occupe entièrement. C’est un déluge bondissant et rebondissant, vibrionnant, avec des attitudes d’un effet comique imparable, des ruptures de rythme époustouflantes, des colères, des moments de détresse ; c’est toute une vie en raccourci.

J K

Ça commence comme une conférence sur la contrebasse, son rôle dans l’orchestre classique, dans le jazz qu’il n’aime pas à cause de l’improvisation, qui dit-il, est du n’importe quoi, ce qui montre d’emblée le côté rigide du personnage dans une vie bien réglée. Et cette contrebasse va polariser toutes ses fêlures, ses espoirs perdus, ses regrets, sa vie ratée. Elle est aussi la femme qu’il n’a pas. Il a 40 ans et cela fait deux ans qu’il n’a pas vu une femme. Il vit seul dans son appartement isolé à 95%, à cause de la contrebasse, et pourtant quand il joue mezzo-forte, une voisine du dessous cogne au plafond. Démonstration. Et puis il y la jeune Sarah, 25 ans, la mezzo-soprano dont il est amoureux, avec laquelle il rêve d’un improbable duo, mais qui ne l’a jamais regardé, qui va au restaurant avec des ténors manger des soles à 45€. Petit à petit apparaît son mal être, sa névrose, son désespoir. Il est la huitième contrebasse de l’orchestre symphonique, instrument relégué à l’arrière plan, comme lui. Il s’en prend à Wagner, Mozart, et tant d’autres, qui n’ont rien fait pour la contrebasse. Il faut voir Clovis Cornillac mimer « Les dents de la mer » sur « les Walkyries », ou bien »le gros crétin »  Siegfried. Il ne sauve guère que Schubert grâce à son quintette « La truite ». Il s’en prend aussi à la psychanalyse. Il consomme bière sur bière, car, dit-il, il est déshydraté, tant et si bien qu’à la fin il est ivre. Il a choisi la musique pour ne pas être fonctionnaire comme son père qui le méprisait, et il se retrouve fonctionnaire anonyme dans un orchestre symphonique à 1500€ pas mois, impôts déduits. Il nous livre ainsi par touches la réalité de la vie d’artiste, quand on n’est pas en haut de l’affiche.
Et par dessus tout il y a Sarah qui le hante, à qui il n’a jamais parlé, qui ne l’a certainement jamais vu, mais qu’il aime. Alors après tant de canettes de bière, prêt à partir, il hurle qu’il va crier Sarah juste  à l’ouverture de « L’Or du Rhin », pour qu’elle le remarque enfin, pour être son héros, et se faire virer de l’orchestre. Il s’est tout à l’heure moqué de la névrose de l’emploi stable de ses concitoyens. Mais le fera-t-il ?
Clovis Nicolas rend tout cela et bien d’autres choses encore, par le seul truchement du corps et de la voix. Force insurpassable du théâtre.
Je n’ai pas vu la version de Villeret, je suppose qu’elle devait être plus en demi teinte, plus en subtilités. Mais dans cette version la mise en scène est au cordeau, le spectacle est total, balayant toute réticence.

Serge Baudot

L

Six-Fours
C’est trois jours après que Clovis, accompagné cette fois, outre de Lilou, de Mélrnie Bernier, « colocataire murale » baptisée « Machine ».
Beau trio qui a semé la folie au Six n’étoiles où d’abord, les trois salles étaient prises d’assaut, chose encore jamais vue.
Et puis a commencé l’attente car notre trio allait avoir une heure de retard suite à un problème d’avion à Marignane puis à un accident sur la route.
Chacun attendit patiemment, tout comme la presse qui fut… pressée d’en finir car, vu le retard, ce fut une brève rencontre de dix minutes. Heureusement, nous avions pu le rencontrer plus calmement à Toulon !
Et puis ce fut la course aux trois salles où tous trois allèrent dans chacune présenter le film.
Auparavant, Jean-Sébastien Vialatte, maire de Six-Fours, Dominique Ducasse, adjointe à la Culture, nombre d’adjoints et bien sûr toute l’équipe du Six n’étoiles, se groupèrent autour de lui pour dévoiler la plaque de la salle qui, désormais, portera son nom à côté de celle de Claude Lelouch.

M N

Voilà que la ville de Six-Fours vous dédie une de ses salles de cinéma. Quel effet ça fait ?
Ca fait surtout plaisir et c’est aussi émouvant, non pas pour me glorifier d’avoir une salle à mon nom mais parce que c’est dû au travail que j’ai donné et qui a été apprécié. C’est une reconnaissance et ça fait plaisir.
Aujourd’hui vous avez pris goût à la réalisation ?
Oui, vraiment et je crois que si le film marche, je récidiverai, si l’occasion se présente car c’est pour moi devenu nécessaire aujourd’hui. Je dirais même : vital.
Jusqu’à arrêter d’être comédien ?
Non car réaliser c’est une énergie, une autre façon de voir le métier. Mais peut-être que je ralentirai le métier d’acteur. C’est ma fonction première, ce grâce à quoi je suis là depuis trente ans… déjà !

Lilou et Mélanie
Lilou, c’est votre premier scénario… Comment avez-vous trouvé l’idée ?
Il y a un peu d’autobiographie dedans car j’ai vécu quelque chose d’analogue lorsque j’étais étudiante et, de mon studio mal insonorisé, j’entendais mon voisin et je m’étais fait tout un cinéma – déjà ! – je le voyais incroyablement beau, exceptionnel et lorsque je l’ai rencontré… ce n’était pas tout à fait ça ! J’ai raconté cette histoire à Clovis qui m’a dit que je devrais essayer de développer… et j’ai développé !
Y avez-vous pris du plaisir ?
Énormémentet je suis prête à récidiver car j’ai trois malles complètes d’histoires !
Mélanie, j’ai déjà posé la question à Clovis : quel effet cela fait de jouer avec un mur ?
Ça change tout ! C’est vrai qu’au départ c’est un peu déroutant mais c’est le sujet qui veut ça. Et donc, quand on a admis ce principe, ça devient tout à fit cohérent. puis ça devient un challenge et peu à peu ça devient même confortable et c’est plutôt agréable !
J’aime l’idée que cette rencontre est faite d’absence de préjugés physiques et sociaux et que seule la voix, au départ, rapproche les personnages.
C’était un rôle original à jouer.

O P

Et originale l’idée tout comme ce film qui nous emporte dans une comédie pleine d’humour, de finesse, non dénuée d’émotion et surtout superbement interprété par un vrai quatuor de charme.
D’ailleurs, tout le monde était sous le charme de Clovis, Lilou et Mélanie qui, très vite, sont repartis vers Marseille où les attendaient une autre avant-première à Plan de Campagne.
C’est ça la vie d’artiste !

Reportage : Jacques Brachet