« Calek », c’est le récit d’un juif de Pologne ordinaire qui a connu l’indicible horreur : voir sa famille décimée par l’holocauste sans qu’il n’ait pu rien faire, sinon, seul rescapé, écrire un journal qu’il confiera à un ami avant de mourir, pour confesser sa peine, sa naïveté, sa crédulité, sa lâcheté aussi.
Texte à la fois simple et poignant car Calek n’est pas un héros, loin de là, n’est pas non plus un écrivain. Il écrit avec son ressenti, son cœur, pour témoigner, laisser une trace de ce vécu on ne peut plus horrible. Homme ordinaire, juif ordinaire pour une folie hélas à l’époque ordinaire… mais cette folie, ne continue-telle pas de se perpétuer ?
Charles Berling – sublime dans ce rôle – sur les vœux de Robert Badinter, a conçu une lecture autour de ces écrits, en a fait une adaptation poignante, avec des moyens minimum : lui, seul en scène, à peine éclairé et lisant ce texte d’une grande simplicité mais aussi d’une force incroyable.
Et incroyable est le mot tant ce que Calek décrit est impensable, insoutenable, saisissant et terrible. Comment l’Homme peut-il en venir à de telles extrémités, à une telle barbarie ?
C’est vrai, cet homme s’est laissé porter par les événements, n’a pas cru au danger immédiat, s’est installé dans une sorte d’inertie, est resté sourd aux peurs de sa femme, pour la voir partir avec sa fille dans le train de la mort.
C’est vrai aussi, pour sa défense, qu’il ne pouvait imaginer, comme tous d’ailleurs, un pareil déferlement de folie meurtrière, de haine, de racisme, d’antisémitisme.
Charles Berling nous avoue qu’il a hésité avant de monter ce spectacle-témoignage tant il avait était saisi par ce texte quelquefois insoutenable.
« J’ai pensé – nous dit-il – qu’en ces temps troublés dans le monde, qu’il était de mon devoir, de ma responsabilité, de transmettre ce texte à travers un spectacle. Et puis aussi de se poser la question de cet anti-héros : qu’aurait-on fait à sa place ? Car le système nazi était très manipulateur et se servait de la faiblesse des hommes, de ses peurs. Le but n’est pas de juger cet homme mais aussi de raconter le processus mis en place pour faire que l’humain soit humilié, dévalorisé et en arrive à n’être plus rien et à le penser.
Je fais du théâtre et je dois rendre compte de la réalité d’une société dont je fais partie. Je joue un texte, je ne cède à aucune pression et je me suis posé la question de la représentation de ce texte, la portée de ce geste afin d’amener les gens dans une salle. Je crois que l’art peut changer quelqu’un, amener à faire réfléchir. Mais le théâtre n’est pas un message. L’art du théâtre est de montrer et de considérer que les gens, après cela, pensent ce qu’ils veulent.
La transmission est importante, nécessaire mais pas suffisante et l’on se rend compte que cette société peut faire glisser des individus dans des actions inimaginables.
Notre société est encore capable, aujourd’hui, de produire de tels événements et, par là, des Calek et c’est pour cela que j’ai jugé important de jouer cela en ce moment. C’est du théâtre bien sûr mais qui raconte des événements concrets. Quelque chose est en train de monter et le devoir du théâtre est d’en rendre compte, de faire entendre cette histoire comme si elle était au présent.
Doucement, sans s’en rendre compte, on laisse passer trop de choses et ce spectacle est peut-être une petite pierre pour que l’on se rende compte que ça peut exister encore de nos jours.
Plus nous serons vigilants plus nous pourrons enrayer des processus qui amènent à de telles catastrophes. »
JB