Six-Fours – Six n’étoiles
Philippe Barassat : pas si « indésirable » que ça !

A

Venu présenter son dernier film « Indésirables » au Six n’étoiles de Six-Fours, Philippe Barassat nous a accordé un moment d’entretien pour parler d’un sujet délicat, rarement abordé au cinéma : le sexe et le handicap.
Aldo, est un jeune infirmier qui, à l’aube de se marier, se retrouve sans emploi et sans argent. Il va trouver un boulot pour le moins surprenant puisqu’il va se prostituer mais avec des personnes handicapées. Cela donne un film en noir et blanc dont les deux sujets restent encore, sinon tabous, du moins difficiles à aborder : la prostitution mâle et la sexualité chez les handicapés qui est une réalité.

Philippe, comment est venu cette idée de film ?
C’est un scénario que j’ai co-écrit avec Frédéric Lecoq qui fut un de mes étudiants en classe de scénario et qui est devenu un ami. Je cherchais un sujet qui ne soit pas trop cher à réaliser dans un unique décor. Etant lui-même handicapé, l’idée est venue de tourner autour du désir, des tourments du désir chez ces personnes-là. La sexualité étant un sujet qui m’a toujours passionné, nous sommes partis sur cette idée.
Le sujet est délicat, dérangeant même… Y as-tu pensé ?
Je ne pense pas à tout cela lorsque je fais un film. J’essaie de rester moi-même. C’est vrai que l’on m’a déjà dit que j’étais souvent sur le fil du rasoir  alors que j’ai l’impression d’être dans une grande avenue… Ma sensibilité est claire et il me semble que ce que j’ai à raconter est évident. Je n’ai pas l’impression d’être obscène, je ne me pose pas ce genre de questions.
Tu as mêlé acteurs et vrais handicapés…
Oui, c’est une chose à laquelle je tenais. Je ne me pose jamais le problème du handicap et j’ai déjà tourné avec des handicapés si le rôle s’y prête. Evidemment je ne le ferais pas si je tournais un film sur un coureur de fond mais là, le sujet était évident et prendre de « vrais » acteurs pour jouer des handicapés ne me semblait pas utile dans la mesure où il y a des comédiens handicapés qui sont des humains comme les autres avec un handicap. Et puis, prendre Marion Cotillard et lui couper une jambe, ça me coûterait très cher tout comme les effets spéciaux !
Le  handicap donne à ces personnes une manière de se tenir, d’évoluer, une étrangeté. Je me suis mis au rythme des handicapés, ce qui donne un film étrange et musical. Et j’aime cette musique.

B C
D E

Est-ce difficile de faire tourner des scènes de sexe à des handicapés ?
Je crois que c’est difficile tout court de tourner ce genre de scène pour qui que ce soit. Pour moi qui suis très pudique, pour les comédiens qui ont toujours une gène de se mettre nus devant tout le monde.
Eux n’ont pas eu ce problème car ceux qui ont accepté de jouer savaient où ils allaient et ce qu’ils devaient faire. Lorsqu’ils ont vu le film ils étaient très heureux et reconnaissants, d’abord qu’on parle d’eux et de leurs problèmes et puis parce que c’était une vraie reconnaissance et que le regard familial, après ce film, a changé. Ca les a sortis de leur solitude.
Le film est en noir et blanc
J’ai tourné des films avec beaucoup de couleurs, la nouvelle vague nous a habitués à tourner à l’extérieur car c’était moins cher à l’époque. Aujourd’hui c’est le contraire avec ce droit à l’image que je ne comprends pas et qui coûte très cher. La mairie de Malakoff nous a prêté un appartement et je ne pouvais pas m’amuser à le peindre. Il est donc resté tel quel et j’ai choisi de tourner le film en noir et blanc. J’ai plus joué sur le cadrage et les mouvements de caméra et je n’avais pas à me préoccuper de problèmes de couleurs
Jérémy Elkaïm est, lui, un véritable comédien avec qui tu as l’habitude de travailler
Il tourne dans presque tous mes films. C’est un beau et bon comédien qui est devenu mon ami, mon petit frère au fil des tournages. Je trouve qu’il a la trempe d’un Yves Montand, à la fois plein de charme et de mauvaise foi. Et ce rôle lui colle parfaitement. Je pensais prendre un black au départ et au fur et à mesure que j’écrivais le rôle, je me disais que c’était lui.
Et ça a été lui ! Au départ il a hésité car je lui ai dit d’agir tout naturellement, comme dans la vie. lui, voulait plus de précisions et j’ai donc bâti le personnage autour de lui.

F G

Tu écris et tournes souvent des films très particuliers, pas vraiment grand public…
C’est vrai mais j’ai quand même écrit et tourné une comédie musicale « Lisa et le pilote d’avion » avec Arielle Dombasle et Eric Cantona…
Qui n’a jamais vu le jour d’ailleurs !
Effectivement puisque Cantona a détruit ce film dont ses frères étaient producteurs et cela, sans qu’on sache pourquoi et mettant 150 personnes en difficulté. Il a été condamné trois fois mais hélas, il s’est permis de tout détruire et donc, le film n’existera jamais.
As-tu l’impression d’être un réalisateur marginal ?
Je ne me pose pas la question. Je fais les films que je ressens sur des sujets qui me tiennent à cœur. C’est vrai que ce ne sont pas des films dits « populaires » et aujourd’hui, si tu ne fais pas ce genre de films, tu as des difficultés pour trouver de l’argent. Tout part de la télévision et si tu n’as pas une chaîne derrière toi, les gens sont peureux et tu n’as pas d’aide, pas de subventions, pas de partenaires. Et la télé étant faite pour être regardée par toute la famille pendant qu’elle mange, il est vrai que mes sujets, souvent, dérangent et ne peuvent passer à 20h30.
Mais je ne fais pas des films pour l’argent : je les fais par amour… Alors…

H

Propos recueillis pas Jacques Brachet