« LE DERNIER LOUP » de Jean-Jacques ANNAUD
Une fresque somptueuse

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Un film de Jean-Jacques Annaud est toujours un événement, de « La guerre du feu » au « Nom de la rose », de « La victoire en chantant » en passant par « L’amant », de « L’ours » en passant par « Sept ans au Tibet »…
Tous ont eu un énorme succès, césarisés, oscarisés, et, hormis les animaux dont il s’est un peu fait une spécialité, il a tourné avec les plus grandes stars, de Brad Pitt à Sean Connery en passant par Antonio Banderas, Jude Law…
Outre son immense talent de réalisateur, Jean-Jacques Annaud est un homme délicieux de gentillesse, de passion de son métier, d’humanité. Simple, jovial, volubile, à chaque rencontre on est sous le charme de cet homme qui nous offre des films originaux et à chaque fois, il sait nous surprendre, nous séduire, nous émouvoir avec des sujets pas toujours faciles mais dont il fait une oeuvre universelle.
J’avais gardé un magnifique souvenir de notre dernière rencontre et, nous nous retrouvons au Pathé Grand Ciel de la Garde avec le même plaisir, pour la présentation de son nouveau film « Le dernier loup » qui sortira le 16 février. Il était accompagné de son producteur, et néanmoins complice et ami de 28 ans, Xavier Castano.

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 Le film
Nous sommes en 1969. Deux jeunes étudiants de Pékin, Chen et Yang sont envoyés en Mongolie pour instruire une tribu de bergers nomades. Ils se retrouvent dans des lieux désertiques, au milieu de nulle part. Au milieu d’une communauté qui vit une vie précaire avec à la fois la vénération et la peur du loup qui vient tuer leurs troupeaux. Chen est fasciné par les loups et décide – alors qu’il faut tuer les bébés – d’en sauver un, allant à l’encontre de toutes les règles de la tribu.
Il fera ainsi l’apprentissage de la vie en communauté, sur la liberté, la responsabilité. Un parcours initiatique dont il ne sortira pas indemne.
C’est un film d’une grande simplicité tourné dans un écrin somptueux et sauvage, où la vie des hommes et suspendue à la vie des animaux et de la nature environnante. fait d’un questionnement sur les loups qui tuent, les loups qu’on tue, pour chacun le leit motiv étant la survie de l’autre.
Le comédien principal de ce film nous est inconnu : Il se nomme Shaofeng Feng, magnifique et charismatique acteur chargé d’une belle émotion, d’une grande sensibilité et d’un regard  d’une incroyable expression.
Tout est beau dans ce film, de l’histoire (tirée d’un roman de Jiang Rong « Le totem du loup » qui, en Chine, est aussi mythique et plus vendu que le livre rouge de Mao), aux personnages, en passant par les paysages grandioses et toujours, dans les films d’Annaud, cette constante de filiation de don de soi pour les autres, de compréhension, de partage, d’amour des autres et de la terre, et surtout de cette beauté mise en danger par l’Homme.
On trouve tout cela dans ce film, sans parler des scènes époustouflantes tournées avec des loups sauvages.

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Rencontre

A ce propos, lorsqu’on lui en parle et qu’on lui demande quelles sont les difficultés de tourner avec des animaux, il nous dit en riant :
« Les même qu’avec des comédiens car ils sont aussi susceptibles, inattendus, capricieux mais l’avantage est qu’ils n’ont pas d’agent qui vient toutes les cinq minutes nous exprimer les états d’âme et les desiderata de leur vedette ! »

Comment êtes-vous venu à ce projet en Chine justement où, depuis votre film « Sept ans au Tibet », vous n’étiez pas vraiment en odeur de sainteté ?
Je connaissais ce roman et c’est vrai que j’avais très envie de m’y attaquer. Mais, curieusement, ce sont les Chinois qui sont eux-mêmes venus me chercher. Ils ont un jour déboulé dans mon bureau en me disant : « On a besoin de vous ». Ils voulaient que j’adapte ce roman et que je le réalise. J’ai été très surpris, d’autant que, si certains de mes films sont connus là-bas, « L’amant », par exemple, y est toujours interdit ! Mais j’ai été reçu avec les honneurs par le maire de Pékin et je suis parti aussitôt pour les terres de Mongolie, avec Xavier et l’auteur du livre. J’ai alors découvert des paysages incroyablement vierges alors qu’on est sur les terres de la république de Chine. Nous y sommes allés plusieurs fois, nous tapant des milliers d’heures de 4X4. Nous avons dû bien réfléchir aux dates de tournage car les loups naissent en avril et que le film devait évoluer avec le louveteau que nous avions choisi.
En fait, en tout et pour tout, nous avons vécu près de quatre ans en Chine entre la préparation, les repérages et les 160 jours de tournage répartis sur 15 mois.
Comment avez-vous travaillé avec tous ces animaux ?
Tout d’abord nous avions un dresseur : Andrew Simpson, avec qui nous étions très proches, ce qui était indispensable car ce sont des animaux très inattendus, très fragiles et que la psychologie adaptée était importante. Nous les avons traités comme des vedettes : ils avaient leurs lieux de repos, leurs bases, la base faisant la superficie de deux terrains de foot ! Il faut savoir qu’avec les animaux, on ne peut pas faire deux prises. Si la première n’est pas bonne, c’est fichu car, surtout les loups, ce sont des animaux imprévisibles, au fort caractère, à qui on ne fait pas refaire deux fois la même chose. Ce sont des instinctifs. Mais lorsque je travaille avec des animaux, je les aime, je les respecte autant qu’une star et s’ils le sentent, ils sont naturels. J’ai même fait ami-ami avec le chef de troupe qui venait sauter dans mes bras chaque matin, condition sine qua non pour qu’il ait envie de travailler !
Autre problème : comment dirige-ton une troupe essentiellement chinoise ?
Il est vrai que nous étions 9 Français pour 480 Chinois ! D’abord, au niveau de la langue, l’on a des interprètes et surtout – et ça, pour moi, c’est primordial – je suis toujours très proche de mes équipes. J’ai travaillé avec des gens de tous pays et je me considère avant tout au service de mon film et de mon équipe. Le tournage doit être un partage. Nous avons travaillé dans le respect et la confiance. Les Chinois sont des gens très attachants et ils avaient sans cesse de petites attentions à notre égard. Je garde un souvenir très ému de ce tournage car il y a eu entre nous une fusion très puissante. Je n’ai jamais rencontré ça sur aucun tournage, dans aucun autre pays.

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Le « petit loup » du départ a grandi. En avez-vous utilisé plusieurs au fur et à mesure que le tournage avançait.
Non, c’est le même d’un bout à l’autre du film car un loup est difficilement apprivoisable. Il s’est donc attaché à nous comme nous nous sommes attachés à lui. Et ce qui est bizarre c’est qu’au fur et à mesure qu’il grandissait, il s’éclaircissait jusqu’à devenir presque blanc, alors que les autres loups gardaient leur couleur foncée.
Avez-vous eu des problèmes avec le froid ?
Quelques-uns car nous avons tourné jusqu’à -30/40° !… Par moments je me disais qu’on était un peu cinglé ! Mais nous étions très protégés même si Xavier y a laissé un pouce.
Explication de Xavier : Mon zoom était bloqué par le froid et avec les gants, je ne pouvais pas faire la mise au point. J’ai enlevé un gant mais le temps que je fasse mon travail, je n’ai plus senti mon pouce. Un an et demi après, mon pouce est toujours insensible. Et un technicien a eu la même chose avec un orteil ! Ce sont les risque du métier ! Le matériel, lui, était protégé afin qu’il n’y ait pas de choc thermique entre le chaud et le froid.
Par contre – reprend Jean-Jacques – nous avons eu d’énormes problèmes avec des essaims de moustiques, des nuées de milliers de moustiques qui nous ont obligés de travailler avec les mêmes costumes qu’utilisent les éleveurs d’abeilles pour récupérer le miel.
Votre plus grosse difficulté ?
La scène de l’attaque des chevaux avec la nuit, le froid, la neige. Nous avons mis un mois et demi pour la tourner.
Le cinéma est aujourd’hui devenu une industrie importante en Chine ?
Oui, en six ans, le nombre de salles est passé de 6.000 à 28.000 et ce sont des salles magnifiques, gigantesques avec une technique incroyablement en pointe. Ce qui est fou c’est que dans certaines villes, il n’y a pas de cinéma. Tous les Chinois ont des vidéos, des Iphones mais certains ne sont jamais allés au cinéma. Aujourd’hui ils le découvrent et la production de films est l’une des plus importantes du monde.

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Comment faisiez-vous pour vous loger ?
Là encore, c’était très contrasté. Nous passions d’une petite ville qui nous accueillait dans des hôtels super luxueux alors que quelquefois, nous avons eut des lieux précaires dans ee plus grandes villes. Là bas, vous poussez la porte d’un magasin et vous vous retrouvez dans une galerie marchande française d’un luxe inouï comme on n’en trouve pas en France.
C’est aussi ça la Chine
Votre plus beau souvenir ?
Le tournage par lui-même avec cette superbe équipe qui nous a laissé une liberté stupéfiante, qui était totalement en osmose avec nous, sachant que ce livre leur tenait tellement à cœur qu’ils voulaient que le film soit une réussite. Nous avons eu énormément de difficultés mais nous avons formé une telle famille que ça va rester l’un de mes plus beaux souvenirs de tournage dont j’ai du mal à m’éloigner. Je garde un amour formidable pour la Chine, pour ses artistes, ses comédiens. J’aime dire qu’il y a eu une véritable affection, une filiation.
Çà restera pour moi une tranche de vie inoubliable.

Propos recueillis par Jacques Brachet
Photos avec Xavier Castano (à gauche) et Alain Poujol, directeur du Pathé Grand Ciel (Photos Monique Scaletta)

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Jean-Jacques Annaud, varois de coeur
En aparté, j’ai fait découvrir à Jean-Jaques Annaud des photos que j’avais prises lors d’une ballade entre la place de l Liberté et du port de Toulon. Il rit, heureux de voir ces photos.
« J’avais déjà une belle tignasse, même si elle était alors moins blanche !
J’aime déjà la France et surtout la province car j’y rencontre des gens merveilleux, un public qui m’aime et ça fait chaud au cœur. Toulon Hyères, ça fait d’autant plus partie de mes escales que j’y viens souventparce que j’y ai de la famille, entre autre ma belle-mère ! J’adore le plaisir de vivre qu’ont les Varois et franchement, lorsqu’on descend d’avion après un voyage gris et pluvieux, y retrouver ce soleil, cette douceur… on n’a plus envie d’en partir !