Thérèse Coquerelle , ouvrière à 14 ans comme bobineuse dans l’usine où travaille son père, a toujours eu la chanson dans la voix, dans le sang, dans le cœur. En parallèle de ce métier, elle tente tous les concours de chant qui se présentent dans sa région lilloise, jusqu’à ce que Bruno Coquatrix la remarque en 1960 lors d’un concours à l’Olympia. Très vite elle va enregistrer dont une chanson qui vient de gagner l’Eurovision 1961, grâce à Jean-Claude Pascal : « Nous les amoureux ». Et c’est elle qui, un an plus tard, gagne l’Eurovision avec « Un premier amour ».
De là, elle ne cessera de chanter dans le monde entier, même si, les « yéyé » auraient pu la déstabiliser. Pourtant elle va bousculer les barrières et se faire une place entre Sheila, Sylvie Vartan, Johnny Hallyday, Richard Anthony et les autres.
Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que, dans les années 2000, on la retrouve au milieu de certains de ces artistes dans les tournées « Âge Tendre ».
Quant à moi, c’est dans les années 60 que je la rencontre pour la première fois. En 65 exactement, lors de la tournée que je ferai en tant que journaliste, où elle partage la vedette avec Adamo. Je la retrouverai plus tard sur les tournées Âge tendre où des liens d’amitié se noueront entre elle, Gérard Meys, son mari et producteur, producteur également d’un certain Jean Ferrat, et moi.
En 2010, je les inviterai à la Seyne-sur-Mer pour un hommage à Ferrat, chose qu’elle n’avait alors jamais faite. Sur le thème « Les écrivains et la chanson », ils seront entourés par mon autre amie Alice Dona, venue rendre hommage à Gilbert Bécaud, Claude Lemesle avec qui les deux chanteuses ont chanté des chansons de cet auteur-compositeur, orchestrées par Jean-Claude Petit.
Ce furent des journées de ferveur, d’amour, d’amitié et aussi de beaucoup de rires.
Au départ, Gérard m’avait demandé à ce qu’elle ne chante pas. Mais Isabelle, ayant tout prévu, avait apporté une bande sur laquelle elle chanta et nous offrit en prime un poème « Sur le boulevard Aragon ».
C’est grâce à Gérard que je pus rencontrer Jean Ferrat pour la sortie de son disque « Dans la jungle et dans le zoo », qui nous reçut chez lui à Antraigues où j’ai moi aussi ma maison de famille à quatre kilomètres de chez lui.
Mais, revenons à Isabelle avec qui j’avais fait une longue interview durant les tournées « Âge Tendre », surpris de la retrouver entourée de ces artistes dits « Yéyé », loin de ce qu’elle défendait dans la chanson française.
Elle se mit à rire : « Mais figure-toi qu’à cette époque, je gagnais l’Eurovision en 62, je rencontrais Ferrat » qui m’offrit « Deux enfants au soleil » puis plus tard « C’est beau la vie » ! En 63 je faisais l’Olympia avec Jacques Brel, en 65 je partais en tournée avec Adamo et j’ai même raté un film : « Les parapluies de Cherbourg » que me proposait Jacques Demy, à cause de mon accident. Et j’ai toujours eu quelque chose qui me bouleverse encore : l’affection et la fidélité du public ».
On a pu le voir lors de ces tournées où elle arrivait sur scène après que Jean Ferrat lui-même, qui avait enregistré un petit clip, la présentait. Et après son tour, sept mille personnes l’acclamaient debout.
Isabelle, deux rencontres ont compté plus que les autres : Brel et Ferrat…
C’est Brel qui m’a choisie alors que je ne le connaissais pas. Il devait partir en tournée avec Michèle Arnaud et il a dit au producteur : « C’est la petite que je veux ». Je croyais rêver. Grâce à cette rencontre, nous sommes devenus amis, je l’ai beaucoup chanté, je lui ai même consacré un disque. Autre jolie histoire : Lorsque j’ai eu mon accident, j’étais explosée de partout, il est venu me voir à l’hôpital et a dit à mon entourage : « Je lui donne « La Fanette »
Puis vient la rencontre avec Jean Ferrat, que tu as toujours appelé Tonton !
Gérard Meys est un jour venu me voir pour me proposer une chanson de Ferrat. C’était « Deux enfants au soleil » qu’il chantait lui-même. J’allais faire l’Eurovision et je lui ai dit : « On en parle après ». J’ai gagné l’Eurovision, on en a parlé, j’ai enregistré « Deux enfants au soleil » sur le même album que « Un premier amour »… Et elle est restée 27 semaines en tête des hitparades ! De ce jour, une amitié indéfectible est née. Tonton a écrit de magnifiques choses sur moi qui m’ont fait pleurer de joie. Il savait toujours choisir le mot qu’il fallait en toutes circonstances, lui qui était si pudique.
Parle-moi de ta première rencontre.
Lors de l’enregistrement de « Deux enfants au soleil », il passe dans le studio, me fait un petit signe mais, aussi timides l’un que l’autre, ça en reste là. Je pars en tournée avec Brel, j’ai mon accident et Jean n’ose pas venir me voir. Lorsque je recommence à marcher, je me rends compte à quel point c’est beau la vie. Ça donne l’idée à Michèle Senlis, qui avait déjà signe « Deux enfants au soleil » de faire une chanson et qui me propose la chanson « C’est beau la vie » en me faisant écouter la version de Jean à la guitare. Dans la foulée nous l’avons enregistrée tous les deux ainsi que « Nuit et brouillard », chanson polémique qui fut interdite d’antenne, surtout venant d’une femme qui venait de gagner l’Eurovision ! Mais on connait le succès et l’impact qu’a pu avoir cette chanson par la suite et de là est née notre amitié. J’ai enregistré quelque 80 chansons signées Ferrat.
Dans la foulée, tu rencontres Aragon…
C’était après mon accident. Il m’avait invité à son anniversaire. J’étais très émue et honorée et lors de cette rencontre, il me propose de lire un de ses poèmes « Aimer à perdre la raison ». De ce jour des liens se sont créée et je ne me suis pas privée de le chanter grâce à Tonton. Je te précise que j’ai lu toute son œuvre, dont son dernier poème « L’épilogue ». C’est tellement fort et déchirant que Jean a mis trois ans pour le mettre en musique. « J’ai l’impression de lire son testament, plus jamais de ne mettrai l’un de ses poèmes en musique », m’avait-il dit.
Isabelle, difficile de ne pas parler de son Ardèche, qui est la mienne et qui est devenue la tienne.
C’est le directeur de la Maison de la Culture de Nice, Gabriel Monet, qui parle à Jean d’Antraigues où il a de la famille. Il cherchait un coin tranquille pour se reposer de ses quelque 250 galas, et surtout pas sur la Côte d’Azur. Gabriel l’y emmène et c’est le coup de foudre. Il appelle alors Gérard Meys et lui dit : « Il y a deux maisons à vendre, la belle est pour moi, l’autre est pour toi ! » Et c’est ainsi que nous nous sommes retrouvés là-bas. Nous avions envie de le rejoindre, d’habiter pas loin de lui… mais assez loin au cas où nous nous serions fâchés ! Nous sommes à notre tour tombés amoureux de cette belle région.
Et il s’est totalement investi dans celle-ci.
Oui et ce qui est beau, c’est qu’il ne s’est pas considéré à Antraigues comme une vedette. D’ailleurs un jour, un habitant m’a dit : « Ce n’est pas un artiste mais un homme qui chante ». Il a été heureux dans ce village… »
Isabelle m’avoue qu’aujourd’hui elle a du mal à y retourner sans pouvoir y retrouver Tonton.
Elle y a fait quelques incursions pour lui rendre hommage lors de sa disparition où elle a chanté au milieu de milliers d’admirateurs qui pleuraient. Puis elle y venait fêter ses 86 ans
Elle qui fut une gymnaste avant son terrible accident puis qui en eut un second en pratiquant le trapèze, s’est payé pour la seconde fois un saut en parachute !
« Allez, allez la vie », elle est si belle et en même temps « on ne voit pas le temps passer » !
Je t’embrasse Isabelle.
Jacques Brachet
Photos Christian Servandier