Notes de lecture

David Lelait-Helo, Line Renaud, Dominique Besnehard, Michèle Torr

Line RENAUD : Merci la vie (Ed Robert Laffont) – Avec l’aide David Lelait-Helo.
Elle approche des cent ans, quatre-vingts ans de carrière et si aujourd’hui je ne peux plus dire « Bon pied, bon œil » comme je le lui disais il y a encore à peine 10 ans, (Entretemps elle a eu un AVC) mon amie Line a toujours une énergie, une pêche, un optimisme incroyables.
Mais bon, l’âge est là, elle le sait, elle sait aussi qu’elle n’est pas éternelle, même si elle le reste et restera dans nos cœurs.
Nous nous connaissons depuis des décennies comme avec David Lelait-Helo qui est un ami commun et qui l’a aidée à écrire ce livre.
Une bio ? Que non pas mais une lettre, une très longue lettre à tous ses fans qui, dit-elle, sera la dernière. Et elle l’écrit sans nostalgie, sans regrets, sa vie a été belle et chaque jour pour elle est un nouveau jour.
« Chaque anniversaire – écrit-elle – n’est pas du temps en moins mais du bonheur en plus ».
Line est une femme pleine d’amour, de tendresse, de fidélité. Chaque début d’année je reçois ses vœux, écrits de sa main,  accompagnée souvent de la photo d’un de ses chiens. Pas de mail mais un mot et ça c’est tout Line.
Bien entendu, dans ce livre, elle évoque des souvenirs, comme dirait Aznavour « Mes amis, mes amours, mes emmerdes » car, comme tout le monde, elle en a eu. Mais elle nous parle aussi du sida dont elle est une militante acharnée, de cette fondation Line Renaud, de cet institut pour la recherche dédiée à la science qui, à sa disparition, disposera de sa maison. Elle nous parle de ses deux filles de cœur, Claude Chirac et Muriel Robin. Elle nous offre une lettre à Barbara, avec qui elle a combattu e sida, lettre bouleversante qu’elle n’a pas eu le temps de lui envoyer car elle a disparu avant que cette lettre ne parte.
La grosse tête ? Elle ne sait pas ce que c’est et si sa carrière est ce qu’elle est, c’est, dit-elle encore grâce au talent mais aussi à la chance, la capacité, la santé, le doute aussi.
Elle a toujours été une femme libre, celle de toutes les libertés et cette lettre est un livre plein d’optimisme cat aujourd’hui, elle se lève tous les matins avec un projet dans la tête, quelque chose qu’elle envie de faire avant de partir.
Elle parle aussi du droit de mourir dans la dignité qu’elle défend de toutes ses forces.
Ce livre est un hymne à la vie, qu’on lui souhaite encore belle et longue.
Jacques Brachet

Nicolas MATHIEU : Le ciel ouvert (Ed Actes Sud – 123 pages)
Après le succès bien mérité de « Leurs enfants après eux »  couronné par le prix Goncourt 2021, et « Connemara », Nicolas  Mathieu offre au lecteur un livre très intime ponctué par les peintures  tellement joyeuses et colorées d’Aline Zolco. Un livre sur l’amour, l’amour intense, celui qui dure, celui qui laisse de profondes traces derrière lui, celui qui a été plein d’heureuses surprises et de douceur.
Mais c’est aussi l’amour des parents, des hommes et des femmes qui ont fortement imprimé la vie et l’esprit de leurs enfants. L’amour  s’exprime si différemment selon les êtres, il lui faut parfois toute une vie pour se déclarer, alors « vivons doucement en attendant le prochain anniversaire ».
Et l’amour, c’est aussi les enfants « Le trot d’un enfant à quatre pattes qui se préparent à vivre quand nous ne serons plus là »
Oui, ce livre rayonne du bonheur de vivre, la vie est un cadeau immense, ne nous précipitons pas, goûtons la, profitons de l’instant, des murmures, de la beauté du ciel qui s’il s’assombrit ne pourra que retrouver sa pureté.
Peter SWANSON : Neuf vies (Ed Gallmeister – 400 pages) Traduit de l’américain par Christophe Cuq
Avis aux amateurs des romans d’Agatha Christie, ce livre est pour vous. Sans copier l’ouvrage de la célèbre romancière « Dix petits nègres » devenu « Ils étaient dix », l’auteur utilise le même type de suspense. Neuf personnes habitant dans divers états de Etats-Unis reçoivent dans une enveloppe anonyme une liste imprimée de neuf noms dans laquelle figure le leur.
Que veut bien dire un tel envoi à des personnes d’âge et de résidence différents et sans lien apparent ? Erreur, hasard, blague ? Certainement pas puisque ces personnes vont être tuées les unes après les autres. Par une progression originale, dans un style agréable, l’auteur nous amène à l’explication que l’on peut subodorer dans les derniers chapitres mais avec un dénouement inattendu en fin de livre.
Un bon roman policier classique qui se lit d’une traite.

Russel BANKS : Le royaume enchanté (Ed Actes Sud – 589 pages)
,L’auteur qui dans ses livres, a si souvent adapté le point de vue des « laissés-pour-compte » en Amérique, s’attaque cette fois au mythe du self-made-man au travers du récit nostalgique de confessions enregistrées sous forme de bandes magnétiques qu’il reçoit par hasard.
Cet homme c’est Harley Mann. Il a connu la misère avant de faire fortune dans la spéculation immobilière. Ce n’est ni plus ni moins que le fondateur du site d’Orlando, l’actuel « Disneyland ». Il va nous faire  entendre la confession de ce personnage évoquant son parcours au début du XXème siècle.
Son parcours c’est celui d’une famille dont le père vient de mourir, qui rejoint une secte religieuse, les Quakers, puritains, chastes, travailleurs acharnés,  vivant  de façon très frustre. Au crépuscule de sa vie où il connaitra les pires situations, il nous fera vibrer au travers de ses errances et des grands drames qu’il a traversés, en devenant un personnage extraordinaire.
Ce Roman touffu, plein d’Histoire, de grandes histoires réalistes et de sentiments est une belle fin pour ce conteur prolixe.
Michael COHEN : Attraction du désordre (Ed Anne Carrière – 154 pages)
Tout va très vite dans ce roman de Michael Cohen, surtout les séparations !
Un roman qui pourrait être le scenario d’un film : trois personnages, Clara, Simon et Paul. Tous les trois se seront aimés passionnément et quittés brutalement, une porte qui se ferme mais très vite une autre s’ouvrira. C’est le monde d’aujourd’hui, surtout celui de la nuit dans les boîtes où l’alcool accompagne celui qui vient d’être quitté et cherche son rival.
Clara a été abandonnée par Simon, elle refait sa vie avec Paul qui veut savoir pourquoi Clara a quitté Simon, chassé-croisé entre ces trois personnages, des êtres qui se rencontrent mais ne s’expliquent jamais.
Le silence, l’absence d’explication, sont la cause de malentendus qui entraînent les séparations. Quel dommage ! 
L’auteur qui est également acteur et réalisateur n’a plus qu’à trouver les acteurs et son film est déjà sur les écrans. Souhaitons-lui bonne chance !

Michel BUSSI : Mon cœur a déménagé (Ed Presses de la Cité 416 pages)
Ophélie, fillette de sept ans, Folette, a assisté au meurtre de sa mère poursuivie par son père alcoolique et drogué et qui a chu du haut de la passerelle alors qu’elle s’enfuyait du domicile familial.
Drame de la misère et de l’addiction dans une famille suivie par un assistant social qui n’a pas su entourer les protagonistes… Le père est en prison, Folette est placée en foyer mais, refuse de voir son père et va s’acharner à faire surgir la vérité. Sa vérité.
Collégienne rebelle, adulte à la double personnalité, elle mènera enquête sur enquête afin de trouver le vrai coupable et assouvir sa vengeance. Car c’est l’obsession de la vengeance qui animera le cœur de la jeune femme qui va rebondir de fausses pistes en fausses pistes, qui tiendront lecteur en haleine grâce au suspense effarant mais crédible créé par le talent de l’auteur.
Toujours accessible, surprenant, clair dans ses propos, écrit en chapitres courts et enlevés le lecteur est tenu sous le charme et la surprise du  dénouement.
Hemley BOUM : Le rêve du pêcheur (Ed Gallimard – 349 pages )
Le nouveau livre de cette romancière camerounaise vivant à Paris, mène en parallèle la vie d’un pécheur et celle de son petit-fils. Le pécheur c’est Zacharias qui, tous les jours, part sur sa pirogue pécher dans les eaux du golfe de Guinée au Cameroun, les poissons qui nourriront sa femme et ses deux filles et qui assureront leur bien-être.
Mais l’arrivée d’une société forestière et l’industrialisation de la pêche avec les chalutiers vont bouleverser l’équilibre de cet homme simple. Le petit fils, c’est Zach qu,i à 18 ans, décide de quitter Douala où il vit avec sa mère, prostituée et alcoolique, pour vivre à Paris en coupant les ponts avec son pays d’origine. Mais un jour, alors qu’il est devenu psychologue, qu’il est marié et père de deux filles, il aura le besoin impérieux de revenir et de se confronter au passé et à ceux qu’il a laissés.
On est touché par cette saga familiale présentée dans un récit qui décrit en miroir la vie de ces deux personnages, relatée dans une belle écriture.
On s’interroge sur l’exil et sur le besoin vital de racines.

Loretta DENARO-DOMINICI : Sans lui (Ed Michel Lafon – 202 pages)
Loretta, née en 1979, était la compagne de l’ancien rugbyman Christophe Dominici.
Ce livre est un témoignage : « En écrivant ces lignes, j’ai voulu raconter notre amour et rendre son honneur à l’homme droi,t dont l’honnêteté et la bienveillance ont été bafouées ».
Loretta raconte sa rencontre en 2007 et sa vie de famille auprès de Christophe Dominici, homme au tempérament blagueur, spontané, amoureux, fidèle en amitié mais à l’affut de faire du business après sa grande victoire de rugby qui lui a valu une notoriété sans égale.
Elle décrit l’emprise du couple qui a abusé de son mari lors de son projet de racheter le club de rugby de Béziers. Désenchantement, mal-être, voire dépression s’en suivent pour Dominici puis son décès brutal et incompris le 24 novembre 2020 (suicide ou accident ?).
Son épouse s’exprime aussi sur les conséquences de ce départ prématuré et inexpliqué, sur leurs filles Mya et Kiara et sur sa propre difficulté à faire son deuil : « J’attends, brisée, le moment où je retrouverai ma joie qui s’est envolée le jour où… »
Claire DEYA : Un monde à refaire (Ed de l’Observatoire – 414 pages)
Claire Deya signe son premier roman et c’est une réussite, et quand vous réalisez que l’auteure y a glissé de nombreux souvenirs personnels, une vérité historique trop méconnue, j’espère que vous serez incité à lire ce très beau roman.
Les allemands ont truffé de mines le littoral méditerranéen, surtout autour de Saint Tropez et d’Hyères, avant de quitter et libérer définitivement le sud de la France en 1945. Mais qui dit mine, dit danger et déminage. La France va utiliser des prisonniers allemands volontaires qui, ainsic réduiront leur peine. Cette entreprise est un monde d’hommes qui ont vécu la guerre des deux côtés, soit envahisseurs soit envahis.
Claire Deyat fait vivre ces hommes qui ont tous leurs secrets, ils ont appris à se taire et la confiance n’existe plus spontanément. Plusieurs personnages  tissent  des liens très forts entre eux, soit à travers leur expérience dans les réseaux de résistance, soit  des secrets bien gardés, soit des histoires d’amour. Il y a surtout ce travail extrêmement dangereux devant ces monstres d’acier qui doivent être balayés doucement  « avec  des plumes au bout des doigts ».
« Tes yeux, ce sont tes mains et la pulpe de tes doigts » sera la première leçon ! Puis, ne jamais oublier que la mine peut aussi être piégée ! Ce travail d’une patience infinie réunit français et allemands, et au contact  « »des mines, des risques, du sacrifice, de l’abnégation, de la mort, la fraternité se frayait un étroit chemin, l’idée d’un avenir commun aux pays de l’Europe ».
L’auteure s’est inspirée de son histoire familiale, un grand-père médecin prisonnier dans un oflag à Cassel, un grand-oncle cinq fois évadé et repris, de l’histoire de Saskia qui révèlera un soir la vérité sur sa famille décimée dans les camps et son retour dans une France qui ne l’attendait pas vraiment.
Un livre passionnant, émouvant qui serait un excellent scenario de film.

Laure Manel : Cinq cœurs en sursis (Ed Michel Lafon – 475 pages)
Tout d’abord, le tableau d’une famille ordinaire plutôt unie, aimante : Catherine est une mère et une épouse modèle en apparence, jusqu’au moment où la police fait irruption au domicile et la met en garde à vue pour meurtre d’une femme : Beatrice Lancier. Débutent alors, l’attente, les doutes, les questionnements pour ses proches : Josette la mère, Nathalie la sœur, Anais treize ans et Florian six ans, les deux enfants, et enfin, Marc le mari.
Ce sont ces cinq personnages que nous suivons tout au long du roman.
Le livre est composé de chapitres courts concernant chaque membre de la famille, de 2001 à 2023 et notamment le journal d’Anais. L’auteur livre les sentiments engendrés par cette incarcération. Laure Manel montre la souffrance et l’évolution des sentiments au fil de l’affaire et centre son œuvre, plus particulièrement, sur les conséquences de l’incarcération, sur l’entourage plutôt que sur la détenue.
,Ce roman nous amène, sur fond d’enquête au cœur d’un drame familial sur une longue période. Il ne laisse pas indifférent et nous captive au fil des pages. Laure Manel nous fait partager ainsi la vie quotidienne, les répercussions, les réactions, les ressentis des cinq personnages aux cheminements émotionnels et affectifs différents.
L’analyse des liens entretenus avec la détenue et des étapes psychologiques après le choc de la révélation, est décrite avec précision, délicatesse et finesse et nous suscite des réflexions : Comment réagirions nous si quelqu’un de proche était accusé d’un fait aussi grave ? Quelles seraient nos réactions ? Connaissons nous vraiment l’autre ? Quels liens tissés après un tel drame ? Peut-on surmonter l’impardonnable.
Le pardon est- il possible ?
SYLVAIN PATTIEU : Une vie qui se cabre (Ed Flammarion – 344 pages)
Ce roman relate des évènements fictifs à partir d’un fait historique : en avril 1946 la loi Lamine Gueye, défendue par ce député socialiste de Dakar, attribuait la citoyenneté française à tous les ressortissants de l’empire. L’auteur laisse ainsi planer une autre alternative à notre véritable histoire. Il imagine qu’elle a été véritablement appliquée et nous conte à partir du destin d’une jeune femme, Marie des Anges, une époque de bouleversement et de troubles.
Maryse Condé, professeur, encourage Marie des Ange à quitter Dakar avec son bébé, et à rejoindre la « petite France »  pour faire des études à l’école normale d’Aix-en-Provence. Elle fait très vite connaissance d’une bande de jeunes d’origine diverse, qui comme elle, sont engagés en faveur de l’Union française dans un contexte d’enjeux coloniaux, de courants de pensée qui s’affrontent.
L’auteur prend appui sur des personnages et des évènements réels qu’il transforme et nous fait vivre un climat social et politique imaginé avec, dans le même temps, la vie quotidienne et amoureuse d’une jeune noire, Marie des  Anges, laquelle oscille entre une relation avec Kathy, une américaine et Ange, bandit corse, aux opinions contraires aux siennes.
Ce roman est intéressant car il interpelle notre passé.
L’écriture est concise et riche et prouve les qualités d’écrivain de Sylvain Pattieu et les faits historiques documentés nous rappellent que l’auteur est aussi historien.