Alexandre Tharaud est l’un de nos plus grands pianiste français, qui fait le tour du monde en offrant au public des récitals où peuvent se mêler musique classique et musiques de films.
Trois Victoires de la musique, une vingtaine d’enregistrements éclectiques puisqu’entre de musique classique, il nous offre des musiques de films ou un hommage à Barbara.
Invité au Palais Neptune de Toulon par le Festival de Musique, il a eu la gentillesse, malgré la fatigue des tournées, de venir parler à des écoliers qui, dans un silence absolu, l’on écouté jouer, parler et a répondu à leurs questions. Il était accompagné par son complice de 25 ans, le violoncelliste Jean-Guihem Queyras, avant de nous proposer tous deux le soir même un récital magnifique, « réunissant, sous le titre « L’excellence française » des œuvres de Marin Marais, Debussy et Poulenc devant une salle pleine à craquer.
En prime, il a bien voulu nous accorder un peu de son temps – trop court à notre goût ! – avant d’aller se reposer.
« Alexandre, lorsqu’on a une mère danseuse et un père qui fait du théâtre, qu’est-ce qui vous amène à 5 ans au piano ?
La musique c’est du théâtre ! Lorsque je suis au piano, j’ai l’impression d’avoir un opéra sous mes doigts, dans l’opéra, toutes les composantes du théâtre sont là, j’ai l’impression d’avoir avec moi un orchestre de quatre-vingts musiciens. Le piano est un instrument qui imite plusieurs instruments, les cors, les percussions, l’orgue, les instruments à vent et puis j’ai également l’impression de créer une action, j’ai l’impression d’avoir sous mes doigts des personnages que je fais vivre et que je mets en scène et pourquoi pas, même un décor. C’est toute une histoire qu’on raconte avec la musique.
Mais pourquoi le piano très tôt, puisque vous le commencez à quatre ans ?
Vous savez, lorsqu’on commence la musique très tôt, le piano ce n’est pas vraiment votre choix, ce sont nos parents qui nous mettent à l’instrument et mon arrière-grand-mère avait légué à mes parents, un très vieux piano où il y avait, comme avant, des chandeliers de chaque côté. Ma mère était professeur de danse au conservatoire du XIVème arrondissement de Paris, et elle savait qu’il y avait un excellent professeur Carmen Taccon-Devenant et du coup, elle nous y a menés, ma sœur et moi, ma sœur qui, elle, est devenue professeur de piano.
Vous avez débuté les concerts… tôt ! Dès 14 ans, je crois ?
C’est difficile à dire car peut-on dire que les auditions d’élèves sont des concerts ? Je jouais mais ce n’étaient pas des concerts entiers. A l’adolescence c’étaient des concerts où je n’étais pas tout seul.
Vous avez donc fait le conservatoire, avec des prix à la clé, le premier à 14 ans d’ailleurs et plus tard, trois Victoires de la Musique, en 2012, 2013, 2021, ce qui est très rare.
(Il rit), j’avoue que je ne sais pas s’il y a d’autres musiciens ! Vous savez, il n’y a pas beaucoup de votants ! Pour les César, tous les corps de métiers, comédiens, réalisateurs, techniciens, costumiers, décorateurs, votent. Ce sont des centaines de personnes, de corps de métier. Pour les Victoires de la Musique, il y a à peu près deux cents personnes qui votent ! Ce n’est pas tout le milieu de la musique et je le regrette car ce serait plus équitable et ça nous ferait encore plus plaisir.
Votre carrière est faite de rencontres et j’aimerais parler de certaines de celles-ci. La première est Bartabas.
Oh, vous remontez à loin. C’était en 2006 et c’est vrai, j’ai fait quelques spectacles avec lui. C’était aux « Nuits de Fourvière » à Lyon. Il voulait faire un spectacle avec des chevaux et il écoutait alors tous les jours un disque de moi qui s’intitulait « Bach, concertos italiens ». Et il a dit « Je veux ça ! »
Vos autres rencontres sont en fait très éclectiques : le comédien François Morel, le réalisateur Michaël Haneke entre autres.
François Morel c’est aussi, il y a vingt ans, avec qui on a fait des trucs autour de la musique d’Erik Satie. C’est un acteur absolument incroyable. Michaël Haneke, c’est pour le film « Amour » avec Jean-Louis Trintignant, Emmanuelle Riva, Isabelle Huppert. Présenté au festival de Cannes. Là encore film incroyable, comédiens incroyables dans lequel je joue mon propre rôle. C’est un film extrêmement dur mais j’avais la chance d’être face à des acteurs superbes. J’ai d’ailleurs récidivé cette année, dix ans après, dans le film « Boléro » d’Anne Fontaine où je joue un critique musical épouvantable ! J’ai deux scènes mais ça m’a beaucoup plu. C’est mon deuxième rôle mais ce n’est vraiment pas une carrière extraordinaire !
Ça vous donné envie de continuer ?
(Il rit) Non, non, non, ce n’est pas du tout mon ambition. J’avoue que j’ai été heureux de le faire mais il y a tellement de bons acteurs qui font un travail magnifique que je le fais pour le plaisir. Et si ça se retrouve, il faudrait que ce soit lié à la musique. Anne Fontaine est une amie de plusieurs années, le film tourne autour de Ravel et c’était presque normal que j’y participe.
Il y a eu également Nathalie Dessay…
Ça a été un moment horrible et terrifiant pour moi car ça a été juste après les attentats en 2015 et on a chanté aux Invalides une chanson de Barbara « Perlimpinpin »
On arrive donc à Barbara, à qui vous avez consacré un double album…
C’est un hommage autour de ses chansons, avec plein de chanteurs que j’aime et que j’ai choisi. Je suis un grand fan de Barbara depuis mon adolescence. Ses photos parcourent les murs de mon appartement, j’en ai dans toutes les pièces et je pense à elle tout le temps. Plus de vingt-cinq ans après sa mort, elle m’accompagne dans ma vie de tous les jours, elle me console, elle me guide. Pour le vingtième anniversaire de sa mort j’ai voulu témoigner de ça de manière très différente. J’ai appelé tous les gens que j’aimais, des amis que je savais chanter Barbara avec des chemins détournés et surtout sans l’imiter : Jane Birkin, Camélia Jordana, Juliette, Vanessa Paradis, Jean-Louis Aubert, Bénabar, Luz Cazal et bien d’autres. Ce qui est incroyable c’est que ce disque-là- se vend dans de nombreux pays, ce qui n’est pas le cas des chanteurs francophones qui chantent Barbara. Or, lorsqu’on est musicien classique, on joue partout dans le monde. Il y a plein de pays où l’on ne parle pas français et où les gens me connaissent, achètent mes disques et grâce à cela, ils découvrent Barbara.
Quel effet cela fait d’entendre chanter Barbara par d’autres chanteurs ?
Barbara, c’est très difficile à chanter, ça n’est pas linéaire et sa voix est tellement liée à son œuvre car elle est une des rares chanteuses à parler de sa vie dans toutes ses chansons. C’est un autoportrait de la première à la dernière. Sa voix était unique, nous transportait, on tombait en larmes. Chanter Barbara demande beaucoup de travail, de réflexion.
On n’a pas parlé de Juliette Binoche qui dit deux chansons de Barbara : « Vienne » et « Ô mes théâtres ». Belle rencontre encore !
Oui, elle participe à mon disque mais elle dit les textes, tout simplement. Nous avons fait une tournée qui était assez troublante car Juliette est une personne très fragile. Ses fragilités frôlent celles de Barbara. Nous étions sur scène, je jouais, nous disions des textes, seul avec elle. J’étais à l’intérieur du spectacle mais aussi spectateur car je rendais hommage à mon idole et j’avais devant moi une immense actrice, une icône. C’était très émouvant et très impressionnant.
Dernière question : Il paraît qu’il n’y a pas de piano chez vous !
C’est vrai ! D’abord je suis très peu souvent chez moi et lorsque je suis à Paris, je travaille chez des amis ! Propos recueillis par Jacques Brachet
Photos Alain Lafon