Romain VIDAL : Un grand cri d’amour


J’ai connu Christophe, Hervé Vilar et Michèle Torr au tout début de leur carrière, tous trois étant partis sur une tournée ensemble, l’année de leur éclosion, première tournée que je suivais en tant que journaliste. J’avais connu Michèle l’année d’avant en tournée avec Claude François et les deux autres l’année d’après, tout trois bondissant au sommet du hit-parade. Pour l’anecdote, Hervé avait alors une secrétaire-habilleuse nommée Nicole Grisoni, qui changea de nom quelques temps plus tard pour s’appeler… Nicoletta. Mais ça, c’est une autre histoire !
On sait comment s’est terminée la tournée, Michèle attendant un bébé de Christophe, Romain, qu’alors il n’a pas reconnu.
Chacun a continué sa vie d’artistes et je les ai rencontrés souvent. Michèle et Hervé sont devenus des amis. Avec Christophe c’était plus laborieux car, taciturne et pudique, les interviewes qu’il ne me refusait pas, étaient toujours très courtes car il détestait ça. Mais on s’est toujours très amicalement croisés, comme avec Hervé, plus avec Michèle qui habitait souvent dans le sud, avant qu’elle n’y vive définitivement. Je la rencontrais plus souvent, la suivant de maison en maison. Je vis donc grandir Romain que Jean-Sauveur Vidal, le mari de Michèle, avait adopté et Émilie qui arriva un peu plus tard.
Mais jamais on ne parla de cette paternité, ni d’un côté, ni de l’autre. C’était leur vie privée et j’ai toujours occulté le sujet. J’ai toujours respecté ce coin de vie privée… Même si certains journaux ne s’en sont pas… privés !

Première tournée avec Michèle, Hervé…
… Et Christophe qui ne voulait pas être sur la photo !

Le livre s’appelle  « Christophe, mon père inconnu » (Ed Robert Laffont), livre qu’il a écrit avec sa mère, le journaliste Bernard Pascuito, ses compagnes, Gérard Bevilaqua, le frère aîné de Christophe, son autre frère, Yves qui a fait beaucoup pour le rapprochement du père et du fils avant qu’il ne fut emporté par un cancer et quelques intimes dont l’ami Daniel Mecca, musicien et régisseur de Michèle, Frédérick Planke l’ami de Romain.
Un livre on ne peut plus émouvant où, pour la première fois, Michèle, Gérard et Romain se livrent et font un portrait d’un Christophe mystérieux, fantasque, instable, qui a l’impossibilité de s’engager, de se projeter dans l’avenir, dans une vie de famille, d’assurer ses responsabilités.
Ceci est peut-être dû à une vie de famille dans laquelle les trois frères vivaient avec des parents qui se déchiraient.
Michèle, droite dans ses bottes, a accepté le fait d’élever seule Romain, comprenant très vite qu’elle ne pourrait pas compter sur Christophe. Courageuse dans sa solitude, elle dût assumer la mort de sa mère, et du coup dût élever Brigitte, sa jeune sœur, l’absence de son père qui préféra s’éloigner devant « le déshonneur » de sa fille (On était dans les années 60 et être « fille-mère » était honteux), ainsi que sa carrière débutante.

Le soir où Vidal est décédé
Avec Samuel et Raphaëlle.. et Michel Drucker !
Ses trois enfants, Samuel Raphaëlle et Charlotte

Heureusement, deux ans après, elle rencontrait celui qu’elle a toujours appelé « Vidal », qui adopta Romain qui fut un vrai papa, avant que ce dernier ne découvre à 6 ans à l’école que son père n’était pas son vrai père mais une vedette comme sa mère.
Évidemment, tous les journaux ayant parlé de l’histoire, il était difficile qu’elle ne parvienne pas aux oreilles de l’enfant. Ce fut pour Romain un cataclysme qui changea sa vie de petit garçon qui martelait : « De toutes façons, mon papa c’est celui que j’aime ».
Une blessure que personne ne pouvait guérir et que Romain, enferma dans son mutisme car il ressemble à son « père de sang », il ne parle pas beaucoup et surtout ne se confie pas, se cachant derrière un sourire  de façade car Romain sera traumatisé à vie, même si, après un très, très long chemin semé de difficultés, il arrivera en partie à retrouver ce père, grâce aux frères de Christophe et surtout grâce à Yves qui a tout fait pour réunir les deux hommes.
Des rencontres furtives chargées de secrets, de non-dits, de timidité de part et d’autre, tout aussi mutiques l’un que l’autre.
Michèle aussi ouvre son cœur pour la première fois sur cette histoire qui fit couler beaucoup d’encre et dont la presse fit des choux gras. Tout ce qu’elle n’a pu dire à son fils, elle l’écrit dans ce livre chargé d’émotion.
Quant à Romain, lui aussi s’ouvre à ce qu’il a vécu à la recherche du père perdu que la femme de celui-ci tenta d’empêcher par tous les moyens, jalouse de l’histoire d’amour que Christophe vécut avec Michèle, de ce fils qui encombrait sa vie, peut-être ayant peur qu’il lui prenne une part d’héritage, alors qu’elle était séparée mais pas divorcée de l’artiste. D’autant que Romain ne demanda jamais rien sinon de se rapprocher de ce père et qu’ils se connaissent un peu.

Sur scène avec Samuel
Avec l’équipe du Professeur Pelletier

C’est peut-être à cause de tous ces chocs, ses peines, ses drames que Romain a vu se développer en lui cette sclérose en plaque qu’il doit affronter chaque jour avec un courage exemplaire.
Chacun avait tant à se dire mais la pudeur et la timidité ont fait que le père et le fils n’ont pas pu aller au bout de leur histoire et la mort de Christophe a tout interrompu hélas. Ni l’un ni l’autre n’a pu vraiment briser la glace. Et pourtant ils avaient tant à se dire !
J’ai vécu beaucoup de moments avec Michèle et Romain, je les ai accompagnés durant plus de cinquante ans, sans qu’il ne soit jamais question de parler de Christophe. Même malgré le nombre d’interviews que j’ai pu faire d’elle. Tout comme avec Christophe, je n’ai jamais parlé de Michèle et de Romain. Ils étaient tous trois trop discrets pour aborder ces sujets. Avec Michèle, j’ai vécu des moments magnifiques, tout comme des moments difficiles comme le jour de la mort de Vidal où le soir même elle chantait à Saint-Raphaël, et où elle a fait monter Émilie et Romain sur scène. Moment émouvant où tout le public, debout, les a applaudis. J’ai vécu aussi par intermittence, l’évolution de la maladie de Romain qui, quoiqu’il se passe, a toujours gardé sa gentillesse, sa patience, son sourire. Je ne l’ai jamais entendu se plaindre une seule fois.

Avec un ami commun qui a le même problème
Lorsque l’enfant paraît !
Dernière photo avec Christophe

Ma dernière rencontre avec Christophe date de 2010 où nous avions passé un grand moment ensemble à Sanary. Je l’avais eu au téléphone, il m’avait invité à le rejoindre et bizarrement, ce soir-là, il m’a beaucoup parlé, ce qui était rare mais jamais nous n’avons évoqué leurs histoires.
Romain n’a pas eu la vie facile. Abandonné par son « père de sang », perdant son père adoptif qui était en fait son vrai papa, puis, perdant Yves avec qui il avait tissé de vrais liens d’oncle et neveu, et grâce à qui il devait d’avoir pu enfin de rapprocher de Christophe, toujours en secret malgré cette femme qui mit toujours entre eux des bâtons dans les roues…
Cette dernière lettre qu’il adresse à Christophe pour clore ce livre est bouleversante, poignante et je n’en aime que plus encore cet homme blessé qui a vécu sa vie à rechercher ce père perdu, avec pugnacité, avec courage, malgré les écueils qui ont barré sa route.
Ce livre est un grand cri d’amour.

Jacques Brachet