Presqu’ile Jazz Impro
Duo Louis SCLAVIS-Bruno DUCRET

Le trio de passionnés (Guy Risbec, Irène Levauffre,Philippe Letimonnier) qui mène allègrement Presqu’île Impro Jazz, invitait en cette soirée du 4 mars 2023 un duo effervescent : Louis Sclavis (clarinettes basse et soprano) et Bruno Ducret (violoncelle).
La belle idée de Presqu’île Impro Jazz est de changer de lieu à chaque concert, afin d’aller avec ce jazz très pointu vers des publics différents. Cette fois on était dans la Halle 901, toute neuve, à Saint Pierre Eglise (près de Cherbourg). La salle était comble. Le public enthousiasmé ; la preuve, les musiciens offrirent trois longs rappels. Dès leur apparition les deux musiciens avaient déjà conquis la salle.
Louis Sclavis est sans conteste l’un des tout premiers clarinettes basse, peut-être le meilleur, et un très grand improvisateur. On ne le présente plus ; il enflamme les publics depuis près de 50 ans.
Bruno Ducret, lui, est encore peu connu. Il termine ses études en 2014 après être passé par plusieurs conservatoires. Il est né dans la musique puisqu’il est le fils de deux très grands improvisateurs bien connus dans monde du jazz, le guitariste Marc Ducret, et la contrebassiste Hélène Labarrière ; tous deux d’ailleurs sont déjà venus à Presqu’île Impro Jazz.
Dès les premières notes on entend que le violoncelliste est au niveau d’un concertiste classique, avec en plus la patte jazz. Il est l’homme orchestre du violoncelle, qu’il tient à la façon d’une viole de gambe, ce qui lui permet de jouer dans différentes positions, car il traite son violoncelle à la fois comme instrument mélodique et percussif, frappant peu la caisse, mais en jouant de toutes les possibilité des cordes, depuis les chevilles jusqu’au cordier. Il joue pizzicato avec les 5 doigts, tout en percutant les cordes en accord. On est époustouflé par tout ce qu’il peut jouer, sans jamais faire de « cirque ».
Louis Sclavis, statue du commandeur derrière sa clarinette basse, fut éblouissant. Un moment grandiose sur « l’Odyssée des Bysantins », ce fut comme si soudain on avait entendu le chant du muezzin. Il avait ôté le bec et chantait dans le bocal sur un mode bysantin ; c’était une caravane de musique qui passait sur la scène.

Leur fonctionnement est simple, on expose le thème tous les deux, et puis quand ça part en solo, l’un accompagne l’autre, de façon assez extraordinaire mêlant rythmique et mélodie. Sclavis avec ses claquements de langue sur la anche. A noter de sa part un long solo en souffle circulaire, ce qui étonne toujours un public non averti.
Ces deux musiciens puisent à des sources diverses. Louis Sclavis est plus essentiellement jazz, il y a du blues à l’intérieur. Il s’est créé un son et un style facilement reconnaissable et envoûtant.
Bruno Ducret en plus du jazz, joue également de la musique de chambre, du rock, de la musique folklorique, pour le théâtre, la danse. Il chante aussi. Lors d’un rappel il nous gratifia d’un traditionnel nivernais étonnant qui définit parfaitement la condition de la femme au temps de la paysannerie : « Je voudrais être mariée, j’irais p’t’être plus aux champs! Voilà la belle mariée, elle va toujours aux champs…elle voudrait être enceinte, accoucher, vieille…Elle va toujours aux champs…Morte, elle est
enterrée dans son champ. » Il le chante seul en s’accompagnant sobrement au violoncelle. Belle idée de reprendre ces chants anciens, ce qu’avaient fort bien réussi les Bretons en les mêlant à la Pop.
Un dernier rappel plein d’émotion et de douceur. Les deux musiciens s’assoient côte à côte pour un blues sobre et intimiste. Fulgurante ovation.
Un grand concert, qui prouve qu’il ne faut pas avoir peur de programmer de la grande musique, même pour un public non initié. Celui-ci sait reconnaître d’instinct le grand art.
Les musiciens arrivait de Bourg en Bresse et n’avait pas encore mangé. Comme quoi la musique permet tous les dépassements.

Serge Baudot