Notes de lectures

Gilles KEPEL : Enfant de Bohême (Ed Gallimard – 399 pages)
Il faut s’enfoncer très profondément dans les forêts de Bohême où l’on chassait les sangliers pour comprendre la destinée du grand-père puis du père de Gilles Kepel. L’aïeul Rodolphe, arrivé en France s’installera à Paris dans le quartier Montparnasse, il fréquentera  Apollinaire et traduira ses poèmes, il sera proche des peintres tchécoslovaques Mucha et Kupka, une petite colonie d’artistes venus également à Paris.
Il se mariera, aura deux enfants Milan, père de Gilles Kepel et une fille. Milan réfugié en Angleterre pendant la seconde guerre mondiale sera élevé dans une école religieuse  puis au lycée français de Londres et n’aura de cesse de vouloir faire du théâtre et mettre en scène « Le brave soldat Svejk » de Iaroslav Hasek.
En déterrant les souvenirs d’un père atteint de la maladie d’Alzheimer, de vieux documents, de photos, Gilles Kepel raconte avec fierté le parcours difficile, souvent désargenté de sa lignée paternelle. Il y ajoute les éléments constitutifs de la Tchécoslovaquie actuelle et la pensée communiste de son père.
Un livre émouvant sur des hommes bousculés par les guerres, attachés à leurs racines et malgré tout devenus cosmopolites.
Cependant l’abondance de détails très ou trop personnels peut lasser le lecteur.
Lars MYTTING : L’étoffe du temps (Ed Actes Sud – 438 pages) <br> traduit du norvégien par Françoise Heide
Quel plaisir de découvrir la suite du livre « Les cloches jumelles » publié en 2020 par Lars Mytting !
Nous retrouvons au début du XXème siècle le village de Butagan en Norvège, ses habitants et son pasteur Kai Schweigaard. Il pèse toujours sur le village le souvenir des sœurs jumelles siamoises Helfrid et Gunhild Hekne, habiles tisseuses dans les années 1600 et dont une mystérieuse tapisserie reste introuvable. Astrid Hekne est morte en couches lors de la naissance de jumeaux. L’un de ces enfants, Jehans a été confié au pasteur mais il se brouille avec celui-ci.
Qu’adviendra-t-il de la quête de la tapisserie et de celle de la cloche engloutie dans le lac proche du village dont la tradition dit qu’elle ne pourra être repêchée que par deux frères ?
Dans cette superbe fresque romanesque, l’auteur nous raconte l’évolution de la paysannerie norvégienne, l’amélioration de la vie dans ces villages reculés grâce aux apports des techniques. Des personnages fiers et volontaires, des paysages grandioses, des légendes, un peu d’histoire font de ce roman un ouvrage que ceux qui ont apprécié le premier tome liront d’une traite.

Dolly PARTON & James PATTERSON : « Run, Rose, Run » (Editions l’Archipel – 418 pages)
Dolly Parton est la papesse de  la musique country pour les amateurs du genre.
James Patterson est « l’écrivain aux 370 millions de thrillers vendus ».
L’association de l’icône de la country et de l’empereur des polars ne pouvait que faire des étincelles.
Leur roman à quatre mains a d’ailleurs été en quelques semaines le N°1 des ventes aux USA.
Voici que le roman sort en France sous le même titre qui signifie « Court, Rose, court »
Un livre qui mêle la musique à un thriller haletant dont on ne connait la vraie histoire qu’au dernier chapitre.
AnnieLee Keyses est une toute jeune fille qui ne rêve que de chanter et qui débarque à Nashville avec rien qu’un sac en bandoulière. On ne sait pas d’où elle vient mais on se rend très vite compte qu’elle cache un drame. La chance veut qu’elle se propose de chanter dans un pub qui se trouve appartenir à Ruthanna Ryder, idole country qui s’est retirée de la scène mais qui la découvre grâce à un de ses musiciens, Ethan Blake. Lui, en tombe amoureux, elle flashe sur sa voix et sur les chansons qu’elle écrit et compose. Ils vont la prendre sous leurs ailes mais la jeune femme est sauvage, et elle est à plusieurs reprises agressée. Un mystère plane autour d’elle, dont elle se refuse à parler.
Mais peu à peu la menace se rapproche, se concrétise même et…
Et il faudra lire quelques 400 pages pour en connaître le dénouement !
Dans le portrait de Ruthana, il semble que Dolly Parton ait servi de modèle, l’ambiance de Nashville est superbement décrite, l’héroïne est très attachante, l’histoire palpitante et pleine de rebondissements.
Bref, les amateurs de thrillers et de musique vont être heureux.
A noter que le livre va faire l’objet d’un film dont les chansons seront signées… Dolly Parton of course ! Le CD est déjà sorti… « Run, Rose,Run », un livre à lire, un CD à écouter et un film à voir bientôt.
Marie-Virginie DRU : Regarde le vent (Ed Albin Michel – 268 pages)
Dans ce second roman, Marie-Virginie Dru, qui est aussi peintre et sculpteur, évoque le thème de l’amour et de l’influence des ancêtres dans nos vies. Cette réflexion se fera avec Camille, guide conférencière, mariée à Raphaël, journaliste au Monde, mère de Louise, ado rebelle de 14 ans et de Jeanne 12 ans, future danseuse.
Alors que Camille aide sa mère et son oncle à vider l’appartement de sa grand-mère qui vient de décéder, elle trouve des albums de photos parfois anciens. Elle décide d’écrire un livre racontant la vie de ses aïeules, une dynastie de femmes depuis Henriette son arrière-arrière-grand-mère née en 1879 à Alger, puis Odette, puis Annette et enfin Mathilde sa mère. Des femmes qui selon Camille furent « des guerrières et des amazones », émancipées et libres dans leurs amours.
Parallèlement à ce travail d’écriture, la vie quotidienne se poursuit pour Camille qui évolue dans sa situation de mère et d’épouse.
Dans une écriture fluide, le roman nous fait vivre par chapitres distincts les vies passées des ascendantes de Camille et leurs secrets, la vie de Camille, celle de Jeanne par le biais de son carnet intime et le comportement troublant de Raphaël. Un livre agréable à parcourir.

Robert COLONNA D’ISTRIA : La maison (Ed Actes Sud – 146 pages)
Auteur d’essais, Robert Colonna d’Istria publie son premier roman.
Le sujet réside dans le titre, mais il faudrait y ajouter « sur l’île « ». En effet c’est sur l’île où, enfant, elle passait de merveilleuses vacances dans la maison de sa mère, que J, une femme dont on ne saura pas plus que la première lettre de son prénom, veut avoir elle aussi une résidence. C’est son frère qui a hérité de la maison familiale .J doit donc chercher à acheter ou à faire construire une maison.
Sur un terrain dominant la mer du haut d’une falaise, une vieille bicoque à retaper fera l’affaire. Avec l’aide de Simon, son compagnon et de Robert, un homme à tout faire ingénieux mais procrastinateur, J commence la création de sa maison.
Ce sera un chemin semé d’embuches qui mettra à mal l’obstination de J. Mais ce chemin de croix deviendra un chemin de vie, menant à un aboutissement heureux même si ce n’était pas celui attendu. Un roman bien écrit qui s’apparente à un conte philosophique.
Michèle LESBRE : La Furieuse (Ed Sabine Wespieser – 120 pages)
Qui est donc cette furieuse qui fait le titre du dernier ouvrage de Michèle Lesbre ?
Ne vous laissez pas dissuader par ce titre, au contraire laissez-vous glisser doucement et non pas furieusement au fil des pages. La Furieuse existe, c’est une petite rivière du Doubs, affluent de l’Allier, et elle s’écoule comme la vie de Michèle Lesbre, quatre-vingt-trois ans, et une longue vie de lectures, de découvertes qu’elle nous fait partager. Il a des anecdotes, des souvenirs, des citations que tout lecteur voudra retenir ou souligner.
Le sous-titre « rives et dérives » correspond exactement à ce mouvement perpétuel de l’eau, parfois tranquille, parfois bouillonnante  comme toute vie. La Furieuse où se baignait Courbet jusqu’à la fin de sa vie replace le texte dans la fin du XIXème siècle, Michèle Lesbre s’autorise à vous présenter ses grands-parents Léon et Mathilde qui ont vécu, eux, au bord de la Loire, autre fleuve parfois tranquille parfois furieux, des tableaux champêtres d’un monde révolu qu’évoque l’auteur.
On n’arrête pas une rivière, on n’arrête pas les souvenirs, Michèle Lesbre dit feuilleter sa vie et nous donne la possibilité de découvrir ou redécouvrir les textes qui l’ont marquée, ce livre est un immense cadeau fait à la lectrice qui l’en remercie.

Laurent MALOT : « Mathilde Mélodie » (Ed XO – 308 pages)
Mathilde, 38 ans, a été chanteuse avec son mari musicien. Jusqu’au jour où trompée par son mari, elle part en voiture avec sa fille, a un accident qui coûte une jambe à cette dernière.
Rogée de culpabilité, pour vivre elle entre dans une matelasserie, vivant chichement avec sa fille.
Jusqu’au jour où la musique la rattrape : Un concours national de talents est organisé pour toutes les entreprises avec à la clef un million d’euros… Pas pour le talent gagnant mais pour l’entreprise qu’il représente.
Au départ elle n’est pas d’accord mais c’est sa fille qui vend la mèche au patron car circulent encore des images de sa mère sur les réseaux sociaux. Obstinée elle refuse de chanter mais le patron lui met le marché en main : où elle chante, ou elle est virée.
Contre mauvaise fortune bon cœur elle se résout à chanter. Avec la complicité de sa fille, elle rencontre un musicien mexicain exilé et sans papier, avec qui elle va travailler. Peu à peu, elle repend goût à la musique.
Va-t-elle repiquer au jeu ?
Vous le saurez en lisant ce roman plein de tendresse signé d’un écrivain qu’au physique on verrait plus écrire des polars. Mais il est aussi scénariste et ça se sent car ce livre est conçu comme un scénario de film et pourrait faire l’objet d’une série télévisée, tant ses personnages sont attachants et l’histoire et jolie… Ce qui nous change de tous ces romans démoralisants qu’on peut lire aujourd’hui.
Vincent BAGUIAN : Que celui qui n’a jamais tué me jette la première pierre (Ed Plon – 219 pages)
Vincent Baguian fut chanteur un temps, auteur de chansons dont des comédie musicales comme « 1789, les amants de la Bastille » ou encore « Mozart, l’Opéra-rock ».
Le voici qui nous offre son premier roman, une sorte de thriller fort original, l’histoire d’un homme bien sous tous rapports, Victor, médecin apprécié mais qui s’avère être aussi un tueur en série.
Un tueur pas comme les autres puisqu’il a commencé à 7 ans en poussant sa mère dans les escaliers, une mère revêche, sévère, violente, castratrices. Ce n’était en fait que justice qu’elle disparaisse !
Le meurtre est parfait, jamais on n’a pu suspecter un si petit enfant qui plus est inconsolable.
Devenu médecin il a comme patience Framboise, une femme magnifique mais une femme battue et violée dont il tombe amoureux. Quoi de plus normal que de faire disparaitre ce salaud ?
Ainsi vit-il très vite avec elle et de leur amour naîtra Gabriel qu’ils idolâtrent.
Là encore, aucun doute ne plane sur lui.
Du coup, prenant confiance en lui, va-t-il continuer son « assainissement », supprimant des prédateurs, des personnes nuisibles à son environnement. Jamais suspecté… Jusqu’au jour où…
C’est en fait un roman mi thriller-mi polar-mi comédie que nous offre l’auteur, un roman très immoral écrit d’une plume alerte, avec juste ce qu’il faut d’humour pour qu’on trouve son Victor charmant et bien sympathique !
Immoral dites-vous ? Certes mais, éliminer des gens coupables, blâmables, qui méritent un châtiment, est-ce vraiment condamnable même si la justice le réprouve ?
En fait, peut-on condamner cet homme ? Oui, bien sûr, mais on s’y attache et tout au long on espère qu’il s’en sortira.
A vous de lire… Et de juger !

Roselyne BACHELOT : « 682 jours » (Ed Plon – 279 pages)

Ça balance pas mal chez Rosy… Ça balance pas mal !
Roselyne Bachelot c’est la femme intègre, énergique, qui ne mâche pas ses mots, au désespoir de ces messieurs les politiques qui ne supportent pas certaines vérités… Surtout venant d’une femme.
Elle est aussi une femme étonnante, passant de la politique à l’humour avec une facilité et une maestria déconcertante.
Elle a connu plusieurs présidents de Chirac à Macron en passant par Sarkozy.
Elle est passée du sport à la santé pour finir à la culture, en tant que ministre.
C’est pourtant la Culture qu’elle a toujours brigué et dans laquelle elle excelle car, en plus d’être intelligente, elle est cultivée… Et en plus elle est drôle !
C’est trop pour une femme et on le lui a fait payer par des sarcasmes de tous bords, des empêchements de tourner en rond, quoiqu’elle fasse ou dise, jusqu’à ses toilettes qui firent les choux gras de certains tabloïdes… et on en passe !
Mais, toujours bien dans ses bottes, elle a continué sa route contre vents et marées tout en tirant à vue lorsqu’il fallait car elle ne s’est jamais laissé marcher sur les pieds.
Aujourd’hui, libre de toute politique, elle peut écrire, avec l’humour et le bon sens qu’on lui connaît, sans acrimonie ni vengeance personnelle tout ce qu’elle a sur le cœur. Et elle raconte toutes les bassesses, les hypocrisies, les bâtons qu’on lui a mis dans les roues, que ce soit dans quelque ministère où elle ait agi. Elle parle aussi des ronds de jambes auxquels elle a eu droit et de la mémoire courte de certains qui oublient vite dès qu’ils n’ont plus besoin de vous.
Mais elle n’a jamais été dupe, sachant que lorsqu’on est dans les projecteurs, en mal ou en bien, il faut que ça chuchote, que ça parle dans le dos, que ça critique.
Dommage qu’elle soit arrivée à la Culture avec le Covid car elle avait tant d’idées, tant de projets.
Aujourd’hui, sereine, avec ce livre elle met les choses au point avec son franc parler et c’est avec un vrai régal qu’on la lit car elle écrit comme elle parle, avec un langage châtié, des mots précis et sans langue (ou plume) de bois !
KarineTUIL : Kaddish pour un amour (Ed Gallimard – 123 pages)
Le kaddish, c’est la prière pour les morts dans la religion juive.
C’est à travers des poèmes que Karine Tuil dit adieu  un amour, un amour qui a grandi, a été l’enfant du couple, un amour qui n’a malheureusement pas été compris.
L’auteur s’adresse à celui qui a aimé l’amour mais n’a pas su voir le vrai du faux. Cet amour est perdu, il y a donc un deuil de l’amour, un amour qui retournera à la poussière.
Le kaddish permet l’espoir car un jour l’amour sera sanctifié, il renaitra et mourra avec nous.
Karine est familière de la poésie, elle est toujours à l’aise dans cette expression, ce rythme. Il y a beaucoup de sensibilité et une certaine distance face à cette réalité douloureuse. Les poèmes scandent une histoire qui ne sera plus, il y a de l’originalité dans la présentation de la versification c’est un bel exercice d’écriture qui montre un talent supplémentaire à l’auteur des « Choses humaines » et de la « Décision », une réussite émouvante.