René FREGNI : Une vie de baroudeur et d’écrivain

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Minuit dans la ville des songes (Ed. Gallimard – 255 pages)
Roman autobiographique de cet auteur pudique qui nous livre ici ses pensées dans le grand voyage de la vie qui l’a amené à se débattre avec ses grands problèmes : l’autorité, l’obéissance, les règles sévères quand on nait à Marseille dans une famille modeste où il faut s’affirmer  même face à la discipline qu’il a du mal à observer, des règles quand lui-même prône la liberté, l’espace, quitte à avoir du mal à s’insérer.
Un brin rebelle, un peu marginal, il affronte l’existence par la fuite en avant, plein de fougue et d’espoir assumant sa différence qui le propulse vers d’autres horizons, d’autres régions, toujours guidé par l’amour qu’il  voue à sa mère, son point d’ancrage existentiel.
Nous traversons sa vie un livre à la main, les yeux ouverts sur ses paysages méditerranéens qu’il affectionne. De sa plume délicate il nous promène dans sa Provence ensoleillée où dans la Corse de son exil nous faisant partager son amour des livres et de l’écriture et sa façon de   vivre comme un loup solitaire mais plein de sensibilité et d’amour de  la vie, et toujours de sa mère.
Il a reçu le prix des lecteurs du Var 2022.

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Rencontre
C’est, depuis des années, un plaisir de rencontrer René Frégni car s’il est un romancier de talent, il est aussi un conteur plein de charme, d’humour, de poésie. C’est un homme vrai qui, malgré son succès, a su rester un homme simple, attaché à sa terre varoise, assez solitaire mais aimant rencontrer les gens.
Nous revoici à la Fête du livre où il signe son dernier roman qui en fait n’est pas un roman mais, pour la première fois, une biographie. Le titre : « Minuit dans la ville des songes » (Ed Gallimard). Pourquoi ce titre ? C’est ce que je lui ai demandé :
« C’est parce que j’ai peur de mettre les mots sur une page blanche et que je les mets la nuit sur mes paupières, lorsque je suis au lit, sans peur du lendemain. Le lendemain qui me permet de retranscrire ce que j’ai écrit dans mon subconscient. Je revois toutes les scènes.
J’écris toujours avec un stylo. J’écris, je peaufine. C’est ensuite ma femme qui retranscrit sur l’ordinateur.
Pour une fois, ce n’est pas un roman !
Disons que c’est une bio que j’ai un peu romancée. Il parle de mon enfance, de ma vie de marginal, de ma vie de voyou, de déserteur, de mon premier amour, de la beauté des filles, de tout ce que j’ai vécu, des paysages que j’ai sillonnés en France et ailleurs… De ma région aussi.
C’est à la fois un livre d’aventures à la José Giovanni car tu en as vécu beaucoup et une ode poétique à ton pays à la Jean Giono, puisque tu vis à Manosque.
Il a des deux car c’est vrai que j’ai fait pas mal de conneries dans ma jeunesse, que j’ai fait de la prison, que je me suis évadé et que j’ai passé un certain temps à me cacher et à vivre sous un faux nom… Mais c’est aussi l’amour de ma région qu’en dehors de ces années d’errance, je retrouve toujours avec le même bonheur, que j’y vis et qui est mon havre de paix.
Pour en revenir à Giono qui vivait comme toi à Manosque, tu as failli le rencontrer mais tu n’es pas allé jusqu’au bout. Pourquoi ? Aujourd’hui le regrettes-tu ?

J’avais 20 ans, je savais où il habitait et j’ai voulu aller le voir. Et puis j’ai hésité car c’était un homme d’un certain âge. Je ne suis pas allé le voir car d’abord j’avais peur de le déranger et puis en fait, ses livres parlent pour lui et je me suis dit que l’œuvre d’un tel écrivain et plus grande que l’homme qu’il pouvait être. J’ai préféré plutôt le lire que de le rencontrer. Ca fait quarante ans que je lis ses romans. J’ai dû tous les lire entre cinq et six fois ! Et je ne regrette pas ce rendez-vous manqué.

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Tu as vécu une vie incroyable, quelquefois difficile mais il semble qu’à chaque fois il y ait eu quelqu’un pour t’aider à t’en sortir.
C’est vrai, j’ai rencontré des gens qui m’ont fait confiance, qui m’ont apporté tendresse, humanité : Ange-Marie avec qui j’ai fait les quatre cents coups, que j’ai retrouvé en prison. Il m’a présenté l’aumônier qui m’a fait découvrir la lecture. Je lisais presque un livre par jour. Le premier d’ailleurs a été « Colline » de Giono dans lequel je me retrouvais. Dominique Raffali m’a permis de vivre en Corse alors que j’étais déserteur. Durant un an j’ai fait danser le be-bop à des filles magnifiques dans sa boîte de nuit. Maître Comte qui m’a sorti du pétrin… J’ai partagé avec eux une forme d’humanité.
Et ta mère !
Ma mère a toujours été le soleil de ma vie. Pas un jour je n’ai cessé de penser à elle, même aujourd’hui qu’elle est partie. Elle m’a apporté une tendresse infinie malgré toutes les peurs que je lui ai fait subir. Sa pensée m’a toujours aidé à être positif à chaque fois que je bifurquais. Elle m’a aidé à aimer la vie et si tu aimes la vie, la vie t’aime.
Sais-tu pourquoi tu as toujours été un rebelle ?
Ca a démarré tout jeune. Je portais des lunettes et on s’en moquait. C’est de là qu’est née ma rébellion. Mais en fait, être marginal, ça me plaisait. J’ai toujours été révolté et j’ai toujours aimé la transgression même si je n’ai jamais été un grand voyou !
Te sens-tu plus lecteur ou plus écrivain ?
J’ai été lecteur à 19 ans, donc plus longtemps qu’écrivain car je reste un grand lecteur aujourd’hui. Et si je suis devenu écrivain c’est grâce à toutes les lectures que j’ai faites durant ma vie. C’est à cause de ces lectures que j’ai eu envie d’écrire.
Tu es quand même resté un loup solitaire !
En dehors des fêtes du livre où je rencontre beaucoup de gens et où j’y prends plaisir, je suis heureux de retourner chez moi, dans ma maison, dans mes paysages où je passe mon temps à regarder, à rêver, à respirer. J’écris en marchant et je passe mon temps à admirer un ciel bleu, des feuilles d’or qui, en ce moment, se détachent des arbres… On est quand même mieux qu’enfermé dans une banque !
Ici, je n’ai pas besoin de grand-chose : un gros pull, des chaussures de marche, un cahier, un stylo… Ça me suffit. C’est ça la vraie richesse.
Il y a un proverbe indien que j’aime : « Lorsque l’homme aura coupé le dernier arbre, pollué la dernière goutte d’eau, tué le dernier animal et pêché le dernier poisson, alors il se rendra compte que l’argent n’est pas comestible ».

Propos recueillis par Jacques Brachet.