Six-Fours – Festival « Femmes ! »
Philippe Lioret : « 16 ans », un film bouleversant

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Nora 16 ans (Sabrina Levoye) et Léo 17 ans (Teïlo Azaïs) se rencontrent à l’école. Très vite ils se rapprochent et nait un amour d’adolescence.
Mais cette rencontre n’est pas sans problèmes : Léo est fils de bourgeois, son père est directeur d’un supermarché. Nora est française mais d’origine maghrébine. Son frère, qui travaille dans le supermarché du père de Léo, est suspecté de vol. Sur la foi d’un « collègue »  mal intentionné, le père le renvoie.
A partir de là tout va se compliquer : les copains du frère viennent tout casser dans le supermarché et le frère est arrêté. Et lorsqu’il apprend que Nora sort avec le fils du directeur, tout part en vrille : Il lui interdit de le revoir, la dénonce à son père qui l’enferme. Quant à Léo, son père lui interdit également de la revoir, d’autant qu’après la rixe celui-ci il est mis à pied.
C’est l’histoire d’une violence ordinaire, de la confrontation de deux communautés, d’un amour impossible, sorte de « Roméo et Juliette » revisité par un Philippe Lioret inspiré et investi qui dépeint ce drame avec beaucoup d’humanité, sans pathos, teinté d’un racisme latent.
Par ailleurs, Le réalisateur a formé un couple de comédiens lumineux et superbe, qui se retrouve dans cet imbroglio et aura du mal à s’en sortir face à des parents qui vivent chacun dans leur monde. A noter que les deux pères, Arsène Mosca et Jean-Pierre Lorit et le frère Nassim Lyess sont aussi très émouvants dans cette histoire qui les dépasse.
Un film âpre qui ne peut pas nous laisser indifférent.
On sort de celui-ci à la fois ému et oppressé et il est bien d’avoir vu le film avant que ne vienne Philippe Lioret car on a du mal à reprendre son souffle. De plus, il nous fait la surprise de venir avec ce magnifique couple qu’est Sabrina et Teïlo.
Heureux de retrouver Philippe Lioret que j’ai croisé plusieurs fois et, à l’abri du public avant la surprise, ravi de voir ce beau couple sirotant un coca, l’aventure terminée, car ils ont gardé une belle complicité.
J’avoue à Philippe Lioret que je suis heureux d’avoir vu le film deux jours avant sa venue tant il m’aurait été impossible d’en parler juste après la projection.

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Il sourit : « Je m’en suis rendu compte au long des avant-premières et c’est pour cela que j’arrive seul à la projection et que les comédiens arrivent après le film. Cela donne un effet de surprise qui donne le temps aux spectateurs de se remettre car ne s’attendant pas à les voir et se lèvent pour les applaudir.
« La genèse du film, Philippe ?
Le hasard. Durant plusieurs jours, j’ai découvert un jeune couple à l’arrêt d’un bus. Ils s’embrassaient tout en pleurant jusqu’à ce que le bus arrive et les sépare. J’ai commencé à cogiter une histoire autour d’eux qui m’a fait penser à « Roméo et Juliette », à cet amour impossible, à la guerre entre les Capulet et les Montaigu, en me disant que cela existait toujours, que c’était une histoire universelle. Il y avait eu « West Side Story » et pourquoi pas une histoire similaire aujourd’hui, partant de familles, deux mondes diamétralement opposées, deux extrêmes qui ne se rencontrent pas mais dont les enfants font les frais.
Le choix de ces deux magnifiques jeunes comédiens ?
Evidemment un casting ! J’ai vu 80 Nora et 50 Léo ! Petit à petit l’étau s’est resserré. Sabrina était l’une des trois restantes et j’ai failli passer à côté tant elle était stressée. Elle s’en est rendu compte et s’est mise à pleurer et c’est ce qui m’a décidé car j’ai tout de suite vu Nora.
Pour Léo, ça a été totalement différent car, au contraire de Sabrina, Teïlo était très décontracté, très à l’aise. Il a très vite compris le rôle. Avant cela, j’ai présenté plusieurs Nora à Léo et avec Sabrina, ça a tout de suite accroché. J’ai senti tout de suite qu’ils étaient faits l’un pour l’autre !
Ils sont d’ailleurs très vit devenus plus que ce que j’attendais. Il y avait une osmose entre les deux et je ne savais plus si j’avais Léo et Nora ou Taïlo et Sabrina face à moi ! Il me semblait que je tournais mon premier film !
Alors, Sabrina ?
C’est vrai que j’étais terriblement stressée. C’était mon premier casting, je prenais des cours de théâtre depuis seulement quelques mois. C’est ma mère qui m’a inscrite au casting. Lorsque j’ai appris le sujet du film, je me suis dit « pourquoi pas ? » J’avoue que devant Philippe, je me suis sentie scrutée et j’étais très mal à l’aise. J’ai tout de suite pensé que c’était raté et je me suis mise à pleurer. C’est ce qui lui a plu !

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Et toi Teïlo ?
J’avais un peu d’expérience. C’est aussi ma mère qui m’a inscrit un jour à un casting. J’étais très à l’aise même si je n’avais jamais pris de cours. Puis tout s’est enchaîné avec des petits rôles dans la trilogie « C’est quoi mamy, papy, la famille », « Louise Wimmer », « La vie pure » et la série « Un si grand soleil ».
Je me suis donc dit que c’était un casting comme les autres. Mais ma rencontre avec Philippe a été déterminante puisqu’il me donnait la chance d’avoir un premier rôle et en plus, un très beau rôle dramatique. Et avec Sabrina, ça a tout de suite collé, nous sommes devenus amis, nous nous voyons, nous envoyons des SMS…
Philippe, il y a aussi eu le casting pour les lycéens…
Oui. J’ai réuni trois classes et le choix a été difficile, d’autant que je savais que lorsqu’on fait ce genre de casting ont fait indubitablement des malheureux. Il y avait entre autre un garçon qui me suivait partout, qui ne me quittait pas des yeux, me regardait intensément. Je me suis demandé s’il n’était pas autiste et je me suis dit : pourquoi pas ?
Sabrina, Teïlo, connaissiez-vous l’histoire de Roméo et Juliette ?
Teïlo :
Je connaissais vaguement l’histoire mais je ne l’ai jamais lue
Sabrina : J’en connaissais quelques scènes que j’avais eu à jouer dans mon cours de théâtre, c’est tout.
Philippe : Pour moi c’est la plus grande histoire du monde, une histoire universelle et quand on pense que Shakespeare l’a écrite en 1580, ça laisse rêveur !

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Dans le film il y a d’ailleurs un clin d’œil à la scène du balcon !
(Philippe rit) Oui, lorsque Léo appelle Nora et qu’elle paraît à la fenêtre de son HLM ! Ça n’était pas un balcon mis c’était tout aussi romantique !
Combien de temps avez-vous tourné ?
Huit semaines sans compter les arrêts Covid. J’étais désespéré de laisser tomber mes comédiens. Le film aurait dû sortir bien avant mais avec tous ces événements il ne sortira que le 4 janvier.
Ce que je trouve réussi dans le film, c’est qu’il n’y a ni gentil ni méchant et que tous les personnages sont attachants.
Ce sont tous, avant tout, des êtres humains qui ont chacun leurs idées, leur convictions, leurs traditions. Chacun vit dans son monde, son sens de l’honneur. Chacun a ses raisons et elles sont défendables. Le frère de Nora, Tarek ( Nassim Lyess est magnifique) parce que renvoyé pour un vol qu’il n’a pas commis, peut-être parce qu’il est arabe. Et lorsqu’il apprend que sa sœur fréquente son fils, il devient fou de rage. Le père de Léo (Jean-Pierre Lorit), lui, a perdu sa place à cause de cette affaire. Il déteste Tarek et ne supporte pas qu’il fréquente sa sœur. Le père de Nora (Arsène Mosca) ne supporte pas que sa fille puisse fréquenter un garçon hors de sa communauté et surtout qu’elle ait des rapports avec lui tant il a le sens de l’honneur perdu. Chacun a quelque chose à défendre. Et c’est humain.
Alors, heureux que sorte enfin ce film ?
Philippe : Très heureux pour Sabrina et Teïlo car ils m’ont tellement apporté. Et c’est peut-être le film qui m’a le plus apporté.
Teïlo : C’est mon plus grand et plus beau rôle et je le dois à Philippe. Aujourd’hui, je continue les castings et la série « Un si grand soleil ».
Sabrina : Dans la mesure où je n’ai rien fait avant, j’attends beaucoup de la sortie du film car aujourd’hui, personne ne me connait. Donc… je patiente ! »

Propos recueillis par Jacques Brachet