Comme chaque année, Le festival « In Situ » de Carqueiranne accueille Francis Huster, devenu le parrain de cette belle manifestation.
Grand comédien, metteur en scène inspiré et original, directeur exigeant, on attend toujours quelque chose de nouveau de sa part. Et ce quelque chose, cette fois, avec « Lorenzaccio » d’Alfred de Musset, c’est un retour aux sources car, comme il nous l’explique, cette pièce que l’auteur, qui l’a écrite en 1834, d’après une nouvelle de George Sand alors sa compagne « Une conspiration en 1535 », n’a pas pu voir montée puisque mort trop tôt, a été jouée pour la première fois en 1896 par… Sarah Bernhardt ! Eh oui, Lorenzaccio était une femme à sa création et a obtenu un triomphe. Une autre femme l’a suivie, Marguerite Jamois, avec le même succès.
Ce n’est qu’en 1952 que Jean Vilar « a le culot », nous confie Francis Huster, de proposer la première version masculine à Gérard Philipe à Avignon, où il aura un succès formidable.
Quant à Francis, lui il y revient pour la troisième fois. La première fois était à la Comédie Française dans de merveilleux décors et costumes de Franco Zeffirelli, puis avec la Cie Renault-Barrault dans les costumes de l’époque de Musset. Et le revoici cette fois où il a le même culot que Vilard de re confier le rôle titre à une comédienne, la belle Alice Carel mais où il transporte l’histoire chez les maffieux italiens d’Amérique… et ça marche, tant l’histoire des Médicis et des Strozzi pourrait être accolée à celle que l’on trouve dans l’univers du fameux film de Scorsese « Le Parrain », avec ses sombres drames, ses complots, ses règlements de comptes.
Nous entrons donc de plain pied dans l’univers à la fois Shakespearien d’un Musset inspiré et Husterien, tout aussi inspiré, avec bien sûr, ses originalités et quelquefois ses idées folles et incongrues. N’a-t-il pas fait, voici deux ans apparaître la statue du Commandeur de « Don Juan » de Molière en femme évaporée et dénudée ? Déjà, une femme pour représenter un homme !
Ici, le plus incongru peut-être est certainement cet enfilement de chaises rouges et blanches « Ikéa » comme unique décor et, trônant au milieu de la scène, une vespa qui représente l’Italie, certes, mais qui semble posée là par erreur. Evidemment, Francis a son histoire et il peut nous la raconter deux heures tant il est volubile. Après, à nous d’extrapoler, d’inventer, de nous faire l’histoire dans l’histoire.
Cette fois, notre ami n’est pas sur scène… Ou ne devrait pas l’être puisqu’il n’est « que » metteur en scène et n’a plus l’âge de Lorenzaccio. Mais il ne peut s’empêcher d’y monter pour raconter et refaire l’histoire du théâtre durant près d’une demi-heure, haranguant le public avec cette passion qu’on lui connaît et qui le fera d’ailleurs remonter sur scène durant la représentation, parce qu’un micro ne marche pas !
Par ailleurs, sa mise en scène est très sobre et on peut applaudir très fort ses compagnons de voyage, tous, jeunes et moins jeunes, débutants ou issus de la Comédie Française, qui composent sa « Troupe de France », tant ils sont tous parfaits.
Notons Alice Carel dans le rôle titre qui, une fois passée la barrière qui peut gêner le spectateur de voir une femme interpréter un homme, est sublime de grâce, d’ambiguïté, de colère rentrée.
Pierre Boulanger est un somptueux Alexandre de Médicis, aussi beau que l’était Gérard Philipe dans « le Prince de Hombourg » (pour ne pas re-citer Lorenzaccio), Simon Eine dans le rôle de Strozzi père, qui donne au rôle une grandeur et une émotion incroyables. Et puis, dans le rôle de sa fille, est-ce Elisa ou Toscane Huster ? A vous de voir, le rôle étant interchangeable à chaque représentation ! Entre leur père et leur mère, Christiana Réali, il y de la belle descendance artistique dans l’air !
Après cette première, j’ai eu la chance et le privilège d’assister, invité par l’ami Francis, au débriefing et ce fut un grand moment tant son acuité, sa perception au moindre détail, sans aucune note sont omniprésents, et il refait la pièce en disant à chacun ce qui allait ou n’allait pas, ce qu’il faut garder ou modifier. Intransigeant, précis mais d’une grande élégance envers ses comédiens, il la a chaleureusement félicités pour cette prestation magistrale de deux heures, malgré les difficultés du vent s’infiltrant dans les micros HF qui a beaucoup gêné certains d’entre eux, n’étant pas habitués à cette nouvelle technique.
Mais le spectacle fut beau, et le Fort de la Bayarde a retenti de ce texte ciselé, sublime et terrifiant d’un Musset au faîte de son inspiration.
Et le public a apprécié.
Jacques Brachet
Voir reportage sur www.theatreinsitu.com