Six-Fours
Philippe JAROUSSKY… Un ange est entré dans la Collégiale

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Jamais l’on n’avait vu les spectateurs de la Collégiale dans une telle liesse. Des cris, des applaudissements à n’en plus finir, une standing ovation qui n’en finit pas…
Le récital de Philippe Jaroussky a fait se lever comme un seul homme, un public totalement sous le charme et obnubilé par la voix de celui que l’on considère comme le meilleur contre-ténor du monde.
Et il fut pour nous, toute une soirée, grâce à Jean-Christophe Spinosi qui préside et anime ces superbes nuits de la Collégiale.
Avec l’ensemble Matheus, il ont interprété « Orlando et Olimpiade » de Vivaldi et « Serse » d’Haendel. Ce fut magique, incroyable, le magnifique orchestre de Spinosi offrant un écrin superbe à ce chanteur hors norme qui a su conquérir les amateurs de musique classique du monde entier.

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Et quelle joie et quel privilège qu’il m’accorde une interview en toute simplicité car il est loquace, nature, sympa, souriant sous ce regard bleu et ce visage qu’il a gardé de l’adolescence.
Il s’installe face à la mer pour profiter du panorama que nous offre la collégiale !
Philippe, l’on vous considère comme la plus belle voix du monde…
Malheureusement…
Vous pouvez répéter ?
Oui ça semble bizarre mais j’ai le syndrome du chanteur qui n’aime pas sa voix et qui rêvait d’avoir une voix de ténor ! Lorsque j’entends chanter les grands ténors, je me dis que jamais je ne pourrai interpréter ces musiques… Mais rassurez-vous, je le vis bien !
Encore heureux ! D’autant que vous pensiez devenir violoniste ou pianiste !
C’est vrai, j’ai découvert et débuté le violon à 11 ans, alors que je ne suis pas d’une famille particulièrement mélomane. Et puis, j’ai découvert le sopraniste Fabrice di Falco. J’ai trouvé que sa voix avait une ressemblance avec l’aigu du violon. J’avais 18 ans et j’ai eu envie de suivre cette voie… et cette voix !
Je suppose que vous l’aviez déjà, cette voix ?
Même si ça paraît présomptueux, je pense qu’on ne devient pas contre-ténor, on l’est. Après ça, il faut beaucoup de travail, il y a un mix physiologique à trouver. On me disait que j’étais un bon musicien mais pas un bon technicien, on m’a parlé de respiration, d’interprétation des textes… Ça m’a beaucoup plu et je me suis mis au travail. Il a fallu pour cela que je me décomplexe.
Pourquoi ? Vous étiez complexé ?
Oui car je trouve que chanter est très impudique, il faut chanter en regardant le public, pas comme avec un instrument derrière lequel on peut se cacher. Tout est intérieur. Il m’a fallu du temps pour trouver une certaine fraîcheur. C’est ce qui est important. La voix ne doit pas être seulement un cache misère.

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Vous arrivez dans un monde où les contre-ténors sont un peu passés de mode…
Lorsque je suis arrivé, cela commençait à s’inverser. On commençait à retrouver ces voix qui furent longtemps à la mode avec les castrats, ces voix qui interpellaient parce que pas communes. Il y a aujourd’hui une évolution et je suis content que des chanteurs comme moi, comme Gérard Lesne ou comme Andreas Scholl qui fut mon professeur, soient connus et reconnus. Nous faisons partie de la nouvelle génération, nous avons ouvert une voix plus sportive, plus… pyrotechnique ! Certains opéras sont aujourd’hui à nouveau joués.
De plus, chaque voix de contre-ténor est différente. Il n’y en a pas une seule pareille.
Qu’est-ce qui a fait de la vôtre quelque chose d’unique ?
Un timbre très clair, plus de charme et de la juvénilité dans le timbre je pense.
Vous avez créé l’Académie musicale qui porte votre nom…
Oui, cela fait cinq ans et, avec des professeurs nous enseignons le violon, le violoncelle, le piano à de jeunes enfants de 7 à 12ans (Jeunes apprentis) et de 18 à 30 ans (jeunes talents), non pas pour faire de tous de grands musiciens mais pour leur ouvrir des horizons, leur donner l’envie d’aller plus loin que les cours qu’on leur donne à l’école, même si ça a un peu évolué.  On leur offre des moyens d’accéder à la musique, à la culture, de les accompagner dans leur insertion sociale ou professionnelle. On  les garde trois ans. Nous leur donnons le plaisir de découvrir la musique mais aussi de se découvrir eux-mêmes. Et même s’ils n’en font pas leur métier, ça leur donne une chance, ça leur ouvre des portes. C’est une grande fierté pour moi.
Mais vous n’enseignez pas le chant ?
Non car, juste à côté de nous, il y a une grande école de chant, de comédie musicale.
Par contre, je donne des master class à cinq chanteurs par an, que je suis de près.
Hélas, le Covid a bouleversé beaucoup de choses et a fait de grands dégâts ».

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Nous avons cette conversation sur la terrasse de la collégiale, entre deux poses, et l’ami Spinosi vient nous interrompre : « C’est bien joli de parler mais le travail nous attend… Et je lui ai tout raconté sur toi. Je lui ai dit tout le mal que je pense de toi ! »
Atmosphère bon enfant. Avant de repartir répéter, il me dit sa joie de retrouver Jean-Christophe :
« Dès notre première rencontre, il y a eu un coup de foudre entre nous et dans la foulée nous avons enregistré quatre opéras ! Nous avons beaucoup travaillé ensemble, enregistré de disques et fait nombre de concerts. Sans jamais nous quitter vraiment, il s’est passé dix ans sans que nous travaillions ensemble. Et nous retrouver aujourd’hui dans ce lieu enchanteur est chargé de joie et d’émotion.
De curiosité aussi car en dix ans nous avons évolué chacun de notre côté et cela fait un drôle d’effet de retrouver des œuvres que nous avons déjà jouées ensemble mais que ce soir nous jouerons certainement différemment ».

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Bon, cette fois il faut s’arrêter. Juste le temps de faire quelques photos… sans Jean-Christophe qui est déjà dans la nef… Et qui attend Philippe !
Une petite histoire très jolie : celle de son nom.
En effet, fuyant la révolution russe, son arrière-grand-père arrive en France, à la frontière sans savoir parler français. Et bien sûr, la première chose qu’on lui demande c’est « Comment vous appelez-vous ? ». Il ne comprend pas et croit qu’on lui demande d’où il vient et il répond : « ya-russky »
Et c’est ainsi qu’on l’inscrit et qu’il devient Jaroussky !

Propos recueillis par Jacques Brachet