Karine TUIL : La décision (Ed Gallimard – 499 pages)
Sujet très brulant que celui choisi par Karine Tuil : Alma, son héroïne, juge antiterroriste, doit se prononcer sur le sort d’un jeune homme suspecté d’avoir rejoint un état islamiste en Syrie.
Mais à ce sujet brûlant s’ajoute le fait qu’elle-même, la cinquantaine atteinte, cette battante est à un tournant de sa vie. Elle va devoir gérer sa crise existentielle, une union qui bat de l’aile auprès d’un mari écrivain en perte de vitesse et un amant qui est l’avocat du prévenu. Drame total qui pourrait être burlesque mais qui est maitrisé avec panache et bonheur.
On la suit dans sa tête, dans son comportement dans l’action, dans ses dilemmes, ses prises de décisions.
Un magnifique roman, incisif, précis, documenté, tragique, mêlant intime et actualité, avec des faiblesses parfois mais dont on en sort secoué.
Jeanne BENAMEUR : La patience des traces (Ed Actes Sud – 200 pages)
Simon, médecin psychiatre et psychanalyste a préparé sa retraite, il est fatigué et ce matin il a cassé un bol bleu offert par son ami d’enfance Matthieu. Qu’est-ce qu’un bol et pourtant Simon revoit toute sa jeunesse avec Matthieu et Louise, une jeunesse heureuse aujourd’hui disparue qui lui explose à la figure en même temps que le bol fracassé. Il lui faut partir, laisser derrière lui ses quelques derniers patients et les milliers d’heures passées à écouter et essayer d’aider des hommes et des femmes à effacer les traces de leurs angoisses ou de leur mal-être.
Il partira très loin au Japon sur une petite île peu touristique et sera reçu par Monsieur et Madame Ito à la rencontre d’un monde où les sourires remplacent les paroles. La méditation, la marche, le sommeil, la découverte du travail de Monsieur Ito céramiste qui répare avec de l’or des poteries brisées et leur donne une nouvelle vie encore plus brillante, la passion de Madame Ito pour les tissus, une collectionneuse de beautés, tout ce monde insolite marque une trace continue dans ce qui va être la nouvelle vie de Simon. Car jusqu’à aujourd’hui Simon a tenté de réparer des vies, Monsieur Ito redonne vie et brillance à ses céramiques en les élevant au niveau d’œuvres d’art, Madame Ito sort de l’oubli le travail traditionnel des tisseurs et des teinturiers qui n’atteignent une approche de la perfection qu’avec une patience infinie.
Jeanne Benameur rappelle avec douceur que tout procède par étapes, le temps est le joyau nécessaire pour atteindre tout accomplissement. Ce temps, cette patience, l’auteure l’incarne dans ce psychanalyste qui a consacré sa vie à aider ses patients et désormais s’attache à retrouver avec patience les traces de sa propre vie.
Une nouvelle fois Jeanne Benameur offre au lecteur un magnifique roman.
Philippe BESSON : Paris-Briançon (Ed.Julliard – 208 pages)
La SNCF ayant réhabilité les trains de nuit l’auteur nous invite à bord de ce Paris-Briançon dans lequel vont prendre place des personnages qu’il va nous présenter, les plaçant à bord avec calme et sérénité : Un médecin, une mère de famille et son enfant, un sportif, un représentant de commerce, un couple de retraités, une bande de jeunes. Mais il nous annonce que tous n’arriveront pas à destination.
Le mystère s’installe : Crime ? Attentat ? Chacun prend ses marques, partage sa vie avec ses covoyageurs, découvre les facettes cachées de leur vie. Ça ronronne, Ça vit.
Et soudain le clash ! (que l’auteur nous demande de ne pas dévoiler)
Belle étude de personnages, de l’ambiance d’un wagon filant vers un futur incertain, des sentiments qui pointent leur nez, parfois dévoilés par l’aventure et la fragilité du destin. Émouvant et tranquille à la fois, comme souvent avec cet auteur.
Sorj CHALANDON : Enfant de salaud (Ed. Grasset – 329 pages)
Une fois de plus Sorj Chalandon évoque pour nous le personnage de son père que l’on avait déjà pressenti dans « La légende de mon père » ou dans « Le troisième mur ».
Ce fut le problème de sa vie.
Le jour où son grand-père lui a révélé qu’il était un enfant de salaud, il n’a eu de cesse de comprendre où était la faille. Comment comprendre ce qui n’allait pas dans sa filiation sans jamais lui poser la question mais en essayant de comprendre au travers des récits décousus, des mensonges fantasques qu’il lui faisait ?
Il aurait eu mille vies : résistant, SS de pacotille, patriote d’occasion jusqu’au jour où ce fils tourneboulé mais admiratif découvre la vérité : un extrait de casier judiciaire mentionnant son incarcération à Lille en 1945 pour indignité nationale.
A partir de là, l’auteur n’aura de cesse de faire avouer la vérité à son père avec qui il suit le procès de Klaus Barbie à Lyon en 1987. Pendant sept semaines le narrateur attend que le père s’effondre, qu’il avoue ses mensonges. En vain…
Roman sincère et poignant devant un fils qui aurait pu aimer son père qui a failli. Ce n’est pas tant son comportement pendant dans la guerre qu’il lui reproche mais le mensonge envers un fils qui ne peut se construire à travers lui et qui ne peut lui pardonner. .
Une écriture sobre et incisive; un roman qui se dévore. Du bon Sorj chalandon
Eve de CASTRO : L’autre Molière (Ed L’Iconoclaste – 347 pages)
17 février 1673, Molière vient de mourir à son domicile après un malaise pendant la représentation du Malade Imaginaire. Les diverses personnes ayant entouré le célèbre comédien pendant sa vie vont nous parler à tour de rôle dans de brefs chapitres.
Armande Béjart, son épouse, Pierre Corneille, Madeleine Béjart, Marie Corneille, Michel Baron, comédien de la troupe et Molière lui-même. L’auteur va par leurs bouches prétendre que Corneille aurait aidé Molière dans l’écriture de son abondante œuvre théâtrale ?
Quel que soit le bien fondé d’une telle thèse, on se laisse prendre au jeu en lisant les prétentions de chacun qui permettent le rappel de beaucoup de points de leurs biographies mais aussi le récit de points invérifiables. Une forme originale, une plongée dans le monde du XVIIème siècle et l’envie de relire ce grand auteur qu’a été Molière.
Maryline DESBIOLLES : Charbons ardents (Ed du Seuil -136 pages)
Cet ouvrage est l’occasion pour Maryline Desbiolles de se pencher sur la Marche pour l’Égalité et contre le racisme dite « Marche des Beurs » qui a eu lieu de Marseille à Paris du 15 octobre au 3 décembre 1983. La pandémie l’a empêché de faire le grand ouvrage qu’elle souhaitait, l’obligeant à se contenter d’entretiens téléphoniques auprès des participants et témoins de l’époque.
C’est donc une courte histoire à plusieurs voix qui brosse ce mouvement non violent lancé par un prêtre catholique et un pasteur s’inspirant de Gandhi, pour protester contre les violences policières subies par la jeune population issue de l’immigration des Minguettes, dans la Zup de Vénissieux dans le Rhône. Après avoir été reçu par François Mitterrand à Paris, les manifestants ne pousseront pas plus loin leur mouvement qui sera récupéré quelques temps plus tard par SOS Racisme.
Pour l’auteur, on ne nait pas libre et il faut combattre pour le devenir.
David FOENKINOS : Numéro deux (Ed Gallimard – 235 pages)
Pour Martin Hill, être en compétition pour le rôle principal de Harry Potter relève du rêve le plus fou et pourtant l’alignement des planètes semble lui être favorable jusqu’à ce que la décision finale soit prise, ce sera un autre garçon qui commencera une série incroyablement longue jusqu’à huit films !
Comment vivre cet immense espoir déçu à la parution de chaque nouveau livre de J.K.Rowling, une marchandisation qui touche la planète entière et le rappel douloureux d’une ressemblance frappante avec le nouveau héros Daniel Radcliffe.
Le jeune Martin Hill se replie sur lui-même aidé par des parents aimant mais séparés, la mère en France, le père en Angleterre.
David Foenkinos aborde le rôle très souvent mal vécu du numéro deux, ou du numéro quatre aux jeux olympiques, jamais nommé et pourtant un athlète qui devra attendre quatre longues années pour retenter l’exploit.
La vie de martin Hill (colline en anglais, noter l’humour grinçant de l’auteur) sera une série de renoncements et d’effacement jusqu’à une rencontre magique, à vous de la découvrir en lisant ce très agréable et attachant roman de David Foenkinos.