NOTES de LECTURE

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Alain ARNAUD : Intrigue à Uçhisar (Ed.Aexequo -144 pages)
Grand dépaysement en prenant en main ce roman  offrant en couverture la Cappadoce aux tons ocre et brun dans un paysage tourmenté de la vallée de Gorème aux habitations troglodytiques.
Dépaysement garanti pour cet ingénieur commercial venu rencontrer Semra traductrice turque afin de négocier un contrat industriel de satellite d’observation avec les autorités militaires du pays. Le travail de traduction s’instaure entre les deux protagonistes au sein d’un petit hôtel tranquille très pittoresque.
Tranquille ? Pas vraiment ! Alors qu’ils travaillent dans cet espace survient un incident imprévu : Coup de feu ! Blessure du héros ! Qui était visé ? Qui sont les agresseurs ? Mystère
Une enquête est ouverte pendant laquelle les deux protagonistes se dévoilent, s’épaulent  et apprennent à se connaitre en essayant de démêler les imbroglios de cette aventure.
De belles descriptions de ces lieux mythiques, découverte de ses habitants qui les peuplent et des personnages qui se dévoilent peu à peu
Un excellent roman, plein de suspense et de mystère, de sentiments et de découvertes.
Quoi de neuf ? Molière !
Francis Huster, on le sait, est un amoureux – que dis-je ? – un obsédé de Molière.
A tel point qu’il pourrait se prendre pour lui !
Depuis ses débuts de comédiens, il n’a cessé d’interpréter ses pièces, il a presque tout joué. Comme lui, il est comédien, metteur en scène, sillonnant la France avec ses œuvres, monté des troupes comme l’illustre Poquelin.
Il lui a déjà consacré plusieurs livres, c’est dire l’admiration qu’il lui porte. Il était donc imparable que pour les 400 ans de sa naissance, il lui rende hommage. Et voici deux livres à lui consacrés.
Francis HUSTER : Le dictionnaire amoureux de Molière (Ed Plon – 644 pages)
Les éditions Plon ont consacré une collection aux  «dictionnaires amoureux» de grandes personnalités. Il était donc normal qu’elles fassent appel à lui pour «Le dictionnaire amoureux de Molière».
Un gros pavé, un vrai dictionnaire que l’on peut prendre, quitter, reprendre et où Huster disserte, dissèque l’œuvre de l’auteur, ses œuvres, ses personnages, le replaçant dans son époque et en montrant à chaque fois la modernité de ses propos, ce qui en fait l’artiste le plus lu et le plus joué, même aujourd‘hui. Et même le plus traduit dans le monde.
Car, Huster nous le démontre, son œuvre est universelle, caricaturant les grands bourgeois, les hypocondriaques, les snobs, les misogynes, les avares, les bigots et j’en passe.
On ne compte plus les auteurs qui ont consacré un livre à Molière mais celui-ci fera date car s’il n’est pas exhaustif, on n’en est pas loin, Huster en ayant tiré la substantifique moelle.
Faisant des parallèles avec sa propre vie, reprenant ses pièces, ses personnages l’un après l’autre, il y exprime toute sa fougue, toute son admiration, toute sa passion pour celui qu’il considère comme son maître.
Un ouvrage exceptionnel.
Francis HUSTER : Poquelin contre Molière (Ed Armand Colin – 235 pages)
Et voilà qu’Huster nous invente un duel à mort et en mots entre L’homme Jean-Baptiste Poquelin et l’artiste dit Molière. Deux hommes en un qui, comme beaucoup d’artistes même aujourd’hui, arrivent à mélanger leur vie et leur métier. Toute l’ambiguïté d’un homme qui, de rôle en rôle, devient quelqu’un d’autre et finit par s’y perdre.
Drôle de livre un peu hybride puisque qu’il n’y a en fait de texte que dans ce dialogue entre la personne et le personnage.
Et je dois dire que c’est assez difficile à lire car ça dure 235 pages.
Plutôt qu’un livre, Francis Huster aurait pu – aurait dû – en faire une pièce car c’est un dialogue plus facile à écouter qu’à lire.
Au bout d’un moment on se lasse malgré la verve de l’auteur autour de ce combat à mots nus entre deux personnes qui en fait n’en sont qu’une, ce qui au départ, est une idée originale mais plus écrite pour la scène qu poure la lecture.
A force de tourner autour de Molière Huster s’essouflerait-il ?

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Benedetta   CRAVERI :  la Contessa   ( Ed Flammarion-  423 pages
dont 8 pages de photos et 83 de notes à la fin du livre)
C’est l’histoire de Virginia Oldoïni devenue par son mariage la comtesse di Castiglione (née le 22 Mars 1837, décédée à 62 ans le 28 novembre 1899) . On a droit à un chapitre un peu long sur sa généalogie. Son mari, Francesco Vérasis Asinari est le cousin de Cavour, fondateur de l’unité italienne. Toute jeune, la comtesse est admirée pour sa beauté et son intelligence ; à 12 ans, elle parlait parfaitement anglais, allemand, français, on a retrouvé de nombreuses lettres qu’elle écrivait à son père. A 18 ans, surnommée « la Madone vivante, le corps de Vénus, la Reine des cœurs, Hélène de Troie, la plus belle femme du siècle », elle se lie à Napoléon III qui a 42 ans et qu’il fallait intéresser à l’unité de l’Italie, elle sert » d’appât politique » à l’instigation de Cavour. Elle quitte son mari et l’humilie car il est acculé à la banqueroute à cause  de son style de vie dispendieux. Elle aime se vêtir de vêtements qui choquent, avec des tissus très fins qui marquent ses formes. Elle aurait été aussi, pendant de longues années, la maîtresse de Victor Emmanuel II, roi de Sardaigne et de Piémont pour servir la cause italienne, et eut d’autres nombreux amants, parfois tous en même temps qu’on nous raconte en quelques pages assez croustillantes. Quand la vieillesse arrivera, elle fera enlever tous les miroirs qui l’entourent pour les remplacer par des photos d’elle quand elle était jeune. Elle sera la première à colorer ces photos à la gouache, ce sera une pionnière de la photographie en couleurs ; on retrouvera 400 clichés au Metropolitan Muséum of Art à New York.
Ce livre est aussi intéressant à cause de la partie historique qui nous dépeint l’époque de Napoléon III et des rapports diplomatiques de la France et de l’Italie qui réussiront à forger son unité. L’auteure nous dépeint aussi la vie des personnes de cette époque, et en particulier de la vie des femmes qui n’était guère enviable
En fait, notre Contessa  ne revendique que sa liberté, mais pour une femme du XIXème siècle, c’est une mission impossible, elle veut vivre en accord avec sa position sociale, ses exigences, ses dons intellectuels, et surtout le droit de s’appartenir « Moi, c’est moi », telle est sa devise !
Photo Astrid de Crollalanza
Daniel MASON : Au nom de Margarete (Ed JC Lattès – 398 pages)
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Françoise du Sorbier
La première guerre mondiale va bouleverser la vie toute tracée de Lucius, étudiant en médecine issu d’une famille de haute lignée aristocratique polonaise.
A vingt-deux ans, sans expérience mais décidé à fuir le confort d’une famille qui entend gérer sa vie, Lucius arrive à Lemnovice dans les Carpates où l’attend, dans une église transformée en hôpital, une sœur infirmière, Margarete. Femme décisionnelle, elle mène un combat contre le pou, son ennemi numéro un, mais officie aussi dans les amputations, elle coupe, nettoie, désinfecte, prend le temps de se pencher vers les hommes meurtris dans leur chair et dans leur âme par la guerre. Oui, Lucius devra couper une jambe, un bras pour sauver des vies et il aura auprès de lui le meilleur guide Margarete. Un lien, une connivence et bientôt l’amour les réuniront  mais c’est sans compter avec les aléas, les traîtrises de la vie en temps de guerre. Car Margarete porte le voile des infirmières mais aussi celui des religieuses.
Ce roman fort bien documenté rappelle les conditions horribles dans lesquelles travaillaient médecins, infirmières, ambulanciers, mais aussi les atrocités occasionnées par l’arrogance, l’inhumanité de certains chefs militaires. Car si Margarete lutte contre le pou, il faut aussi lutter contre le froid, ce froid intense qui fige pour de nombreux mois cette Europe centrale et qu’une simple couverture ne saurait faire oublier.
Ce roman est une analyse très pertinente des progrès énormes de la médecine en temps de guerre, constat bien triste mais qui a permis de sauver de nombreux hommes grâce au sacrifice des premiers blessés.
Photo Sarah Houghteling

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Alain MASCARO : Avant que le monde se ferme (Ed Autrement -245 pages)
Premier roman d’Alain Mascaro qui nous fait revivre un grand moment d’histoire sous les traits d’Anton un jeune tsigane fils du vent il va nous faire vibrer  au sein de son clan, à travers la liberté des steppes de l’Asie Centrale balayées par les traditions, les drames d’une tribu conditionnée par les coutumes ancestrales, vibrantes de chants, de danses, de musique, de jeux mais qui va basculer dans la barbarie de la déclaration de la guerre et l’horreur des persécutions allemandes.
A partir de la destruction de son cirque et de la dissolution de son clan, va commencer l’errance d’Anton à travers cette Europe dévastée, traversant ghettos et camps de la mort. Mais d’autres forces, d’autres rêves le guideront plus loin porté par le rêve et la foi.
Terribles émotions ressenties à cette lecture bouleversante, enlevée, documentée, tourbillonnante qui tantôt fait lâcher le livre tant l’émotion est forte, tantôt transporte le lecteur vers un autre monde.
Un auteur à suivre
Joël RAGUENES : Les derniers seigneurs de la mer (Ed. Calmann-levy – 368 pages)  
Ce dernier roman est un long hommage aux pêcheurs bretons.
A travers un récit très minutieusement documenté Joel Raguénès ancien goémonier puis gardien de phare nous fait traverser le siècle auprès des pêcheurs de thons depuis les débuts de la seconde guerre mondiale jusqu’à nos jours.
De Juin 1939 où le jeune Adrien va commencer sa rude vie de mousse sur le bateau de son père nous allons suivre au fil des saisons les lointaines campagnes de pêche en proie aux tempêtes et aux rudes accidents de la vie. Il nous fait partager les avancées  techniques des navires et les difficultés de la vie des familles déchirées par les dangers de ce sacerdoce,  mettant en avant a grande fraternité de ces familles de condition précaire mais soudées par la mer.
Très belle anthologie de la pêche à partir d’un port breton, très réaliste, mais écrit d’un écriture peut-être trop technique, qui étouffe un peu l’émotion.

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Jonas Hassen KHEMIRI : La clause paternelle (Ed Actes Sud- 361 pages
Traduit du suédois par Marianne Ségol-Samoy
En lisant le dernier roman de Jonas Hassen Khemiri, vous ferez la connaissance d’une famille suédoise pendant dix jours.
Une famille composée du grand-père qui est un père, de retour en Suède pour justifier son lieu de résidence principale, du fils qui est un père qui cède son appartement à son père pendant son séjour en Suède, d’une fille qui est une sœur, d’une fiancée qui est une mère, d’une sœur qui est une mère, du fils qui est un frère, d’un petit d’un an qui est un petit-fils et d’une grande sœur de quatre ans. C’est à n’y rien comprendre et vous penserez que c’est sans intérêt. Et puis, oh miracle, vous êtes entrainés malgré vous dans le quotidien de cette famille, une famille comme tant d’autres dont la vie est remplie de travail, de courses, d’amour, de désamour, d’enfants à aller chercher à la crèche ou à l’école. Et tous ces personnages jamais nommés se croisent, s’appellent, s’interrogent sur leur vie sur les petites choses qui remplissent le quotidien au point de ne plus avoir le temps de vivre.
Il y a un fil conducteur pourtant, ce grand-père qui est un père, personnage détestable au début qui gagnera au fil des pages l’amour des siens en acceptant d’être grand-père. Tous dans cette famille sont attachants, avec un faible pour la grande sœur de quatre ans si pertinente, qui n’a pas sa langue dans la poche et voit tout car c’est la grande sœur de quatre ans !
Il faut se laisser porter par le rythme voulu par l’auteur, c’est surprenant, et le lecteur, désarçonné au début, sera agréablement surpris par l’attachement qui se crée avec cette famille sans nom.
Florence SEKKAI : L’héritage d’Hélène. (Ed.Maïa-169 pages)
Julie, jeune mère d’une petite Chloé de quatre ans vit mal son quotidien familial et professionnel, Elle passe d’un sentiment d’infériorité, de soumission, d’absence de motivation à un vide existentiel profond. Elle cherche un sens, un changement qui lui permettrait de rompre cette monotonie.
En déménageant le garage de sa grand-mère maternelle Rose, Julie va prendre en charge le tri de boites dans lesquelles elle va découvrir des lettres affectueuses, mystérieuse,s écrites il y a longtemps par une certaine Hélène à Rose.
Julie s’interroge sur le lien entre ces deux femmes et relève chez Hélène le désir de liberté et de choix vital de réaliser ses rêves. Au fil de la lecture de ces quelques lettres Julie qui se rend compte, qu’elle subit sa vie sans plus,  va s’identifier à Hélène qui devient en quelque sorte son « coach ».
Sur fond d’intrigues professionnelles, contraintes familiales, problèmes de couple, Julie va partir à la découverte d’elle-même, s’affirmer, prendre des décisions. Elle va enfin découvrir qui était cette mystérieuse Hélène.
Ce livre qui retrace une réalité vécue par l’auteur prône la réalisation de soi et de ses projets avec sous-jacente,  une intrigue liée à un secret familial.
Écriture simple, actuelle, du quotidien.
Le thème est d’une actualité certaine avec la femme débordée, assurant activité professionnelle, charges ménagères et éducation des enfants sur fond de pression du monde professionnel, jalousie et compétition.