Toulon 1990.
Daniel Michel, « Nanou » pour les intimes, créait avec une équipe toulonnaise un festival de jazz.
Le principe : investir places et quartiers de Toulon en changeant chaque soir de lieu, faire venir de grandes pointure du jazz, le tout offert gratuitement aux Toulonnais… et aux autres.
Utopie ? Que nenni : promesse tenue. « Jaz is Toulon » était né, rebaptisé par la venue du FN « Jazz à Toulon ».
Et depuis 25 ans ont défilé sur ces scènes, les plus grands noms du jazz international.
La première à « essuyer les plâtres » : la Brésilienne Tania Maria.
25 ans après, la revoici ouvrant ce festival-anniversaire, aussi énergique et talentueuse, heureuse de se retrouver au même endroit 25 ans après.
Auparavant elle était venue chanter à Châteauvallon et nous avions déjeuné ensemble au bord de l’eau avec l’un des chanteurs du duo « Les étoiles », Rolando. Et Tania et lui n’avaient pas engendré la mélancolie. Car, même si elle se dit timide, la flamboyante Tania a dans la vie une pêche incroyable et un humour corrosif.
Je la retrouve telle quelle, avec chacun de nous, quelques années en plus !
« Je ne suis pas souvent venue à Toulon mais j’y ai de beaux souvenirs. D’abord parce que j’adore cette région de soleil et de mer, ce qui est important pour moi et puis parce que l’on joue en plein air devant une foule immense, ce qui ne me fait pas peur ! C’est vrai que le son n’y est pas si bon que dans un théâtre, c’est moins intimiste, il y a les bruits ambiants mais il y a des vibrations humaines et je les ressens. Et lorsque je les ressens, je joue de mon mieux pour que les gens soient heureux. Et j’aime rendre les gens heureux ! »
Et il est un fait que sur cette place de la Liberté de Toulon noire de monde, elle a vraiment rendu les gens heureux, qui ont chanté avec elle dans une atmosphère survoltée. Il faut dire que lorsqu’elle est au piano, elle est transfigurée et se déchaîne avec son beau trio complice de musiciens.
Alors, Tania, vers quelle tendance musicale vous classez-vous : jazz, samba ?
Je ne penche pas plus vers l’une que vers l’autre. Je n’ai pas de préférence pourvu que je fasse de la musique. Pour moi, la samba, ce sont mes racines, je l’ai en moi mais le jazz c’est une passion et c’est un total espace de liberté. Je pense être plus « jazziste » que « sambaïste » mais mon rythme reste brésilien. Et puis, on me classe où on veut, je m’en moque. Je fais de « LA » musique, je vis ma musique. Alors que dans la vie je suis timide, je m’éclate sur scène, je n’ai plus d’inhibitions.
Et avec ma musique, je peux aller partout.
Justement, vous venez du Brésil, vous avez vécu en France puis aux Etats-Unis…
Et aujourd’hui je revis en France ! Je suis née au Brésil et je reste brésilienne au fond de moi. Mais je suis venue jeune à Paris où j’ai débuté ma carrière. J’ai appris à aimer la France et j’ai aussi appris la langue que je maîtrise… presque ! Pour mon métier je suis partie aux Etats-Unis mais c’est une vie trop effrénée et je préfère le calme de la France.
Mais vous savez, je sui toujours en voyage. J’ai traversé 67 pays. Il n’y a qu’en Chine que je ne suis jamais allée. J’irai en 2015.
Pourquoi n’y être pas allée avant ?
Je pensais qu’il étaient restés, vous savez… (elle mime des clochettes !) avec ces petit ding ding. Mais je pense qu’aujourd’hui ils sont ouverts à d’autres musiques que la leur. Et puis, ils ont un pianiste fantastique : Lang Lang. Qu’est-ce que j’aimerais jouer avec lui… mais je suis trop vieille pour lui !
Comment, du Brésil, vous êtes-vous retrouvée en France ?
C’est Claude Nougaro qui m’a entendue et qui m’a demandé de faire sa première partie à l’Olympia. J’ai dit pourquoi pas ? C’était en 74. Je suis venue, après l’Olympia, nous avons fait une tournée de 35 concerts, il m’a présenté à Eddie Barclay qui m’a fait faire un disque, puis deux… et je suis restée sept ans en France. Je dois tout à ces deux hommes et surtout à Nougaro qui m’a aidé a planter une petite graine qui a pris racine.
Et les USA ?
Ca a été à peu près la même histoire : je donnais un concert en Australie et le grand guitariste Charles Birds m’a entendue. Il m’a demandé une cassette qu’il a remise à un producteur américain… Un mois après j’enregistrais un disque aux Etats-Unis. J’y suis restée 15 ans. Je suis revenue en France en 96. Ce qui ne m’empêche pas de jouer aujourd’hui sur les cinq continents.
Mais j’ai eu beaucoup de chance de rencontrer ces gens.
Retournez-vous au Brésil ?
Oui, au moins une fois par an. J’y ai toute ma famille et je suis très famille. Mais je ne vais pas y jouer, sinon dans la rue avec les gens et les enfants !
Votre père était musicien ?
Oui et il a été très heureux le jour où j’ai annoncé que j’arrêtais mes études et que je voulais vivre de la musique. Ca n’a pas été pareil pour ma mère qui a beaucoup pleuré en disant que j’allais devenir une prostituée ! A l’époque ça n’était pas courant qu’une fille s’engage dans ce métier.
Sinon, qu’auriez-vous fait ?
Je pense que j’aurais été juge pour enfants. J’ai fait deux ans d’études de droit et à l’époque il n’y avait pas beaucoup de juges pour enfants chez moi. Et puis, j’ai toujours adoré m’occuper d’enfants. Si j’étais restée au Brésil, je me serais occupée d’eux, leur enseigner les arts, les travaux manuels, la musique… Il y en a tant qui ne peuvent pas y accéder. »
Malheureusement pour eux, heureusement pour nous, Tania Maria a choisi la musique.
Et le festival « Jazz à Toulon » a eu une sacrée bonne idée de commémorer ses 25 ans avec une artiste hors pair qui nous a montré ce qu’est le talent et la passion pour la musique et qui nous a emportés avec elle le temps d’une soirée.
Jacques Brachet