Philippe Crettien Nonet – The North African Suite – www.philippecrettienmusic.com
Philippe Crettien est né dans le Sud de la France. Il a surtout vécu en Afrique du Nord, en Angleterre, et aux Etats-Unis. Dès son plus jeune âge il a écouté des styles et des genres de musiques différents, ses parents étant mélomanes. Il a étudié le piano puis s’est concentré sur le saxophone alto pendant la période de ses études au Lycée Français de Londres. Suite à la découverte de John Coltrane, Wayne Shorter et Sonny Rollins il abandonne le saxophone alto pour le saxophone ténor.
Après une année en Musicologie à la Sorbonne et au C.I. M de Paris il étudie au Berklee College of Music et au New England Conservatory à Boston. Il obtient le diplôme BA du Berklee College of Music. Pour son premier contrat professionnel il est avec le Chanteur de Blues Mr. Jelly Belly.
Il fut l’un des protagonistes du succès des premiers festivals « Jazz is Toulon » dont il fut Directeur Artistique et Directeur des Ateliers du Festival de 1991 à 2000, ayant amené avec lui les Bostoniens avec lesquels il travaille et enregistre : Bill Lowe, John Medeski, Andy Jaffe, Mario Pavone, Bob Gullotti, Rick Pekham, et Dave Zinno. Philippe Crettien vit aux Etats-Unis où en plus de ses activités de musicien il est Directeur des orchestres de jazz et Directeur du Département Jazz du Conservatoire de Musique de la Rivers School à Weston (Massachussetts).
Au départ Philippe Crettien jouait du sax ténor avec un gros son et un engagement rentre-dedans, influencé par Coleman Hawkins entre autres. Depuis il n’a cessé d’évoluer pour arriver à cette maturité qui l’a vu s’engager sur les pas de Wayne Shorter et surtout de Warne Marsh, en gardant une sonorité ronde, puissante mais avec quelque chose de fragile, et parfois un son plus râpeux, plus angulaire. Une belle évolution dans l’écriture aussi, avec des arrangements soignés et personnels
Pour ce nouveau disque Philippe Crettien retrouve ses impressions d’adolescent en Afrique du Nord : le Maroc, l’Algérie, la Tunisie. Les parfums des marchés. Il dit qu’il a composé les 7 morceaux de ce disque en hommage à ces beaux paysages, à ces peuples chaleureux, et à leur riche culture. Pour ce faire il joue du ténor, du soprano ou encore de l’alto, et s’est entouré de Felipe Salles (fl), Tony d’Aveni (tp, flh), Clayton De Walt (tb), Bill Lowe (btb, tba), Patrick Mottaz (g), Géraldine Bergonzi (p), Sean Farias (b, eb), Mike Connors (dm).
D’emblée, sur « Marrakesh » on retrouve toutes les qualités du ténor, et le disque démarre fort avec une introduction très coltranienne, puis une promenade avec les solos de ténor, chaleureux ; trompette très fluide ; et trombone qui arrache.
Les arrangements sont remarquables, on y sent les influences bien digérées de Gil Evans et de Gunther Schüller (celui du Nonet de Miles Davis en 1949). Le Nonet de Crettien sonne comme un seul musicien. Mise en place, distribution des solos, tout est bien huilée avec une rythmique qui tourne à merveille. Les solos sont parfois enveloppés dans de subtils voicings, ou ponctués de petits riffs, ou tout simplement reposant sur la rythmique. De la belle ouvrage !
On se fera une idée de tout cela par exemple dans « Tipaza » particulièrement inspiré sur tempo lent, un gros son, des notes bien rondes de la contrebasse, un long solo tendre, émouvant et expressif au soprano par Philippe Crettien, suivi dans la même atmosphère par le trombone de Bill Lowe. « Blues for Valentin » s’appuie sur des réminiscences Bop, Quintettes Parker ou Gillespie, puis le cool vient s’y mélanger, on a affaire à un savant mélange de ces deux moments du jazz, à noter le solo de guitare. Un curieux morceau « Mistral » qui démarre sur un rythme de marche (rappelons qu’à ses débuts à la Nouvelle Orléans, les marches constituaient un des fonds du jazz ; retour aux racines), puis on quitte la marche pour la retrouver à la fin. La mélodie pas loin de celles de Henry Mencini (La Panthère rose), à noter un beau solo à la trompette bouchée (sourdine Harmon).
La tournure des arrangements fait que le disque est réellement construit comme une suite, avec toujours le souci de la mélodie. N’hésitez pas à faire et refaire la Promenade.
M.O.M – Louis Moutin – Jowee Omicil – François Moutin
Laborie Jazz LJ59 ) (Socadisc-Idol) – 12 titres – 55’ 28’’
Les frères Moutin sont jumeaux, tous deux autodidactes, élévés dans une famille d’amateurs de jazz qui possèdent une belle discothèque de Jelly Roll Morton à Duke Ellington.
François se met à la guitare à l’âge de 5 ans, à onze il travaille le piano et l’harmonie, à quinze la guitare basse et enfin la contrebasse. Après un diplôme d’ingénieur il choisit de devenir musicien en 1985. Il est tout de suite reconnu par le milieu et intègre l’ONJ (Orchestre National de Jazz) en 1988. En 1995 il s’installe à New York où il joue avec la crème du jazz américain.
Louis joue du piano dès l’âge de 7 ans, mais à 20 il se met à la batterie qui sera son instrument. Lui aussi va jouer avec la crème du jazz.
Les deux frères créent le Moutin réunion Quartet en 1998 avec lequel ils vont publier 5 albums, donner 450 concerts dont 22 tournées aux Etats Unis. En 2013 ils créent un nouveau groupe, le Moutin factory Quintet avec lequel déjà 3 disques et plus de 120 concerts.
Jowee Omicil est un souffleur et poly-instrumentiste, d’origine haïtienne, né à Montréal et désormais basé à Paris. Il a travaillé dans le passé avec des artistes tels que Tony Allen, Jacob Desvarieux, Roy Hargrove, Michel Martelly et Francisco Mela. Pour ce disque il joue de la clarinette et des saxophones. Pour son dernier disque « Love Matters » Laborie Jazz lui prête tant d’influences dans lesquelles on va du gospel à Monk, Miles, en passant par le funk, les chansons des îles ou d’Afrique, sans oublier Bach et Mozart, qu’en en reste confondu.
Dès les premières notes : le choc ! On connaît les grandes qualités des Frères Moutin, mais pas celles de Jowee Omicil, qui est pour moi une découverte, et quelle découverte. Ce gars là renvoie beaucoup de saxes à leur jazz. Il a tout : La maîtrise totale sur toute la tessiture, la puissance, la chaleur, le son ample, avec du grain, qui sait aussi se faire tendre, le lyrisme, l’expression, le sens de la mélodie, de l’harmonie, et le swing. Que demander de plus. Il joue un seul morceau à la clarinette «Caresse » qui fort judicieusement est une caresse avec un joli son très boisé, morceau bâti sur de petits motifs qui se répètent entre les trois instruments. De la dentelle.
François est toujours aussi lumineux à la contrebasse, et Louis un orfèvre de la batterie.
Tous les morceaux, écrits chacun par l’un ou l’autre des musiciens, sont à citer. Je privilégierai pour l’exemple « Fly with the wind » qui démarre assez déstructuré pour se restructurer et chauffer sur des phrases courtes entrecoupées de notes tenues du sax, ce qui rend le chant très vivant. Ou « Ballade à deux notes » sur tempo lent, morceau très sensible et expressif. Et puis « Cosmic dance » où Jowee Omicil fait des étincelles dans la grande tradition des saxes hurleurs de la grande époque, se baladant du grave au suraigu avec une facilité rare. Et ça swingue ! Un autre morceau qui décale un peu « Soixante-neuf » pris sur un rythme funky par la batterie, une belle mélodie, un solo de contrebasse hors des sentiers battus, et un sacré beau feeling de la part du trio.
Dans ce disque ce n’est pas une rythmique qui accompagne un soliste mais une conception globale de l’œuvre jouée en contrepoints par les trois instruments, avec aussi des envolées du sax.
Un grand disque.
The Volunteered Slaves – SpaceShipOne – Day After Music (dist : kuroneko) –
Disque enregistré de mars à septembre 2021 à Sarzeau – 11 titres – Durée : 64’
Ces Volunteered Slaves, nommés ainsi à leur fondation à Jazz in Marcillac en 2002 en hommage à la « « Volunteered Slavery » de Roland Kirk (et Il y a du Kirk, et aussi du Coltrane dans le saxophone de Temime) s’expriment dans un creuset où se fondent l’ouverture du jazz fusion, la transe coltranienne, l’impact du rock, le feeling du funk, la force du hard bop, et la charge de l’électro, qui domine le disque: le tout dans un partage généreux et un plaisir de jouer ensemble, de s’éclater, qui vous emporte. Quand la musique est vraie, forte, expressive, belle, alors tous les clivages s’abolissent dans la communion du plaisir partagé.
Ces Volunteered Slaves réussissent ce que beaucoup essaient et ratent, le mélange des styles, des cultures dans le creuset jazz, car ils sont d’authentiques jazzmen. Ils ont d’abord beaucoup joué live avant d’enregistrer. Ils sont maintenant à la tête d’une dizaine de disques. Le groupe a un peu changé de personnel, mais l’influx, la chauffe, le délire, l’expression body and soul y sont toujours présents.
J’ai connu Olivier Temime à ses débuts à Toulon ; il m’avait déjà impressionné par ses immenses qualités, qu’il n’a cessé de développer. C’est un fou passionné de ténor. Je l’ai revu au Festival de Saint Louis du Sénégal en 1997, encore meilleur ; il allait jouer toutes les nuits dans les bars du coin. Insatiable ce mec ! Je l’ai revu encore à Jazz à Toulon en 2012 ; il accompagnait une chanteuse, heureusement qu’il était là.
Autour de lui le pianiste Emmanuel Duprey, l’organiste Emmanuel Bex (Django d’or/Victoires du jazz) – tous deux à différents claviers – le batteur Julien Charlet, et le bassiste Akim Bournane. Du beau monde s’il en est. Tous ont joué avec la crème du jazz en France et d’ailleurs. Les claviéristes manient les sons comme Jupiter la foudre.
Ça tourne, ça chauffe, ça déménage (Ursa Major) mais ça plane aussi (Ballade pour Laïka) ; en route pour l’espace avec ce SpaceShipOne. C’est dire qu’on décolle, et pourtant on reste fixé au sol par la rythmique béton.
N’hésitez pas à prendre place dans ce vaisseau spatial : transes et vertiges garantis pure musique sur les 11 thèmes composés chacun par des musiciens du groupe
Serge Baudot