NOTES de LECTURES

1 Charif Majdalani 3

Catherine CUSSET : La définition du bonheur (Ed Gallimard – 348 pages)
Catherine Cusset, auteur à succès, publie un nouveau livre mettant en scène deux femme, des années 80 à nos jours. Les vies de Clarisse et d’Eve sont menées en parallèle jusqu’à ce qu’on découvre ce qui les lie.
Clarisse est une jeune femme libre et non conformiste. Traumatisée dans son adolescence, elle vit au jour le jour et cherche le bonheur en multipliant les voyages dans les pays asiatiques et en allant de bras en bras d’hommes rencontrés au cours de ses pérégrinations. Divorcée, elle vit à Paris et élève ses trois garçons avec difficulté.
Eve, mariée avec un américain, vit à New York avec ses deux filles. Elle trouve son épanouissement dans sa famille et son entreprise de recettes culinaires mais n’échappe pas à la routine et l’ennui.
A travers ce récit croisé, l’auteur aborde les multiples sujets qui concernent les femmes : viol, avortement, vie sexuelle, sensualité, éducation des enfants, vieillissement, violences conjugales, place du père. Elle associe ces thèmes aux évènements historiques des années évoquées : sida, attentats du 11 septembre, élection de Trump, coronavirus.
La narration est donc large dans un style fluide et simple. On pourra trouver l’histoire prévisible par moments, mais la question est posée : Qu’est-ce que le bonheur ? Le trouve-t-on dans la stabilité et la continuité ou dans la fragmentation des moments de la vie ?
Chaque lectrice donnera sa réponse
Charif MAJDALANI : Dernière oasis (Ed : Actes Sud – 269 pages)
Un expert libanais en archéologie oriental,e est invité par un général irakien à donner son analyse sur plusieurs magnifiques sculptures. Une fois sur place, le temps et l’espace perdent leur réalité, les jours passent, l’expertise est toujours repoussée à plus tard, l’environnement majestueux du désert agit, séduit l’expert. La figure impressionnante du général Ghadban, personnage imposant par sa taille, ses yeux clairs, rend l’expert dubitatif, puis très vite c’est l’enthousiasme qui l’emporte. La vision de la reconstruction d’un paradis terrestre dans la plaine de Ninive grâce à la vente d’énigmatiques têtes de gypse sculptées et d’une frise assyrienne, éblouit l’expert, tout en le faisant douter.
Cette oasis reculée semble hors du temps, mais est pourtant menacé par l’avancée des troupes de Daech qui clament haut et fort et à renfort d’assassinats monstrueux et médiatisés, la future et imminente installation de l’État Islamique. L’attentat qui a entrainé la mort du général Ghadban est-il le fait de Daech, des kurdes ?
Charif Majdalani analyse avec rigueur les interrogations de l’expert en mesurant la dangerosité et l’instabilité des factions sur place.
Le désert agit dans sa majestuosité, «une immense plaine bordée de montagnes elles-mêmes figées dans une immobilité séculaire, traversée par un fleuve monumental pétrifié sous le ciel éclatant, épuisant de lumière».
Un roman qui suit pas à pas la montée d’une puissance islamique qui a fait et fait toujours trembler le monde.
Un roman qui exerce sur le lecteur une attraction mais aussi une répulsion pour un univers que les occidentaux connaissent peu et donc redoutent.
Charif Majdalani développe avec brio l’idée que «l’Histoire n’avance qu’à tâtons, que ses acteurs jouent à colin-maillard avec des évènements alors que nous les croyons toujours dans une brillante partie d’échec. Nous essayons de donner cohérence aux faits en reproduisant les affabulations télévisées qui nous inondent et finissent par transformer notre manière de voir la réalité. »
A lire et à relire.
Mariam MADJILI : Pour que je m’aime encore (Ed. Seul – le nouvel Attila – 210pages)
C’est un livre à deux voi : celle de la petite fille iranienne arrivée en France dans les années quatre-vingt, installée  à Drancy dans la banlieue parisienne avec ses parents réfugies politiques, et celle de son double qui va la regarder de l’extérieur, se moquer, la juger lorsqu’elle va se confronter à ce milieu hostile si différent du sien quand on a un physique typé de brunette rondelette et qu’on se heurte à d’autres mœurs, à d’autres habitudes d’existence, à d’autres canons de beauté, à l’âge où tout doit se construire
Elle se bat, s’impose aux autres par sa vivacité d’esprit et son intelligence à vaincre les embûches. Elle explose en contraignant son corps, en stimulant sa pensée et rejoint la voie royale d’intégration : Lycée Fénelon, Khagne, agrégation. C’est la réussite intellectuelle malgré tous les traquenards que lui à imposé la vie de la cité mais dans laquelle elle se reconnait et s’épanouit.
Et c’est aussi là qu’elle va vivre et être heureuse
Belle réussite d’une battante pleine d’amour et de vie et qui se livre avec une joie pleine d’humour dans ce deuxième roman  pétillant et vivifiant.

4 5 Timothée Stanculescu

 Pascale ROBERT-DIARD – Joseph Beauregard : Comprenne qui voudra.
(Ed. l’Iconoclaste – le Monde- 162 pages)

Ce livre est l’histoire de Gabrielle Russier, professeure de lettres à Marseille Nord. Elle fait sa rentrée pour l’année scolaire 1967-1968, elle semble émancipée pour l’époque, elle a les cheveux courts, elle fume des gauloises, elle est divorcée avec deux jeunes enfants, il y a l’avant 68 où règne l’ordre avant tout et l’après 68 où les mœurs vont quand même changer.
Elle tombe amoureuse de son élève qui n’a que 16 ans, la majorité est à 21 ans, c’est le début d’une grande passion et les parents du jeune homme portent l’affaire devant les tribunaux, la professeure est emprisonnée ! Avant son procès en appel, elle craque et se suicide au gaz le 1er septembre 1969. La France entière ne parle que de cela et se déchire.
Dans ce livre, les auteurs s’en sont tenus aux faits, avec beaucoup de témoignages de ce drame, il  y a à  la fin  des photos et des textes de Gabrielle Russier ; en 1971 un film d’André Cayatte sort avec Annie Girardot qui tient son rôle, le titre en est «Mourir d’aimer».
En fait c’est bien ce qu’on lui reproche !
« Comprenne qui voudra » est le titre de ce livre, c’est une phrase du poète Paul  Eluard, citée par  le Président de la République de l’époque : Mr Pompidou, interrogé par les journalistes sur «l’affaire». Hélas, il y aura toujours ceux qui ne comprennent pas, ceux qui n’ont pas compris et ceux qui ne comprendront jamais, la Justice peut alors devenir un instrument de torture.
Sarah DIFFALA- Salima TENFICHE : Beurettes, un fantasme français (Ed. Seuil – 305 pages)
Préface d’Alice Zéniter
Ceci n’est pas un roman mais un essai écrit par deux éblouissantes femmes : l’une chercheuse et enseignante à l’Université Paris Diderot, l’autre journaliste au Nouvel Obs. C’est une réponse à l’emploi de ce terme «Beurette» pour désigner ces femmes issues de l’immigration d’Afrique du Nord dans les années soixante et qui se sont fait une place dans leur nouveau pays.
Toutes deux s’insurgent et pensent qu’il faut revoir et remettre à sa place ce terme désuet. Elles entreprennent de revoir le parcours de beaucoup d’entre elles à travers leurs réussites intellectuelles, professionnelles, et parfaitement intégrées, occupant des postes-clés dans la vie autant que d’autres plus effacées mais bien loin des clichés de » Bimbo plantureuses » ou de femmes voilées réduites à des rôles familiaux. Ce sont les femmes d’aujourd’hui qu’elles présentent et qu’elles ont interviewé, remettant à leur place, à l’aide d’explications fondées, la vision de ces femmes mal comprises par une grande part de la population
Par cet essai elles ont pour but, simplement, de mettre en lumière les difficultés, les préjugés les non-dits, les maladresses que presque toutes doivent affronter.
C’est encore difficile et seul le temps pourra un jour rendre les choses plus naturelles.
La valeur est intrinsèque à la femme, quelle qu’elle soit.
Timothée STANCULESCU : L’éblouissement des petites filles
(Ed Flammarion – 362 pages)
Timothée Stanculescu a 30 ans. Elle a grandi en Charente Maritime et publie son premier roman.
C’est l’été à Cressac, justement en Charente Maritime. Justine, âgée de 16 ans, vit avec sa mère, divorcée. Son père réside à Tours et s’occupe peu d’elle. Elle va passer sans enthousiasme ses vacances dans ce village paumé où elle est arrivée quand elle avait 6 ans. Mais voilà qu’Océane, une jeune fille du village, qu’elle apercevait de loin au lycée, a disparu depuis quelques jours. La télé régionale s’est déplacée dans le village. Une enquête de police est ouverte, une battue va avoir lieu puis une marche blanche.
De tels évènements ébranlent la jeune fille mais c’est surtout la rencontre avec l’homme que sa mère a embauché pour des travaux de jardinage qui troublent Justine qui s’éveille à la sexualité. Dans une écriture simple et limpide, l’auteur aborde avec beaucoup de justesse et de finesse les rêves et les désirs adolescents. Les relations avec les copines, fumer ou boire en cachette, les premiers baisers, la première fois où «on le fait», l’envie de partir loin avec un garçon, le besoin d’être écoutée même si on n’est pas toujours comprise, la difficulté de passer d’une petite fille à une jeune fille : tout cela est parfaitement décrit et mis en scène avec délicatesse.

7 8 Véronique de Bure

Cécile COULON : Seule en sa demeure (Ed L’Iconoclaste – 334 pages)
Cécile Coulon vit à Clermont Ferrand. Elle a déjà écrit huit ouvrages et un recueil de poésie.
Dans ce nouveau roman, elle déroule une histoire se passant dans le Jura, qu’elle place sans doute au cours du XIXème siècle.
Candre Marchère, riche propriétaire terrien qui a perdu sa mère à cinq ans et dont la jeune épouse est morte d’une pneumonie six mois après leurs noces, cherche à se remarier. Âgé de 26 ans, c’est un homme sérieux et pieux. Il a été élevé par la servante du domaine, Henria.
A la foire aux chevaux, il rencontre Mr Deville et sa fille Aimée, âgée de 18 ans. La jeune fille accepte d’épouser cet homme dont elle apprécie les qualités. Elle part alors s’installer dans le château au cœur de la forêt du vaste domaine Marchère. L’ambiance de la demeure, la présence invisible d’Angelin, le fils d’Henria, le souvenir d’Aleth, la première épouse troublent Aimée.
Pourquoi Candre lui a-t-il menti ?Ccomment Aleth est-elle morte ? Quel est le rôle d’Henria et de son fils ?
L’auteure crée une ambiance mystérieuse et angoissante. Elle ménage un certain suspens au fil des découvertes d’Aimée, elle brouille les pistes.
Le lecteur voudrait croire à ces péripéties mais on n’est pas dans un livre de Daphné du Maurier.
Richard FORD : Rien à déclarer (Ed de l’Olivier – 375 page)
Traduit de l’américain par Josée Kamoun
Richard Ford réunit dans son recueil de nouvelles dix pépites à déguster
Ces nouvelles captent des instants où deux personnages, toujours un homme et une femme remontent dans leur passé et imaginent un futur qui aurait pu être mais qui justement n’a pas eu lieu. Aujourd’hui, ils sont tous mariés, ou l’ont été, certains veufs et très souvent divorcés. C’est l’enchainement inéluctable du quotidien, du non-dit, des personnalités parfois trop imposantes. Dans la nouvelle qui porte le titre du livre, Mc Guiness reconnait une femme éblouissante, Barbara, une femme qu’il a aimée, avec laquelle il aurait pu construire une vie stable.
Les années ont passé, c’est le constat ni triste ni joyeux d’une histoire qui ne devait pas être.
La nouvelle  « En route » remonte le temps. Cathleen va accompagner dans sa fin de vie Ricky, un garçon qu’elle a aimé ou peut-être cru aimer. C’est la fidélité à une quête de soi qui motive Cathleen, Ricky va mourir, elle doit poursuivre sa route et apaiser ce garçon qui a fui la conscription, l’a entrainée au Canada pour éviter la prison et ne pouvait que l’emprisonner à son tour. Dans   Langue seconde» Jonathan est heureux en ménage avec Charlotte mais il sait qu’il ne comprend pas tout, il accepte simplement un quotidien qu’il ne dirige pas et ça lui convient parfaitement, alors pourquoi Charlotte décide –t-elle de le quitter ?
Il y a beaucoup de clins d’œil à la littérature anglaise classique, et c’est très agréable, ainsi Tess d’Uberville et Mrs Dalloway de Virginia Woolf font partie d’un paysage fin XIXème, début du XXème, une bascule du temps chronologique qui rappelle la bascule inexorable des personnages de Richard Ford.
Tout est ciblé, en douceur, avec l’ironie de celui qui en a déjà beaucoup vu en Irlande, en Louisiane, au Canada, à New York, tout sonne juste, Richard Ford fait vivre ses « non héros » avec aisance et beaucoup de lucidité.
Véronique de BURE : L’amour retrouvé (Ed.Flammarion – 288pages)
Véronique jeune femme mariée et mère de famille entretient avec sa mère, veuve depuis quelque temps, des rapports fusionnels lors de ses visites à la campagne ou par téléphone.
Elle est pleine d’empathie pour le couple réussi qu’ils avaient formé. jusqu‘au jour où celle-ci lui fait part d’un évènement qui vient bouleverser sa vie : Son premier amoureux, perdu de vue depuis des années, se manifeste et souhaite renouer leur relation. L’amour n’a pas d’âge et les sentiments s’installent. Mais quel choc pour cette fille  qui entourait sa mère et qui va devoir prendre des distances afin de laisser la place à l’autre, celui qui prend la place de son père disparu.
S’ensuivent des heurts, des remises en questions, des places à gagner. Mais n’est-il pas normal de «refaire sa vie» plutôt que de vieillir seule ? C’est ce que l’écrivaine nous expose avec beaucoup de délicatesse, les différences entre les élans physiques du désir et les réalités de l’âge.
C’est plus un soulagement que l’autonomie de cette vieille dame qui lui laisse plus de temps pour sa propre vie de femme et de mère
Beaucoup de sentiments et de tendresse tout au long du récit, qui prouvent une relation filiale exceptionnelle.
Très beau livre plein d’amour et de justesse, parfaitement rendu par une écriture vive et spontanée. Roman qui va droit eu cœur d’une vieille mère